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Message : Re: [typo] Capitale universitaire..

(Jean-François Roberts) - Lundi 13 Octobre 2003
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Subject:    Re: [typo] Capitale universitaire..
Date:    Mon, 13 Oct 2003 16:57:15 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Merci de cette mise au point, à laquelle je me rallie volontiers. Mais vous
avez tort d'en faire une question de générations. Et tort de croire que, en
ce cas, la valeur serait d'un seul côté. Quant à votre mépris affiché pour
la Gestalt - apport historique, mais toujours d'une grande actualité en
travaux sur la reconnaissance des formes - voilà qui fait preuve surtout
d'un manque d'intérêt (ou d'une méconnaissance), concernant la psychologie
et les sciences cognitives en général.

Pour ma part, je n'ai jamais contesté la validité des marches qui accentuent
les majuscules. Mais je nie, bien sûr, qu'elles soient seules valables. Et
je me demande quel crédit apporter à l'alexie subite dont les tenants de
l'accentuation se prétendent atteints, face à une phrase (ou un mpt !) en
tout-cap. non accentué... Ce qui, rappelons-le, n'a *rien à voir* avec la
question des *majuscules* en texte b.d.c.

Quant à la simplicité, en typo, elle n'est pas du côté de la simplicité
*logique*, mais bien de la simplicité *visuelle* du caractère, et du mot.
Distinction assez fondamentale, me semble-t-il, et au c¦ur du débat sur
l'utilité d'accentuer les majuscules.

Vous êtes le premier à clamer bien haut cette distinction entre majuscules
et capitales. Soit ; ça montre le sérieux de votre démarche typo. Mais
alors, il faut en tirer la conclusion qui s'impose : en opérant cette
distinction, vous vous interdisez par là même de tirer argument des
problèmes éventuels du tout-cap. pour justifier vos préconisations pour les
majuscules. Je me permets de reprendre un développement déjà tenu par
ailleurs (que ceux qui en auront déjà lu quelque chose me pardonnent...).

Il est tout de même bizarre que les partisans des cap. accentuées soient
apparemment incapables de fonder leur argumentation sur... ce qui se passe
réellement en typo, voulant à tout prix aligner la pratique de cet art sur
les solutions proposées pour résoudre les problèmes d'une portion infime de
sa production (titraille...) et, dans cette proportion infime, d'une
minuscule (sans jeu de mots !) minorité (1 %, disons) de cas problématiques.

RETOUR SUR LE B.D.C. :
Et si on partait donc de la vraie typo ? celle qui gère le b.d.c. avec
majuscules occasionnelles en cap. ?

Un argument serait : les cap. sont une autre forme de lettre (casse
supérieure, ou haut-de-casse), parallèle au bas de casse. OR, les b.d.c.
comprennent des lettres accentuées. DONC, il faut que les cap. comprennent
des lettres accentuées. OR, les polices contiennent des cap. accentuées.
DONC, il faut utiliser les cap. accentuées chaque fois que l'orthographe
l'impose (en l'occurrence, pour les majuscules initiales de mots comme
Édouard, État, etc.).

Ces deux "DONC" sont évidemment fallacieux. D'abord (de façon évidente), ce
n'est pas parce qu'on a quelque chose que l'on *doit* s'en servir à chaque
occasion et en toute occasion (ça ferait penser au réflexe du pauvre qui
veut "faire riche" - et a au mieux l'air endimanché).

La deuxième erreur est plus profonde, et plus subtile : c'est de croire que
cap. et b.d.c. sont deux ensembles équivalents de caractères (ce que
démontrerait la correspondance biunivoque entre les lettres cap. et b.d.c.).
Or, pour que cela fût vrai, encore faudrait-il que ces deux ensembles jouent
*le même rôle* dans la phrase : ce qui n'est manifestement pas le cas. Plus
précisément, cela n'est vrai (jusqu'à un certain point) que si on compare
texte normal (b.d.c. + majuscules) et tout-cap, justement (voir ci-dessous).
Sinon, on se retrouve devant le phénomène bien connu en linguistique : si
deux formes coexistent dans un même discours, elles se différencient par
leur rôle (leur position structurelle) dans le discours.

