Archive Liste Typographie
Message : Hermes part. I (ou : Comment j'ai composé certains de mes livres) (Alain Hurtig) - Mercredi 01 Novembre 2000 |
Navigation par date [ Précédent Index Suivant ] Navigation par sujet [ Précédent Index Suivant ] |
Subject: | Hermes part. I (ou : Comment j'ai composé certains de mes livres) |
Date: | Wed, 1 Nov 2000 17:59:22 +0100 |
From: | Alain Hurtig <alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx> |
Dans ces conditions, je me lance?Les notes qui suivent, consacrées au travail de mise au point d'_Hermès_, sont naturellement destinées à la discussion critique et à l¹échange.
--------------------- Genèse.C¹était un jour où je m¹ennuyai ferme, au cours d¹une mission d¹intérim sans intérêt ; et depuis quelque temps, j¹étais saisi de mon habituelle démangeaison de composer un livre, juste pour le plaisir. Je suis donc « parti en chasse » sur Internet, à la recherche d¹un texte déjà saisi, à composer. Ça ne manque pas, mais encore faut-il avoir envie de composer le texte sur lequel on tombe !
Quelques mois auparavant, j¹avais caressé l¹idée de mettre en pages le magnifique _Éloge de la paresse_, de Paul Lafargue ; finalement, j¹y avais renoncé. Mais en ce début du mois de septembre, la moisson fut fructueuse, et je suis revenu de mon exploration avec une dizaine de textes, de projets.
Le texte qui m¹attirait le plus était le _Kama Sutra_ (http://www.france.diplomatie.fr/culture/france/biblio/foire_aux_textes/auteurs/vatsyaya.html). Ce livre me semble poser un tas de problèmes typographiques extrêmement complexes, pour peu qu¹on n¹ait pas la tentation d¹en faire ce qu¹il n¹est pas : un traité érotique, voire paillard ou pornographique, et qu¹on veuille bien le considérer pour ce qu¹il est : une liste (juridique et religieuse) de prescriptions et d¹interdits, destinée à séparer le pur de l¹impur et à mettre l¹humain en harmonie avec l¹Immanence ? de ce point de vue, le Kama Sutra ne diffère guère d¹autres listes de prescriptions, comme le Lévitique par exemple.
J¹ai laissé tomber, car la traduction disponible sur Internet m¹a semblé défectueuse. Et tout à fait par hasard (comme il arrive quand on « surfe », et qu¹on bondit de lien en lien), je suis arrivé sur une vaste bibliothèque alchimique comportant (entre autres) des textes en français : http://www.levity.com/alchemy/. Je ne connais rien à l¹alchimie. Sa symbolique comme son herméneutique me restent totalement étrangères. Ce n¹était certainement pas une raison pour ignorer une telle collection de textes, et bientôt j¹étais en train de lire avec ravissement une étrange confession : cet étonnant traité que constitue _Hermès dévoilé_.
Je ne me risquerais pas à affirmer, non plus qu¹à nier, que l¹auteur a réussi à fabriquer de l¹or le Jeudi saint de l¹année 1831. Ce que je sais, c¹est qu¹il se dégage de cet ouvrage quelque chose de poignant, d¹émouvant et d¹authentique. La sûreté de l¹exposition, la finesse des conceptions théoriques, la vaste culture de l¹auteur (anonyme et dont l¹identité reste de nos jours un mystère, pour autant que je le sache) m¹ont bientôt convaincu que je pouvais mettre en pages ce livre-là ? après bien d¹autres typographes : depuis l¹édition princeps en 1832, il y a eu sept publications, la dernière datant de 1991, aux Éditions traditionnelles.
------------------------- Format de page, empagement.Le format du livre ne m¹a posé aucun problème. Je savais que je voulais faire un petit format, comme un écrin. Pour un texte quasiment clandestin, et en tout cas ignoré du grand public, il faut un livre que l¹on peut cacher et aussi emporter avec soi, dans une poche, comme un indispensable guide.
J¹ai tracé le rectangle du format de page sur une feuille de papier. J¹avais presque raison, il ne m¹a fallu que rectifier un peu la hauteur de la page (sa largeur restant de fait constante : j¹ai simplement adopté le chiffre « rond » le plus proche) pour parvenir à un résultat harmonieux. Le format final (90 mm x 150 mm) m¹a été donné en multipliant la largeur par le nombre de Fibonacci (presque le nombre d¹Or).
L¹empagement, ça a été plus dur. J¹ai travaillé avec une colonne « fictive », remplie par du vrai texte mais avec une police de caractères provisoire (du Palatino, corps 9 interlignage 11). Impossible d¹expliquer pourquoi, mais aucun canon ne donnait des résultats satisfaisants. Évidemment, pas question de rogner sur les marges : il fallait faire un bel objet. Mais avec chacun des canons, qu¹il s¹agisse du traditionnel Canon des imprimeurs, de l¹empagement de Hambidge ou de celui d¹Honnecourt (ou de Rosarivò, qui revient au même), c¹était moche. Trop long, trop large, ou bien pas assez large ou pas assez long, ou trop étroit, bref?
