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Message : Re: All-Fr.

(L.L. De MARS) - Mercredi 17 Février 1999
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Subject:    Re: All-Fr.
Date:    Wed, 17 Feb 1999 21:30:52 +0100
From:    "L.L. De MARS" <lldemars@xxxxxxxxxx>


Thierry Bouche a écrit :
> 
> " (en réponse à mon : " Lucchini, qui fit un excellent travail d'oralisation sur Céline ")
> 
> Un sacré massacre, oui. Il avait converti les suspensions, les
> " exaspérations sourdes " en pauses méditatives et supposément
> branchées.

Voilà qui tient de la mauvaise foi due à l'exaspération a posteriori
devant l'enthousiasme (justifié ou non, sur ce coup-là, je m'en cogne)
provoqué par un acteur; je ne crois pas me souvenir que quand Lucchini
avait commencé ce travail de lecture sur Celine nous fussions plus de
vingt à savoir ce qu'il foutait dans cette salle minable; il ne devait
guère être connu que pour ses apparitions dans quelques Rohmer... Pour
la suite des événements, je ne vois rien qui remette en cause la qualité
initiale de ce travail célinien.
> 
> Pour son malheur, Jacques André a un jour parlé de typographie orale
> (en vérité, je vous le dis : mettez ce qui suit en gras, rouge et
> clignotant si vous l'affichez sur la Toile), mais on a là une
> vocalisation à la Duras qui veut essayer de préserver la neutralité du
> texte typographique : incarnation désincarnée, contre-sens oxymorique
> mort-né.

"préserver la neutralité typographique" (je ne comprends même pas ce que
ça signifie) revient plutôt dans le cauchemar durassien à la lecture
blanche qui se voudrait sans théâtralisation, qui, donc GOMME, plus
qu'elle ne préserve quoi que ce soit du champ de la ponctuation. On voit
le genre d'horreur que ça a donné dans le dernier reportage consacré à
Blanchot: le sommet de la théâtralisation en fait, mais du côtés des
panneaux coulissants du décors... si on devait reprocher quoi que ce
soit à Lucchini, ce serait plutôt l'excès inverse, une ivresse sans
retenue flirtant avec le grotesque; je n'y vois pour Céline rien à
redire

> 
>                     ******************************
> 
> De quoi parlions-nous ? Ah, oui ! éternel retour des auteurs qui ont
> développé _leurs_ conventions, leurs petites subtilités, et qui
> espèrent être épaulés par les typos dont la seule fonction est de
> normaliser une présentation. Le plus marrant est que les deux points
> de vue se fondent sur la même quête : l'" évidence ". Malheureusement,
> l'évidence est précisément ce dont on ne débat pas.

Je doute qu'il s'agisse d'évidence; par exemple, les points de
suspension infinis (plusieurs lignes souvent) de Bataille faisant plutôt
question; il serait naïf d'y voir la simple figuration d'une sur-durée
(rien dans ce cas ne justifierait la surenchère implicite dans l'usage
des points de suspension). L'erreur est d'en parler en termes de
"subtilités d'auteurs" (je rappelle que c'est encore Bataille qui ne
voyait pas quel intérêt on pouvait accorder à un texte auquel l'auteur
n'ait pas été contraint: cette contrainte englobe bien évidemment
jusqu'aux moindres détails formels du texte), parce que l'exercice de
l'art n'est pas une affaire de secrets de cuisine: Buren n'est pas "un
type qui fait des bandes" pas plus que Faulkner "un écrivain qui fout
ses verbes à n'importe quel endroit de la phrase". Les auteurs sont si
agressés par cette façon de considérer leur style comme une "manière
de", que Guyotat s'est senti obligé dans "Prostitution" ou encore dans
"littérature
interdite" de s'expliquer sur l'origine de ses torsions lexicales,
grammaticales ou typographiques... N'importe quel lecteur de Guyotat
pouvait se dispenser de ce genre de débat, quand aux autres, ils n'y
auront gagné qu'un quiproquo supplémentaire sur un auteur qu'ils avaient
-par leurs questions- de toute façon condamné d'avance.
> 

>Olivier Randier, lui, écrivait:    ~

>La ponctuation est une convention commune qui fait partie de la langue.
>Elle n'est certainement pas un cadre " extérieur ". 

Est cadre extérieur à la littérature tout ce qui est du domaine de la
convention et de la communication: cette dernière, envisagée par
Bataille, est essentiellement criminelle et ramenée aux rapports de la
passion (communication dans la Mort de son Dieu par le chrétien, dans la
consomption de l'autre dans le coït); plus actuellement, dans son
acception courante, la communication est une affaire de fourmis et de
dauphins... Monosémie de l'émetteur pour l'adhésion au récepteur. 
Peu importe les conventions mises en causes, quand Prigent évoque la
nécessité, dans la plus grande des solitudes, de faire "sortir sa
langue", ou quand je parle d'honnêteté traduite par la parfaite
superposition du sujet poétique à son langage, nous ne parlons que d'une
seule chose: c'est dans cet immense écart que, peut-être, parler et
écrire devient dire.