Dans le texte b.d.c., il est clair que la coexistence de deux formes de
caractères recouvre deux rôles structurellement bien distincts : le message
court sur les b.d.c. Les cap. servent à marquer les grandes articulations
(début de phrase), et les éléments particuliers que sont les abréviations
(M., Mme, SJ) et les noms propres, désignant des personnes, des entités ou
organismes en tous genres, des titres d'¦uvres, etc.

Les cap. *ne sont donc aucunement lues comme des b.d.c.* : le contexte (le
plus souvent, le mot dont elles sont la majuscule initiale) supplée au
défaut d'information qui pourrait survenir. Et, dans ce cas de figure
(l'immense majorité des cas d'utilisation de la cap. en typo !), l'accent
est tout bonnement superfétatoire.

Encore une fois, on sera bien en peine de trouver *un seul* cas de mot
(français) en b.d.c. avec cap. initiale où le moindre doute, ou une
ambiguïté *réelle* pourrait naître (ou subsister) du fait de cette
non-accentuation *de l'initiale*. Les typos ont vite remarqué l'aisance
supplémentaire d'une lecture non encombrée de ces appendices inutiles : d'où
la marche fréquente, de caps non accentuées dans le texte b.d.c. Arguer de
la cédille, à ce propos, montre surtout une grande insouciance quant à la
nature spécifique des *accents*, comme sous-classe de diacritiques.

Venons en donc à cette pratique minoritaire (mais pratiquée de tous et
toutes : minoritaire quant au volume en cause) qu'est la titraille. Pas de
problème : on passe en tout cap. Mais, de ce fait, la distinction entre
majuscule et texte courant disparaît.

Enfin - triomphez-vous - il faut donc accentuer les cap., là, on n'y coupe
pas !

Que nenni : ou plutôt que si, on y coupe parfaitement, la plupart du temps
(99 % du temps, pour fixer les idées). Désolé de vous décevoir en
contredisant (tout à fait empiriquement) ce principe sacré.

Rappelons que je travaille (comme correcteur) au _Journal officiel_ ; plus
précisément, aux Journaux officiels - ce qui représente 22 séries de
publications... qui sont évidemment loin d'avoir toutes la même marche, ni a
fortiori la même marche que le _Journal officiel_ proprement dit (ça serait
trop simple).

Il se trouve que la série de fascicules des _Associations_ (annonces de
créations, modifications, fusions, dissolutions) a une structure de journal
d'annonces : réparties par départements, et pour chaque département en
rubriques (créations, modifications, etc.). Dans chaque rubrique, chaque
annonce se signale par le libellé de l'association en cause, en TOUT-CAP.
GRAS. C'est très joli. Et plein de noms propres (et communs) en tous genres.

Or, la marche des _Associations_ est spartiate dans sa simplicité : libellés
en tout-cap. gras NON ACCENTUÉ. Vous triomphez déjà (trop vite) : j'ai bien
dû mettre l'accent sur "ACCENTUÉ" (pour éviter la confusion avec le présent
de l'indicatif). La marche prévoit bien sûr ce cas : si un mot prête à
confusion (exemple : "RETRAITÉS" pour "RETRAITES"), alors - et alors
seulement - on accentue les cap., dans tout le libellé.

Vous pouvez voir ça en ligne :

http://www.journal-officiel.gouv.fr/

Dans la rubrique "Les annonces publiées au JO Associations", cliquer sur
"consulter les annonces". Vous êtes sur la page d'accueil et de recherche
des _Associations_. Cliquez sur le bouton "Dernière parution".

Vous y êtes : le dernier numéro en version HTML, mais avec typo garantie
conforme à l'original imprimé. Vous pouvez vérifier : tout-cap. gras non
accentué. Faites une recherche pour trouver *un* libellé en tout-cap.
accentué : ça ne vient pas vite...

