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Message : Re: Le retour de l'orphelin (ou : Le retour du refoulé)

(Jacques Melot) - Vendredi 22 Mai 1998
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Subject:    Re: Le retour de l'orphelin (ou : Le retour du refoulé)
Date:    Fri, 22 May 1998 10:32:03 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 22/05/98, à 5:07 +0000, nous recevions de Jean Fontaine :

>   Un bon typographe a le coeur de marbre : il ne prend jamais la défense
>de la veuve et de l'orphelin, il se presse de les liquider (en les
>remplissant de plomb, autrefois). Ne pas confondre justicier et justifier.


   D'autant plus qu'à ce prix on risque de vous aligner...


>   Si je me souviens bien, une veuve est la première ligne d'un alinéa qui
>se trouve misérablement seule en bas d'une page ou d'une colonne alors que
>l'orphelin est la dernière ligne d'un alinéa qui se trouve pitoyablement
>seule en haut d'une page ou d'une colonne. Mais je lis dans le Ramat
>typographique des définitions plus restreintes : la veuve (ou l'orphelin)
>n'est pas une ligne isolée, mais seulement un mot ou une partie de mot
>isolée au début (ou à la fin) d'une page ou colonne. Quelle acception de
>ces termes vous semble la plus courante?
>
>   Autre question de jargon apparentée à ces familles décomposées : y
>a-t-il un terme consacré pour désigner le cas plus fréquent du dernier mot
>d'un alinéa quelconque (sans changement de page ou de colonne) qui se
>trouve tristement isolé en début de ligne? Un enfant unique? Orphelin
>est-il parfois employé dans ce sens?
>
>   Élevons le débat : ces actes manqués typographiques sont-ils
>révélateurs d'un complexe d'Oedipe mal assumé?


   Ça passera avec l'ISO latin-9. La veuve et l'orphelin, représentation
symbolique intériorisée de la maman et du papa, vous jetterons hors du
lit... pardon, du lu. Hrumm...

   Indépendamment de toute définition stricte, si l'on se place du point de
vue du concept et de la terminologie, on peut faire quelques remarques.
   Par veuve et orphelin on a en vue un phénomène qui vient diminuer la
qualité de la mise en page, parce qu'il attire exagérément l'attention et
brise l'homogénéité de la présentation. Le fait que le dernier mot
- supposé court - ou la dernière syllabe du dernier mot d'un alinéa se
trouve renvoyé à la ligne, est largement de même nature (du point de vue de
la qualité de la mise en page), et pourrait être également qualifié
d'orphelin dans un sens un peu élargi, à cela près que dans ce cas il n'y a
pas association à une notion de veuve... sauf, précisément, lorsqu'il se
produit lors d'un passage à la page suivante, auquel cas les deux notions
se confondent. L'orphelin ainsi défini apparaît donc comme un extension de
la notion sensu stricto, un procédé terminologique classique et acceptable,
à moins que, dans le cas présent, il ne présente par ailleurs un
inconvénient qui m'échappe. Il faut des raisons précises pour ne pas
appeler par le même nom deux notions dont l'une prolonge l'autre ; dans ce
cas, l'une d'elle, regardée alors comme typique, peut être distinguée de
l'autre par l'adjonction d'un adjectif qualificatif, lequel peut subir
l'ellipse, lorsqu'il n'y a aucune ambiguïté.

   Voyez, à titre d'exemple, les mathématiques où l'on parle de nombre
entier, de nombre rationnel, de nombre réel, etc. Il est infiniment plus
productif d'y voir autant de cas particuliers de la notion unique de nombre
qu'autant de notions différentes et a priori sans lien entre elles ou dont
le lien serait masqué par un choix terminologique mal approprié.
   De même en histoire naturelle, les espèces sont classées en genres et la
multiplication des genres au point que ceux-ci deviennent paucispécifiques
traduit une faiblesse de conceptualisation dont l'origine est à rechercher
dans un effritement de la connaissance (dégénérescence). Inversement un
syncrétisme exagéré est l'indice d'un avancement imparfait des
connaissances.

   Amicalement,

Jacques Melot, Reykjavík

>Jean Fontaine
>jfontain@xxxxxxxxxxx