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Message : Re: ASCII sans @ en Espagne !

(Thierry Bouche) - Dimanche 13 Janvier 2002
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Subject:    Re: ASCII sans @ en Espagne !
Date:    Sun, 13 Jan 2002 13:36:23 +0100
From:    Thierry Bouche <thierry.bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>

Jacques Andre a écrit :
> 
> Sans vouloir interrompre le début de débat de Thierry Bouche sur Sa bon, je me
> permet de revenir sur l'histoire d'@,  venant juste de tomber sur un truc assez
> cocasse !


c'est juste. Suivre le cheminement de l'arrobe me semble aussi difficile
que l'histoire de son ductus... -)

Je ne faisais que résumer ce qu'on m'a dit sur la liste Apuntes. Ce
n'est d'ailleurs pas vraiment contradictoire, parce qu'il y avait
quelque part les mots « avant l'adoption du système métrique » dans ce
que j'écrivais naguère. 

En gros, ce qu'on m'a dit pourrait expliquer une sorte de migration de
l'arrobe, partant d'Espagne pour se poser en Amérique du Sud, y servant
pour d'autres mesures que le quart de quintal. Cette présence de
l'arrobe en Amérique du Sud vers la fin du XIXe pourrait expliquer,
outre quelques désordres telluriques ou typhonés, sa nécessité sur les
machines Underwood utilisées dans les prospection minières américaines
(aller voir du côté du Chili, l'hypothèse selon laquelle l'arrobe
représente un Mexicain en mode toupie vu depuis un satellite de la
guerre des étoiles ayant été écartée par les experts). À partir de là,
toutes les hypothèses sont permises, la rencontre avec la ligature ad
provenant en fait du à français (vous a-t-on déjà dit que l'accent sur
ce à est en fait ce qu'il reste d'un d atrophié ?) se fait à New-York le
08 janvier 1927 alors qu'elle débarque en grande pompe dans le livre de
comptes d'un immigré juif qui donnera naissance, par quelques
descendants interposés, à Philip Roth et Woody Allen -- le piquant de
l'histoire étant que ce monsieur Arobian, Arménien d'origine, était
précédemment installé dans le canton de Neuchâtel.

Bref, ce jour-là le mal est fait : le @ est sur les machines à écrire
américaines, ce qui permet à la fois de commercer avec les anciennes
colonies espagnoles, et de préciser en notation tironienne que c'est
bien @ 8 h 00 que l'on a RV @irisa.fr. Que les espagnols, puis les
colonies, passent au système métrique et jettent donc leur usage de
l'arrobe aux oubliettes -- ils paient d'ailleurs pour cela en se voyant
durablement infligés l'infâmie de dictatures et de pratiques sordides --
ne doit pas nous faire croire que le virus s'arrête en si bon chemin. Au
contraire, l'unité étant tombée en désuétude, il est un pur glyphe, un
signifiant sans signifié, que la vague structuraliste va porter au rang
de symbole universel. À l'époque, donc, où les Américains l'acceuillent
en fanfare dans leur tout beau nouveau codage, le monde hispanique est
plus préoccupé, finalement, de pouvoir transmettre les caractères
accentués nécessaires à la langue écrite -- cela malgré la censure, qui
ne se contente pas d'ôter les accents -- car l'estructuralisme a canné,
comme Roncevaux, quelque part dans les Pyrénées.

Pour ceux qui n'ont pas tout suivi, j'abstrais la substantifique moelle
: al-roub -> arroba (Andalousie, 960 AD) ; 1492 : les caraïbes
découvrent l'arrobe grâce à Colomb et lui offrent des patates en
échange, ils en font immédiatement une unité de compte ; l'arrobe
remonte ensuite dans les chausses de Cortez, on signale sa présence à la
création du vice-royaume de Pérou -- le vice-roi le porte à la
boutonnière. 1810 : de grandes firmes américaines exploitent les
gisements d'arrobe trouvés au Chili, ils mettent Pinochet au pouvoir et
changent les règles du foot. 1973 : le type qui doit ce vendredi
dix-huit heures rendre un projet de codage pour l'association de
normalisation américaine qui l'emploie sans aucune protection sociale
pour un salaire misérable d'un seuil de pauvreté à l'heure tombe tout à
coup en panne au moment de remplir la case A0B9G : le trou, le vide, une
béance qui tournoie. S'il ne boucle pas ce rapport dans la minute, il
sait que sa petite amie ne l'attendra pas pour la dernière
représentation de _la Fièvre du samedi soir_, qu'elle y fera la
rencontre d'un basketteur noir, que la main qu'il n'aurait pas manqué de
demander à son père une huitaine après cette première démarche partira
dans la poche d'un autre, qu'il n'aura pas les trois enfants blonds qui
lui ont donné de si beaux petits enfants verts, bref que sa vie sera
foutue, à refaire depuis le début, et qu'il ne lui reste, là, plus que
trente seconde avant le départ du prochain bus. En désespoir de cause,
il regarde les touches de la vieille Underwwod avec laquelle il est en
train de taper son rapport, il voit un machin qui semble bien symboliser
son désespoir, qu'il n'avait vu nulle part auparavant, il met ça,
cachète l'enveloppe, la place sur le bureau de son patron qui part à
Washington le lendemain à l'aube pour négocier ce nouveau codage avec
IBM. Il attrape de justesse le trolley qui n'était donc pas un bus,
Marjolène ne l'attend plus mais sa soeur est restée pour le lui dire, il
l'épouse, elle est stérile : ils adoptent une quinzaine de Coréens. Il
fume un cigarre devant la cheminée en savourant l'instant présent, la
pirouette habile grâce à laquelle il vient de sauver sa peau. Les ennuis
de Jacques André ne font que commencer...

Th.