D'où ma conclusion (que vous pourrez vérifier par vos propres sondages) : en
tout-cap., la cap. accentuée ne s'impose, en pratique, que dans 1 % des cas.

CQFD

Ça se comprend : si j'écris INTERET et DEJA, vous n'aurez aucune hésitation
à me comprendre. De même si je vous dis qu'il serait temps que je prenne des
CONGES. Comme aucun autre mot ne ressemble, à un accent près, à ceux qu'on
vient de voir en cap., le lecteur ne se pose même pas la question. Et de
même s'il est question des ETATS-UNIS ou de L'ILE DU PRINCE-EDOUARD.

La question se pose, bien sûr, pour CONGRES, en ce que là, bien sûr, le
pluriel de CONGRE obscurcit la référence au CONGRÈS. Mais enfin (mis à part
le côté de poncif de cet exemple peu réaliste), la plupart des ambiguïtés
jouent en effet sur la dernière syllabe, ou l'antépénultième
(MODÈLE/MODELÉ). En tout cas, ça ne pose problème que pour un nombre limité
de mots. 

Soyons clairs : je ne prône pas la marche du _JO Associations_ comme modèle.
Mais elle a l'immense mérite... d'exister, et de démontrer journellement
qu'elle est fonctionnelle.

De façon générale, le 1 % d'ambiguïtés (entendons : 1 % de phrases où *un*
mot est ambigu, vu le contexte - pas 1 % de *mots* ambigus !) justifiera
l'adoption, par les marches usuelles, de la solution du tout-cap. accentué -
par souci d'uniformité et de cohérence visuelle, plus que par nécessité
absolue.

En particulier, on voit qu'il est faut que, en tout-cap, la nécessité se
fasse sentir d'accentuer systématiquement les cap. : ça se lit très bien non
accentué.

CONCLUSION : 
En tout-cap. aussi, les cap. *ne se lisent pas comme les b.d.c.*

Ce paradoxe n'est qu'apparent. C'est que nous apprenons tous à lire, et à
écrire, en minuscules (la b.d.c. des typos) avec majuscules pour scander le
texte. Notre mémoire visuelle des mots (l'image-mot, ou "image du mot" comme
le disent fort bien les Allemands : "Wortbild") dicte notre attente quant à
l'apparition (ou non) d'accents - censés indiquer et différencier le sens.
En fait, ils sont simplement partie intégrante de l'identité du mot en
b.d.c. Dès que nous passons en cap., cette mémoire visuelle disparaît, et
nous analysons le texte selon des critères *sémantiques* : l'¦il informé par
le sens *supplée les accents* - sauf ambiguïté irrémédiable.

En bref : tout-cap. accentué (pour pallier quelques rares ambiguïtés et
garder une cohérence visuelle). Mais la plupart des titres marcheront fort
bien sans accent aucun...





