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Message : Re: Et pis... scènes

(Luc Bentz) - Dimanche 06 Janvier 2002
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Subject:    Re: Et pis... scènes
Date:    Sun, 6 Jan 2002 15:53:11 +0100
From:    "Luc Bentz" <bentz-lf@xxxxxxxxxx>

[Je double dans news:fr.lettres.langue.francaise et sur la liste
langue-fr de Patrick Andries par messages séparés sans nom de
préopinant. La discussion sur le fond y sera plus adaptée... sauf plus
les questions... et les réponses plus spécifiquement typographiques.]


----- Message d'origine -----
De : "Lacroux" <lacroux@xxxxxxxxx>
À : <typographie@xxxxxxxx>
Envoyé : dimanche 6 janvier 2002 13:10
Objet : Re: Et pis... scènes


> [JPL]  En échange de modestes joies contingentes, les femmes renoncent
> explicitement à la « valeur permanente » qui était de plein droit leur
> bien. C'est salement machiste, la féminisation des titres et des
> fonctions.

    Mais quand on regarde la situation du marché du travail, à
qualification et expérience égales (et de même lorsqu'il s'agit des
statistiques du chômage), on mesure bien l'ampleur de discriminations
bien ancrées. Même dans la fonction publique où les carrières sont
régies par des dispositifs cadrés, on constate des inégalités pour un
même corps et un même grade, pour une double raison : les primes et
heures supplémentaires, le temps partiel. Le vieux modèle est encore
dans les têtes, celui qui fonctionnait dans la société telle qu'elle
était entre 1945 et la fin des années soixante : à l'homme la noblesse
du travail (hormis quelques carrières réputées féminines dont l'image
maternante à défaut d'être maternelle n'était pas absente) ; à la femme
la charge du ménage et une reconnaissance sociale par le biais
d'allocations familiales (c'était l'ère du baby-boom) et d'une
allocation de salaire unique qui représentaient une part notable des
revenus des familles modestes.

    On me permettra de ne pas prendre ces sujets-là à la rigolade parce
que j'ai effectivement travaillé dessus, comme sur les questions de
minima sociaux ou de retraites : là encore, l'inégalité actuelle -- qui
témoigne bien des inégalités professionnelle cumulées -- est patente :
dans les répartitions traditionnelles qu'on fait entre salariés du privé
(ceux qui ont cotisé à l'Agirc 15 ans et plus -- donc dont une part
notable de la carrière a été faite comme cadres ; ceux qui ont cotisé
moins de 15 ans à l'Agirc ; ceux qui n'ont cotisé qu'à l'Arrco), il y
avait pratiquement (sauf au bas de l'échelle) le même écart de pensions
obligatoires (sécu et retraites complémentaires) entre les hommes et les
femmes qu'entre les hommes de la catégorie supérieure et ceux de la
catégorie inférieure.

    On peut se cacher derrière son petit doigt, comme l'Académie, et
confondre ledit doigt avec une prétendue « neutralité ». N'empêche. Les
stérotypes sociaux sont bien là, bien implantés. J'ai longtemps combattu
la notion de « parité » aux élections. Malgré ses inconvénients, on peut
établir un constat : la situation dans d'autres pays (les nordiques en
particulier) n'a évolué que parce qu'à un moment il y a eu contrainte.
Il en va de même en matière socio-économique. Le symbole ne suffit pas,
tant s'en faut , mais les évolutions passent aussi par le symbolique.

    Je me suis toujours étonné, à l'époque, de devoir dire « Madame LE
Recteur » à Hélène Ahrweiller, quand elle officiait à Paris. Évidemment,
les choses étaient plus simples lorsque tous les recteurs étaient des
hommes : voilà qui réglait la question ! On peut penser cependant que,
dans la mesure où les femmes arrivant aux postes de responsabilité ne
sont plus « les exceptions (féminines) qui confirment la règle (de
masculinité) », avec ce sous-entendu très entendu |dans tous les sens du
mot] « Elle au moins, elle a des couilles ! » (donc si ce n'est pas un
homme, elle mériterait de l'être), on peut donc penser qu'il faudra bien
que les habitudes évoluent.

    Et cela passe aussi par les mots : Mgr Dupanloup (illustre par sa
chanson, mais aussi par son « Je vous réclame la liberté au nom de vos
principes ; je vous la refuse au nom des miens ») avait démissionné avec
fracas de l'Académie française parce qu'elle avait admis Littré et qu'il
avait commis le crime, dans son dictionnaire (et peut-être même
seulement le Supplément, d'ailleurs) de ne pas considérer que « laïc,
laïque » désignait seulement un non-clerc. Les mots ont leur force.
Bracke-Desrousseaux, militant sans doute oublié aujourd'hui (sauf des
chartistes, j'espère, dont il fut une illustre figure ), disait que les
questions de vocabulaire sont importantes
parce que, derrière les questions de mots se cachent souvent des
questions de fond.

> Comment les experts du sexisme linguistique prononcent-ils
> « enseignant-e-s » ?

Voilà le problème.

> Eh oui, chers camarades... la beauté de la chose est là : les
rectificateurs
> de salon qui veulent (bêtement) réduire l'écart entre l'oral et
l'écrit sont
> également ceux qui tentent d'imposer « enseignant-e-s »... Leurs
priorités
> sont hiérarchisées, et le sectarisme phonochosiste s'efface devant les
> impératifs sexistes.

Je ne suis pas sûr que les féminisateurs soient tous phonochosistes, ni
que tous les rectificateurs soient féminisateurs. J'observe que
l'Académie elle-même n'y est pas hostile : elle établit seulement un
distinguo entre les noms de métiers, d'une part, et les noms de grades,
titres et fonctions, d'autres part (en quoi d'ailleurs elle se gourre au
moins partiellement).

> C'est ici le combat du jour et de la nuit... de la cité contre le
> communautarisme... et il n'est pas gagné d'avance.

Méfions-nous des grandes formules.

Il y a de mon point de vue un mouvement de fond vers la mixité
(autrement dit le fait qu'on ne demande pas à une femme de se déguiser
en homme ou d'en adopter les comportements pour accéder à telle ou telle
fonction). Je pense pour ma part que la forme alternée -- s'agissant des
offres d'emplois -- est la meilleure parce que là, qu'on le veuille ou
non, c'est bien un problème d'« accessibilité » qui se pose et qu'il
existe des discriminations hélas ! cumulatives (comparez statistiquement
les chances à
l'embauche d'un Gaulois bien pâle face à une concurrente
issue de l'immigration).

Dès qu'on identifie une personne et la fonction (quand on lui parle :
« Madame la Ministre » ou quand elle signe), il n'y a pas de problème.
Quand il s'agit de textes globaux (par exemple statutaires dans le
secteur public, conventions collectives désignant des métiers ou des
emplois dans le secteur privé), le masculin pluriel « généraliste » ou
 neutralisé » ne
me choque pas (mais je ne serais pas choqué non plus par une
biformulation).

Bien cordialement à tous,
en m'excusant d'avoir été si long et, sans doute, si enflammé
(mais pas
pour enflammer quiconque).

Luc Bentz -
http://www.langue.fr.st/
http://www.chez.com/languefrancaise/
--
« C'est quand les accents graves tournent à l'aigu
que les sourcils sont en accent circonflexe » (Pierre Dac)