J¹ai finalement dessiné un rectangle approximatif, à la main. Il n¹y avait pas seulement un problème esthétique, mais aussi une question de lisibilité ? obtenir aux environs de 20 lignes (la vérité m¹oblige quand même à préciser que le hasard a été pour beaucoup dans le dessin de ce tracé régulateur?) J¹y ai appliqué le même nombre de Fibonacci, puisque celui-ci m¹a toujours porté chance. La largeur du bloc est de 50 mm, sa hauteur de 83 mm. C¹était beau, alors je n¹y ai plus touché.
Pour le positionnement de la colonne, j¹ai un peu tâtonné, mais on remarquera peut-être que le blanc de tête est égal au grand fond, en sorte qu¹il y a un carré vide en haut des pages, vers le coin.
La position du titre courant est venue toute seule : deux lignes au-dessus du texte. Celle du folio aussi : trois lignes en dessous.
--------------------------- Police de caractères.L¹exercice était compliqué. Problèmes d¹esthétique et de style, évidemment (on n¹imagine pas ce genre de choses composées en Blur ! ? l¹exemple est excessif, mais en fait, on ne l¹imagine pas non plus composé en linéale.)
Problèmes typographiques au sens strict, surtout.Il y a quelques règles pour la lisibilité : le seuil critique du nombre de caractères et du nombre de mots par lignes. Difficile à fixer de façon précise (d¹autant que personne n¹est d¹accord sur le chiffre exact), mais on peut considérer qu¹en dessous d¹une dizaine de mots par ligne en moyenne, on laisse peu de chances à son lecteur. D¹un autre côté, composer un texte en corps 7 ou 8, c¹est le condamner par avance? Résumons-nous : colonne étroite, auteur qui affectionne les mots longs, nécessité de trouver une police qui ait à la fois un oeil assez gros pour rester lisible en corps 9 ou 10 et qui chasse suffisamment peu pour rester à l¹intérieur de limites acceptables.
Je voulais par ailleurs obtenir un gris suffisamment léger pour ne pas désespérer le lecteur par avance, et pourtant assez dense pour donner une impression de sérieux. Enfin, le dessin de la police et son rythme propre devaient rester cohérents avec le propos et l¹époque de l¹auteur.
À dire vrai, j¹ai essayé un peu de tout.Le Caslon Founders d¹ITC (éloquent mais trop compliqué, d¹aspect trop archaïque pour fonctionner vraiment dans ma mise en pages). Le beau Requiem de Hoeffler (presque idéal, dans la rigidité même qu¹ont tant de caractères de cette fonderie). Une mécane de transition, le Giovanni (pas mal du tout, mais un peu fatiguant s¹il faut en lire une centaine de pages). Le Centaur (très beau, souple d¹emploi, amical et chaleureux, mais n¹y a-t-il pas une autre humane qui ferait l¹affaire ?) L¹Apolline de Porchez (décidément trop moderne). Un Bodoni (trop lourd, trop gras, trop dense, trop « chantant », trop expressif). Filosofia, enfin (elle est ratée, cette police ! C¹est dommage?)
Par élimination et tri successif, en demandant l¹avis de mon entourage, j¹ai fini par éliminer presque toutes les concurrentes. Il ne restait que Requiem et Centaur, et à la fin seulement Centaur, au demeurant celle qui chassait le moins. J¹ai évidemment décidé de profiter de ses « vraies » petites capitales, de ses chiffres elzéviriens, et de son amusant Swash-Italique.
--------------------- [Suite à venir?) --Alain Hurtig mailto:alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx
---------------------------------------------------------------------------------- Or ça, salopins, serre-argent, palotins, hommes de finances, larbins chimiques, approchez ici. Qu'avez-vous à m'apprendre ? Alfred Jarry, _Ubu cocu_
- Hermes part. I (ou : Comment j'ai composé certains de mes livres), Alain Hurtig <=
- Re: Hermes part. I (empagement), Olivier RANDIER (02/11/2000)
- Re: Hermes part. I (empagement), Alain Hurtig (02/11/2000)
- Re: Hermes part. I (empagement), Olivier RANDIER (02/11/2000)
- Re: Hermes part. I (empagement), Alain Hurtig (02/11/2000)
- Re: Hermes part. I (ou : Comment j'ai composé certains de mes livres), Michel Bovani (04/11/2000)
- Re: Hermes part. I (ou : Comment j'ai composé certains de mes livres), Olivier RANDIER (07/11/2000)
- Re: Hermes part. I (ou : Comment j'ai composé certains de mes livres), Michel Bovani (07/11/2000)