Archive Liste Typographie
Message : Re: [ORTHOTYPO] pinaillages

(Jean-Denis Rondinet) - Vendredi 29 Octobre 1999
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: [ORTHOTYPO] pinaillages
Date:    Fri, 29 Oct 1999 15:42:06 +0100
From:    Jean-Denis Rondinet <rondinet@xxxxxxxxxxxxxxxx>

CAP AUX NOMS DE MARQUE :
>Y-a-t-il un livre, un lexique qui règle définitivement le problème ?

   Définitivement ? Non ! La majuscule, jusqu´à maintenant, disparaît quand
le nom propre est totalement entré dans la langue, ce qu´on peut dater du
jour où on l´utilise sans même savoir qu´il a été un nom propre (« des noms
propres sont si répandus qu´ils sont devenus de véritables noms communs ;
on les compose en romain, en b.d.c. et éventuellement avec la marque du
pluriel » -- Règles I.N.).
   Poubelle en est un bel exemple ; mais je vois encore s´écarquiller des
yeux quand on dit que Rustine, Bureautique ou... Ping-Pong* furent des noms
propres. Et les cap de Coton-Tige et de fermeture Éclair en sidèrent plus
d´un. Alors que tout un chacun connaît la différence entre le Frigidaire et
le réfrigérateur.
   Certains dicos sont réactionnaires dans ce domaine (le Jouette par
exemple : des Jeep, des Klaxon, eh oui ! Mais cette attitude est bien dure
à respecter : Jouette se plante dans ses propres exemples : « Des Figaro,
des Illustrations », art. Pluriels, VI, E), d´autres sont laxistes -- mais
dans les deux cas, on aura intérêt à les rouvrir de temps à autre pour
vérifier qu´ils n´ont pas tourné casaque entre deux éditions : Larousse est
passé de « Ping-Pong » à « ping-pong » il n´y a pas si longtemps, et sans
prévenir. Méfiance donc avant de prendre des paris à ce sujet.

                           **********

   Aujourd´hui, deux nouveaux phénomènes viennent jouer dans la cour des
cap : le premier, c´est le pouvoir devenu absolu du « designer » de logos
(comme pour l´orthographe en général et les accents aigus en particulier) ;
le second, c´est l´apparition de l´hermine marrone des avocats.
   Le typo sait, par le courrier que son éditeur a reçu, qu´il ne doit pas
rigoler avec « Caddie ». Ce fabricant de vulgaires chariots à roulettes est
particulièrement chatouilleux : il écrit sa propre marque sans cap, mais ne
tolère pas qu´on l´imprime -- ni avec, ni sans. Il nous faudra trouver une
tournure synonymique.
   Idem pour Mlle de la Fressange** : attention, pas de « L » ! On retrouve
là un vieux mythe typo selon lequel la cap aux particules marquerait le nom
d´un roturier -- ainsi, si vous travaillez chez un éditeur à tendances
royalistes ou Algérie française, prenez bien soin de marquer le plébéien
« De Gaulle » au fer rouge de la double majuscule !
   Un must dans la méfiance du correcteur : ne pas laisser passer le mot
must (avec ou sans cap, ital, guilles ou autres ? et ®) dans un écrit qui
risquerait de tomber sous les yeux de la maison Cartier ! Un comble : ils
ont osé déposer un nom commun (un anglicisme ridicule) et leurs avocats
maintenant ne font plus de quartier !
   J´ai aussi entendu dire que les producteurs de château-margaux feraient
ainsi appel au droit pour re-singulariser leur breuvage. Dans l´autre sens,
notons tout de même que certains boutiquiers poussent au contraire à la
minusculisation de leurs produits : n´est-ce pas là un signe de
« reconnaissance spontanée » de la part du public, donc un succès des
« communicants » ? A-t-on entendu l´inventeur de l´Ordinateur défendre bec
et ongles sa majuscule ?

                           **********

   À qui appartient le choix de faire tomber la cap à ces mots, une fois
connu le lacs juridique dans lequel il ne faut pas se laisser serrer ? À
nous ! Devons-nous suivre les dicos ? 
   Si oui, les dicos ne changeront jamais : c´est _notre_ usage qu´ils
entérinent (avec un délai plus ou moins grand) en trois temps :
   -- accepter de faire figurer le mot dans les noms communs, avec une cap
et une note explicative entre parenthèses ; le mot sera toujours
invariable ;
   -- puis le passer parmi les bas-de-casse et les variables ;
   -- ou, suivant toujours nos usages, de le supprimer au bout d´un certain
temps parce que son usage a passé (voir le Larousse édition de 2020 au mot
« Walkman ») ou qu´un autre mot (« baladeur ») l´a supplanté.
   Certes « nemo auditur propriam turpitudinem allegans », mais voilà
comment je procède : quand mes partenaires dans l´élaboration d´un produit
graphique tiquent sur une de mes cap, je prends le temps de réfléchir, de
peser le pour et le contre, et l´initiative de changer -- ces tiqueurs ne
sont-ils pas un échantillon des futurs lecteurs ?


      Amicalement__
      ___Jean-Denis

________________________________
   * Contrairement à ce que j´ai prétendu lors du dernier Typothon, les
inventeurs de ce loisir n´étaient pas Mr Ping et Mr Pong. C´est Mme
Onomatopée qui a inventé le Ping-Pong.
   ** Récemment l´entreprise Inès de la Fressange a foutu à la porte sa
patronne, Inès de la Fressange. Si, si, c´est vrai... Vont-ils changer leur
orthographe ?