> De : Thierry Bouche <thierry.bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>
> Société : Nonsense Inc.
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Mon, 13 Oct 2003 11:14:25 +0200
> À : typographie@xxxxxxxx
> Objet : Re: [typo] Capitale universitaire..
> 
> Le lundi 13 octobre 2003 à 10:31:28, goudal goudal écrivit :
> 
> 
> 
>>> 
>>> L'orthographe et l'orthotypographie  ne sont pas là pour faciliter les
>>> premiers pas en lecture, mais pour permettre au lecteur confirmé de se
>>> couler dans un texte. Votre argument ne tient donc pas.
> 
> gef> Source de cette affirmation ?
> 
> 
> ben c'est tout à fait exact, Frédéric : les règles d'orthotypo sont
> destinées aux lecteurs aguerris, pas aux bébés. Le bénéfice évident des
> ligatures en _f_ pose quelques problèmes aux apprentis lecteurs, par
> exemple...
> 
> Je faisais référence aux difficultés d'un enfant non pas pour prétendre
> que la discussion portait sur les premières heures de la lecture, mais
> pour bien marquer le fait que le « naturel » auquel J.-F. R. faisait
> référence était la conséquence d'un apprentissage plutôt
> contre-intuitif. Ça n'est pas en soi un argument définitif, puisque
> l'usage de l'alphabet est probablement aussi un acquis contre-intuitif
> imposé par le milieu social...
> 
> Ce que je conteste, c'est la naturalité d'un procédé qui est très
> historiquement marqué : un type de la cinquantaine qui est passé dans sa
> jeunesse par les oukases scolaires anti-accentuation, qui a lu ensuite
> une majorité d'imprimés dans lesquels les majuscules sont dénuées
> d'accent, _préfère_ voir des caps sans accent. Il peut même aller
> jusqu'à trouver plus simple une relation complexe entre une minuscule
> et sa majuscule qu'une limpide correspondance biunivoque, pour garder le
> vocabulaire de son époque.
> 
> Les problèmes relatifs à ce discours sont nombreux, mais mon sentiment
> est qu'ils ne relèvent en rien d'une argumentation rationnelle, ce qui
> explique le dialogue de sourds.
> 
> On a d'un côté un école récente, qui s'assied sur une longue tradition
> assez largement entâchée d'incohérences, tout de même. Cette école
> prône : clarté, intégrité, généricité. Les tenants de cette école qui se
> cherchent des références indiscutables, des arguments d'autorité, n'ont
> pas de chance : c'est une école nouvelle, on trouvera des plaidoyers, des
> argumentaires de qualité, voire même des comptines plutôt marrantes
> (é, E, É du ci-devant J.-P. Lacroux dans son funeste _Tombeau_), mais
> pas de vieux dogme poussiéreux estampillé de quelque cachet prestigieux.
> 
> On a de l'autre côté l'école classique, qui ne trouve rien à redire à
> l'incohérence du traitement des accents selon la (les) tradition(s),
> voire qui la justifie par des sommets de mauvaise foi pseudo
> gestaltienne.
> 
> Il n'y a rien à ajouter à cela : on ne peut que constater que la plupart
> des journaux appliquent ça, qu'il y a toujours eu des livres où tous les
> accents ont été imprimés, d'autres où seuls certains accents survivent
> dans certains contextes.
> 
> il faut voir qu'une référence à l'Académie pour trancher cette question
> est périlleuse : que disait-elle il y a vingt ans, cinquante ans, cent
> ans ? L'orthographe était-elle différente ? Les imprimeurs ne
> disposaient-ils pas de la capacité d'imprimer les caps accentuées ? La
> référence au lexique de l'I.N. est également dangereuse : selon
> l'édition, on n'accentuera pas les majuscules, ou toutes sauf le À, ou
> carrément toutes ! Je suis entièrement d'accord avec Jean-François sur
> le fait que prendre un dictionnaire en exemple est débile : heureusement
> que les impr. cour. ne sont pas c. comme des Dict.* !
> 
> Bref, là où nous convergeons, c'est sur le fait qu'il faut se décider en
> son âme et conscience (et en fonction des contraintes : c'est le donneur
> d'ordre qui a raison !). Là où nous divergeons, c'est juste sur le fait
> qu'en regardant bien les diverses éventualités dans le blanc des yeux,
> il y en a une qui n'a que des avantages et l'autre qui a un seul
> avantage : ne pas choquer les yeux de ceux qui s'y sont habitués.
> Mais ça aussi, c'est un des rôles de l'orthpotypo ! lisser la
> présentation du texte pour que sa forme ne dérange pas le lecteur.
> 
> On avait convenu il y a déjà quelques années que quasiment tous les
> avantages de la « marche » panaccentuée étaient assurés si l'on
> saisissait l'information intègre (bon code ISO ou unicode) et qu'on
> utilisait une police où les glyphes des capitales seraient dépourvus
> d'accents. Mais cette « solution » montre bien, il me semble, de quel
> côté se trouve la simplicité !
> 
> 
> 
> 
> 
> Thierry Bouche   
>