Archive Liste Typographie
Message : Re: Police

(Olivier RANDIER) - Samedi 10 Juin 2000
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: Police
Date:    Sat, 10 Jun 2000 03:03:35 +0200
From:    Olivier RANDIER <orandier@xxxxxxxxxxx>

>GuYZm0 wrote:
>
>> J'aimerais avoir quelques infos à propos des polices :
>> 1- Quel est le bon terme désignant une police ? (police, caractère,
>>fonte, etc... ?)
>> 2- Quelles sont les «règles» de création d'une police ?
>> 3- Avec quels outils/Comment crée-t-on une police ?
>
>Vos questions sont du même type que
>- Quelles sont les règles de composition d'une oeuvre musicale ?
>- Avec quels outils/comment crée-t-on une symphonie ?

Merci de cette comparaison qui résume parfaitement ce que je voulais dire.

>Il y a au moins 3 aspoects dans la création d'un caractère :
>- le plus important : son côté graphique (maintenant encore, à qq
>exceptions près, la création d'un caractère commence par des heures avec
>un crayon à la main !)
>- le plus facile : passer de ce dessin à une numérisation (contours,
>etc.) compatible avec un format (TrueType, ATM, etc.). Il existe de
>nombreux logiciels (FontStudio, Fontoshop et d'autres en cours de
>création pour Unicode notamment). Mais ça ne suffit pas (contrairement à
>ce que croient beaucoup de gens qui dessinent des caractères, ou qui en
>modifient) :

Je l'ai déjà dit, je suis assez réticent face à cette approche qui consiste
à dire qu'on ne peut concevoir qu'à la main, puis numériser. C'est
s'interdire d'élaborer les outils conceptuels essentiels à la progression
de notre compréhension. Certes, les nombreuses recherches visant à réduire
la conception d'un caractère au compas et à la règle ont toujours abouti à
des impasses. Mais l'outil informatique nous permet aujourd'hui de
manipuler aisément des concepts mathématiques beaucoup plus complexes, même
sans en connaître les fondements géométriques. Courbes de bézier et splines
auraient sans doute ravi un Garamond. Une courbe harmonieuse est
généralement une perfection géométrique. Pour s'en convaincre, il suffit de
tracer une ellipse dans un logiciel de dessin, puis d'y ajouter un point de
contrôle et de le déplacer à peine : l'harmonie est immédiatement détruite.
Comme le dit Tschichold : « Il n'est pas explicable, mais avéré, que l'être
humain trouve des surfaces aux proportions géométriques, intentionnelles,
plus agréables ou plus belles que celles définies par des proportions de
hasard. » Moi, j'ai besoin et envie de savoir comment obtenir la plus belle
courbe pour relier trois points (je laisse à Thierry et aux autres matheux
de la liste la question de savoir pourquoi cette courbe est belle). Par
exemple, la courbe qui relie les deux jambages d'un n, j'ai trouvé et
choisi pour le Moretus une méthode qui se base sur une application linéaire
de deux cercles. Ce concept géométrique, je peux le réemployer pour
d'autres signes, comme le m, même si le signe a des jambages d'espacement
différents. Sans concept géométrique, la reproduction et l'adaptation à
d'autres paramètres est beaucoup plus difficile et hasardeuse. Un Didot,
par exemple, est fondamentalement un caractère conçu géométriquement. Le
dessiner au crayon pour le numériser est presque un contresens. Si nous ne
savons pas concevoir une forme autrement qu'à la main, ce n'est pas l'outil
qui est insuffisant, c'est nos concepts. Malheureusement, on oublie
beaucoup aujourd'hui cet enseignement au profit d'une créativité -- sans
frein, certes, mais aussi sans cadre théorique et pratique.
C'est pour ça que je préfère les courbes de bézier d'un Fontstudio aux
splines d'un Ikarus : les courbes de bézier sont facilement manipulables
dans la conception directe, alors que les splines sont plus appropriées au
travail de numérisation. Mais peut-être qu'un jour se trouvera un
concepteur assez à l'aise avec les splines pour concevoir directement avec.

Bien sûr, ça ne veut pas dire qu'il faut oublier l'héritage de la
calligraphie et le geste de la main.

>- le plus difficile : faire que le caractère « marche » : hints
>(amélioration des contours pour bien être traités sur une grille
>d'imprimante laser) et métrique (approches, paires de crénage, etc.).
>Ces mêmes logiciels proposent, souvent, des aides à ça, mais ce ne sont
>que des aides, il faut suer...

Pour l'approche et le crénage, je suis d'accord, pour les hints, en type 1
(je ne parle pas des hints avancés de TrueType, je fais confiance à
Fontstudio pour les générer, et les résultats m'ont satisfait jusqu'ici. Il
est vrai que je n'ai pas encore fait de fonte de labeur, ni de fonte
destinée à l'affichage écran. Le Moretus sera un bon test pour cela.

>Dessiner un bon caractère prend des mois, voire des années.
>
>IL n'y a pas grand chose de recommandable comme livre sur ce sujet...
>Il y avait _Comment dessiner lettres et logotypes_ de José Parramón,
>chez Bordas ; mais je crains qu'il ne soit épuisé (il date de 1991). Des
>livres comme le _Manuel de typographie française_ de Perrousseaux ou de
>Dessain et Tora, malgré leurs imperfections apportent pas mal
>d'initations sur les caractères, mais pas sur leur création
>(méthodlogie, technique). Mais je vous recommande surtout le petit
>_Guide_ de Porchez (il y en avait encore à la Hune il y peu de temps)
>qui a le gros avantage de ne coûter que quelques francs.

Le guide de Porchez est certainement très utile pour choisir une bonne
fonte et savoir bien l'utiliser. Il donne d'excellentes notions de ce que
doit être un bon caractère. Mais il n'explique pas comment dessiner la
courbe d'un g, par exemple. C'est dommage, parce que Porchez récapitule
beaucoup de notions plus ou moins bien connues des typographes, mais je
regrette qu'il en dise si peu sur son savoir-faire de créateur de
caractères.

Olivier RANDIER -- Experluette		mailto:orandier@xxxxxxxxxxx
	http://technopole.le-village.com/Experluette/index.html
Experluette : typographie et technologie de composition. L'Hypercasse
(projet de base de données typographique), l'Outil (ouvroir de typographie
illustrative).