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Message : Hermes part. II (a propos du gris typographique) (Alain Hurtig) - Mercredi 01 Novembre 2000 |
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Subject: | Hermes part. II (a propos du gris typographique) |
Date: | Wed, 1 Nov 2000 18:00:35 +0100 |
From: | Alain Hurtig <alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx> |
Suite, mais pas fin? ---------------------À ce stade, j¹ai consulté deux personnes (Thierry Bouche et Olivier Randier), dont j¹estime le travail et respecte l¹avis. Tous les deux ont estimé que ma colonne était trop étroite, que je serais obligé de composer dans un corps très petit et que j¹aurai du mal à obtenir un gris homogène. Bref, ça devenait un beau défi à relever.
--------------------- Force de corps et gris typographique.Corps 9, corps 10 ? Entre les deux ? Centaur me permettait de composer en corps 10 sans chasser exagérément. Sa métrique est assez souple, également (grâce à son interlettrage naturellement assez large) pour permettre quelques variations d¹approche ? mais en corps 9, ça devenait assez limite et j¹obtenais rapidement des lignes trop serrées.
Va pour le corps 10. Restait à régler les approches.D¹habitude, je règle tout en même temps, en faisant varier chaque paramètre à chaque essai et en regardant comment ils interagissent. La méthode est intéressante, mais dans cette justification, la moindre modification entraînait des changements considérables. J¹ai donc décidé de travailler de façon consécutive les espaces, puis l¹interlettrage, puis l¹interlignage.
--------------------- Espaces.Il m¹a bien semblé lors du choix de la police qu¹il y avait un problème avec les espaces, qui apparaissaient trop grandes et très irrégulières. Et pour cause : le document XPress ayant été primitivement créé sur une machine qui n¹est pas la mienne, j¹avais hérité sans m¹en apercevoir des absurdes réglages d¹espace par défaut de ce logiciel. Bienheureuse erreur ! Car j¹en ai profité pour travailler sérieusement ce problème-là.
Quand je suis embêté avec un problème que je ne sais pas résoudre, je vais consulter Jan Tischold (_Livre et typographie_, Éditions Allia, Paris, 1994). Je ne sais pas pourquoi, mais cet homme me fait toujours l¹effet de le lire pour la première fois, et de détenir en cachette la réponse à toutes les questions que se pose l¹artisan typographe.
Dans son chapitre consacré aux espaces et à la composition au tiers (une espace étant de la valeur d¹un tiers de la force de corps ? c¹est à peu près la valeur qu¹elle a conservée de nos jours, même si les créateurs ont à nouveau tendance à grandir cet espace au-delà du raisonnable), Tischold note que les espaces trop grandes déchiquettent les mots et les lignes. En particulier pour l¹allemand, langue dont les mots sont très longs, il évoque une composition plus serrée. Gutenberg composait au quart (l¹espace ayant en fait la chasse d¹un « i »), ce qui procurait un gris impeccable. Tischold rajoute qu¹en allemand et avec une composition serrée, il est presque impossible d¹éviter des césures fautives.
_Hermès dévoilé_ est en français, mais le texte emploie des mots inhabituellement longs, et j¹utilise une colonne plutôt étroite. Il me fallait donc composer serré, voir très serré. J¹ai réglé la valeur optimale de l¹espace à 80 % de sa valeur de départ.
Pour les espaces minimales et maximales, j¹ai décidé de ne pas laisser la bride sur le cou au logiciel : je le connais, il en profite pour faire n¹importe quoi dès qu¹on a le dos tourné. Après quelques tâtonnements, je suis arrivé aux valeurs minimales de 75 % et maximales de 85 % : une amplitude faible qui évite les espaces trop grandes ou trop petites, mais suffisante pour que le logiciel puisse travailler.
Il y avait ce problème de césures ? d¹autant plus crucial que XPress césure _avant_ de travailler sur l¹interlettrage et l¹espace-mots. Comment faire pour ne pas en avoir trop, et en même temps se préparer aux fausses coupes probables signalées par Tischold ?
