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Message : Re: Canons antiques

(Paul Pichaureau) - Vendredi 26 Janvier 2001
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Subject:    Re: Canons antiques
Date:    Fri, 26 Jan 2001 20:47:16 +0100
From:    Paul Pichaureau <pichaureau.paul@xxxxxxxxxx>

Jean-Marie Cardon a écrit :
> 
> Olivier RANDIER écrivait le 24/01/2001 0:53 :
> 
> > J'avoue aussi que ça me tentait de retrouver deux des canons antiques du
> > corps humain ;-)
> 
> Bonjour à tous,
> 
> Nouveau sur la liste, sans être pro de la typo (en fait, je suis
> journaliste), ce sujet me passionne néanmoins.
> 
> Qu'entends-tu exactement par canons antiques du corps humain ? J'avoue avoir
> un trou de mémoire de ce côté-là...
> 

  Je ne sais pas quels sont les canons antiques, je veux dire les
proportions exactes qu'on nomme "canon antique", mais à mon avis il doit
y en avoir plusieurs.

  Cette idée de canon est très ancienne. Pour faire bref, depuis que les
mathématiques existent, ou plutôt depuis qu'on a eu conscience que les
chiffres vivaient dans un monde autonome soumis à ses propres lois, on a 
cherché à transposer cette perfection logique à notre monde. "On" ce
sont 
d'abord les pythagoriciens, puis les néo-pythagoriciens, puis quasiment
tout
homme cultivé du Moyen-Âge occidental. 

  Dans cette affaire de canon, il ne faut pas perdre de vue qu'au
Moyen-Âge 
toute création était un tracé géométrique, et on imaginait pas de batir
une église, écrire une page ou concevoir une oeuvre d'art sans la tracer
au préalable, je veux dire par là en construire l'armature géométrique à
la règle, à l'équerre et au compas. Le canon désigne tout aussi bien une
sorte de mode d'emploi géométrique, un guide pour tracer une certaine
figure qu'un ensemble de rapport entre grandeurs. Depuis l'antiquité
jusqu'à relativement récemment, la distinction entre nombre et longueur,
entre figure géométrique et et quantité algébrique n'existait pas. Les
grecs pensaient en terme d'aire et de longueur des problèmes aujourd'hui
transcrits par des équations et les hommes du Moyen-Âge ne pensaient pas
autrement.

  Évidemment plus d'un penseur a cherché un rapport ultime, parfait, qui
révélerai l'harmonie intrinsèque de la nature. Kepler, par exemple,
cherchait
ce rapport dans le mouvement des planètes, alors que les humanistes ont
tenté de le chercher à la fois dans l'homme et dans l'antiquité, en
prenant comme modèle les statues et les constructions antiques. L'homme
parfaitement
proportionné devait avoir ses bras qui mesurait quatre fois ses mains, 
sa taille faisait 17 fois la longueur de ses pieds, etc. (je cite des
chiffres aux hasard).

  L'ironie, c'est qu'en tentant de retourner à l'Antiquité, ils le
faisaient en parfait hommes du Moyen-Âge, gardant les habitudes de
pensée du monde qui les avait produits.

  Et naturellement les imprimeurs, qui ont pris tant de choses aux
copistes, ont également repris leurs canons. 

  Aujourd'hui tout cela s'est évanoui. Pour nous les nombres forment une
immensité sans réelle cohérence. Nous ne voyons plus, littéralement, le 
rapport entre la hauteur et la largeur d'un rectangle, nous ne percevons
plus l'importance de la géométrie des espaces qui nous environnent, tout
en s'extasiant devant les beaux volumes d'un duplex ou la préciosité
d'une mise en page (sans savoir forcément que l'un et l'autre sont
nécessairement issus d'une réflexions sur les proportions).

  La faute à la standardisation, qui fait que toutes les portes et
toutes les
feuilles ont la même taille (je veux dire proportion) ou la faute à ces
fenêtres (d'ordinateur) dont je peux changer la taille à volonté, sans
compas ni équerre, simplement par un mouvement instinctif et bien mal
éduqué de mon poignet ? 

> Bonne journée.
> 
> JMC


			Paul