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Message : Re: Rue et typographes

(Jean Fontaine) - Vendredi 28 Septembre 2001
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Subject:    Re: Rue et typographes
Date:    Thu, 27 Sep 2001 18:16:35 -0400
From:    Jean Fontaine <jfontaine@xxxxxxxxxx>

Ces pauvres typographes devenus rues doivent se retourner dans leur tombe,
car tout typo consciencieux a horreur des rues (longues lézardes obliques
selon Ramat).

À propos de typos odonymisés, de tombes et de rues obliques, ci-dessous un
vieux truc que je ressors pour l'occasion.

JF

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From: "Jean Fontaine" <jfontain@xxxxxxxxxxx>
*    To: <typographie@xxxxxxxx>
*    Subject: Re: beaux panneaux typeaux
*    Date: Fri, 24 Jul 1998 02:33:23 -0400
*    Reply-To: typographie@xxxxxxxx

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Tiens, je lis justement, dans un hebdo, un article* sur le nom d'une rue
de mon quartier, nom qui est le fruit d'une coquille (une noix?) et qui
honore (insulte?) un... typographe!

Un certain Joseph Guibord a déchaîné les passions dans le Montréal des
années 1870. Typographe de profession et (donc?) libre-penseur
anticlérical, il faisait partie du subversif Institut Canadien, dont les
activités irritaient à tel point l'évêque local que celui-ci demanda au
pape, en 1869, rien de moins que l'excommunication de tous les membres.

Quelques semaines après cette demande, Guibord mourait sans s'être repenti
et l'inhumation dans un cimetière catholique lui était refusée par
l'évêque. Il s'ensuivit un feuilleton judiciaire, aux multiples
rebondissements, une véritable « affaire Guibord » qui fit couler beaucoup
d'encre et qui n'aboutit qu'en 1875 par une décision favorisant Guibord.
Grâce à la protection de l'armée, le corps du typographe (corps 12?),
devenu l'emblème de la lutte contre la toute-puissance de l'Église, fut
finalement inhumé dans le cimetière, non sans qu'on prenne la précaution
de couler une dalle de béton armé sur son cercueil. L'évêque eut beau
déconsacrer la parcelle de terrain entourant la tombe, la victoire était
dans le camp libéral.

L'émotion populaire causée par l'épisode incita la municipalité à dédier
une rue à Joseph Guibord et elle choisit de rebaptiser une partie de la
rue des Carrières. Malheureusement, l'erreur d'un scribe mal renseigné ou
mal intentionné transforma son nom en « Gilford », nom qui est resté. Ce
nom à consonance anglaise ne rappelle donc pas un quelconque
administrateur britannique du XIXe siècle, comme on serait tenté de le
croire par analogie avec d'autres odonymes de Montréal.

La déviance idéologique de notre héros typographe se perpétue dans
l'orientation de la rue rebaptisée en son honneur : la rue Gilford est
bien connue pour être la seule rue diagonale d'un quartier platement
orthogonal... Gilford, c'est le fou dans l'échiquier, quoi.

C'était ma contribution aux petites anecdotes péri-typographiques du temps
des vacances...

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* « Gilford, la rue croche du Plateau », par Stéphane Batigne, dans
« Ici », 23 juillet 1998, p. 9.  (J'ai cité certains bouts textuellement.)

Jean Fontaine
jfontain@xxxxxxxxxxx

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