Après quelques essais, j¹en suis venu aux valeurs suivantes : césures autorisées sur les mots de 6 caractères et plus, après la deuxième lettre du mot et avant la troisième lettre avant la fin du mot. Nombre maximum de césures consécutives : 3. Ça fonctionnait à peu près, même si j¹ai bien vu que XPress générait trop de césures (sans compter que l¹imbécile croit que l¹apostrophe est une lettre, et qu¹il se croit autorisé à césurer juste après !) et coupait avant des syllabes muettes. Mais ça se produisait suffisamment peu souvent pour qu¹il soit raisonnable de corriger à la main.
Au total, j¹ai trouvé que le résultat était plutôt satisfaisant, et générait des espaces inter-mots tout à fait honorables. J¹ai quand même eu quelques soucis avec la valeur de la « fine ». À 25 % du cadratin standard, elle amenait trop souvent les signes de ponctuation se coller à la lettre précédente (un problème de XPress, évidemment : la fine devrait à peine varier !) Ça commençait à devenir bien vers 35 %, 40 % (une valeur considérable). J¹ai adopté 40 %, avant de revenir à 30 %, parce que c¹était alors le phénomène inverse qui se produisait, et parfois les fines devenaient plus larges que les espaces (comme Jérôme Oudin me l¹a signalé [de façon assez elliptique, voire franchement cryptique] sur la liste Typographie.)
------------------- Interlettrage.Logiquement, les limites tolérées sont faibles. Disons entre -5 % et +5 %, en fonction du gris typographique qu¹on veut obtenir. Ça dépend des polices, de la force de corps, de la nature du texte, de la façon dont on travaille, mais bon, on est dans ces eaux-là. En principe, l¹interlettrage optimum est réglé à 0 % et seuls les sagouins mettent un interlettrage systématiquement négatif ou positif sur leurs textes (il y en a beaucoup, des sagouins : y¹a-t-il un DA dans la salle, que je m¹explique avec lui ;-))) Ou bien on _veut_ obtenir un gris très dense, c¹est un autre problème, mais alors gare ! parce qu¹on ne pourra plus tellement patiner en resserrant des lignes.
En l¹occurrence, le gris idéal aurait été obtenu si l¹interlettrage était réellement constant, sans que rien ne bouge nulle part. C¹était difficile à obtenir, d¹abord parce que XPress triche et interlettre sans qu¹on lui donne la permission (vieux problème) ; ensuite parce qu¹il était peu raisonnable de laisser la justification se faire essentiellement par l¹effet « chewing-gum » des espaces. Donc permettre au logiciel de resserrer un peu, lui permettre d¹écarter un peu les lettres, aussi : lui laisser un peu de jeu. Le réglage se fait comme d¹habitude, à coup d¹essais, de tirages papier, de nouveaux essais.
Pour me garder une marge de manoeuvre, me permettre de resserrer les lettres ici où là à la main (maximum -1, -1,5) en cas de besoin, et après plusieurs essais, je suis arrivé à un interlettrage minimum de 2 %.
En interlettrage maximum, j¹ai eu un problème? parce qu¹entre temps, j¹ai décidé de faire des paragraphes « à la Bordas » (voir plus loin). Ça voulait dire que j¹allais me trouver avec des lignes extrêmement étroites, parfois avec seulement cinq ou six caractères. Il fallait gérer tout ça, et j¹ai fait le choix de tolérer un interlettrage maximum de 5 % : parfois, les lettres sont monstrueusement écartées
----------------------- Interlignage.Ma première idée, c¹était qu¹il fallait compenser un peu la faiblesse des espaces par un interlignage un peu fort. Pas trop quand même, pour ne pas chasser trop. Et puis je déteste cette mode des interlignages très forts, avec presque une ligne sur deux qui reste blanche.
En fait, j¹avais tout faux, et c¹est même l¹inverse qui se produit ? j¹aurais dû à nouveau consulter Tischold, qui le dit sans détours.
Précisément parce que les lignes sont un peu sombres, l¹oeil se perd entre deux lignes lorsqu¹elles sont trop écartées. À l¹inverse, une composition peu serrée, ou sur une justification large, permet (et même parfois impose) un interlignage important.
En sorte que lors de mes essais, je n¹ai jamais dépassé un interlignage de 12, pour finalement décider que le top du top, le sommet du summum, c¹était 11,5 points. (C¹est entièrement subjectif, évidemment : un choix arbitraire, mais c¹était le mien ce jour-là).
---------------------- Une affaire de virgules? J¹en étais là, lorsqu¹une polémique a éclaté sur la liste Typographie.L e 2 octobre 2000, Jérôme Oudin écrivait, dans un mail intitulé _Accent sur les capitales et espaces_ : « Lefevre explique qu¹il faut une espace de la valeur d¹un point avant la virgule [?] Aujourd¹hui nous ne mettons plus d¹espace avant la virgule. [?] En composant sur une petite justification on a facilement des lézardes qui disparaissent si l¹on supprime les espaces liés à la ponctuation. »
Du coup, ça m¹a paru amusant d¹en mettre une, de fine, avant la virgule. Juste pour voir ce que ça donne, si ça choque l¹oeil ou au contraire si ça passe. Par ailleurs, je sentais bien que cette idée que ça créerait des lézardes était absolument fausse, et que c¹était le contraire qui se passerait. Mais naturellement, il fallait vérifier?
Je pense que la démonstration est doublement faite :- d¹une part le lecteur n¹est pas exagérément perturbé par cette espace inhabituelle et peut-être même cela aide-t-il sa lecture ? je n¹en infère naturellement pas que c¹est _comme ça_ qu¹il faut composer, je n¹oublie pas qu¹il s¹agit d¹un essai, d¹un jeu typographique - ; - d¹autre part, loin de générer des lézardes, l¹ajout d¹espaces tend à les faire disparaître.
Cet espace, je l¹ai créée directement dans Fontographer, en élargissant la bounding box de la virgule. J¹ai rajouté un chouia de blanc (la valeur du quart de l¹espace, si ma mémoire est bonne).
Une autre solution aurait consisté à rajouter cette espace directement dans XPress (à l¹aide d¹un paramétrage spécifique de ProLexis, par exemple). Je n¹y tenais pas, d¹une part pour ne pas avoir une espace trop importante (qu¹on se souvienne de la largeur prédéfinie de ma fine !), d¹autre part pour que cette espace ne se dilate pas trop au hasard des justifications de lignes trop blanches. Enfin, comment faire lorsque la virgule doit être juste un peu décollées de la lettre, mais pas franchement séparées (cas de la séquence « v, », par exemple). Un triplet [lettre-espace-virgule] n¹est pas gérable? Seule la fine « en dur », dans la police, permet de contourner l¹obstacle.
J¹aurais certainement dû rectifier ou créer certaines approches par paires, pour éviter des blancs optiquement douteux avant certaines lettres. Mais je n¹ai rien vu de réellement désastreux, alors j¹ai laissé tomber.
---------------------- ? et d¹accent sur les capitales.Tant que j¹y étais avec Fontographer, j¹ai travaillé un peu les accents sur les capitales et les petites capitales. Accents aigus et graves sont un peu moins penchés, les autres accents sont abaissés et légèrement aplatis. Bien entendu, les accents sur les bas-de-casse sont restés inchangés.
Ça se voit à peine, et peut-être même que ça ne se voit pas (surtout en corps 10), mais c¹est la seule façon d¹éviter des effets disgracieux, en particulier des accents qui touchent des descendantes situées sur la ligne d¹au dessus. Dans l¹absolu, chaque police soignée devrait être dessinée comme ça.
--Alain Hurtig mailto:alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx
---------------------------------------------------------------------------------- Or ça, salopins, serre-argent, palotins, hommes de finances, larbins chimiques, approchez ici. Qu'avez-vous à m'apprendre ? Alfred Jarry, _Ubu cocu_
- Hermes part. II (a propos du gris typographique), Alain Hurtig <=
- Re: Hermes part. II (a propos du gris typographique), dennis collins (23/11/2000)
- Re: Hermes part. II (a propos du gris typographique), Lacroux (23/11/2000)
- Re: Hermes part. II (a propos du gris typographique), Alain Hurtig (24/11/2000)
- Re: Hermes, Eric Angelini (24/11/2000)
- Re: Hermes, Jacques Andre (24/11/2000)