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Message : Re: [typo] impressions chinoises

(Jean-François Roberts) - Mardi 25 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] impressions chinoises
Date:    Tue, 25 May 2004 01:25:24 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] impressions chinoises
Oui... vous trouverez une description semblable dans le recueil _Les Trois Révolutions du livre_, dans l'étude de N. Monnet, "estampage et xylographie, deux aspects majeurs de l'imprimé chinois", p. 51-62 (p. 58 pour la préparation des planches xylographiques).

L'intérêt de cette étude est de rappeler la première phase de l'imprimerie naissante en Chine : l'estampage, sur stèles de *pierre* parfois monumentales - et non moins artistement calligraphiées que les planches xylographiques par la suite... Attention : le procédé est exactement à l'inverse de la xylographie : on pose le papier sur la stèle, humidifié et brossé pour le faire adhérer et rentrer dans les anfractuosités gravées (on s'aide à cet effet d'un poussoir). On passe alors une brosse d'encrage sur la face visible du papier : la feuille est noircie, *sauf* les zones en creux : le texte apparaît donc en réserve sur le fond noir, "en négatif" si on    veut...

Un procédé analogue sert, de nos jours encore, à relever les dalles et inscriptions, en Europe même, par "frottage". Mais, en Chine, il servit systématiquement à reproduire des classiques, gravés dans la pierre.

Selon N. Monnet : "A partir de 175 de notre ère, l'empereur ordonna l'établissement d'une édition de pierre des textes classiques canoniques, gravées sur un mur de plus de quarante dalles. Les lettrés de tous âges adoptèrent cette version standardisée et une foule nombreuse s'y pressait quotidiennement pour copier, mais sans doute pas encore pour estamper. Ce projet visait la normalisation, validée par l'empereur, des textes collationnés par les plus éminents lettrés de l'époque. (...) Cette entreprise, monumentale dans tous les sens du terme, fut renouvelée à sept reprises, la dernière fois au XVIIIe siècle, à l'apogée de l'activité érudite ; il s'agissait de surpasser tous les travaux éditoriaux précédents, parmi lesquels les inscriptions lapidaires, qui eurent de tous temps la faveur des lettrés." (P. 53-54.)

"Parfois calligraphié à même la pierre, le texte est généralement reporté avec une grande fidélité par des maîtres graveurs. Les plus talentueux s'efforcent d'imiter l'exact cheminement du pinceau plus ou moins chargé d'encre et de restituer les pleins et déliés." (P. 54.)

"Des traces d'encre ont été relevées sur des objets vieux de trente-cinq siècles. Quant au papier, il devint progressivement d'usage courant sans doute à partir du IIe siècle av. J.-C. Pourtant, aucune preuve matérielle attestant formellement la pratique de l'estampage antérieurement au VIIe siècle apr. J.-C. n'a encore été trouvée. (...)

"Une (...) pièce du début du IXe siècle prouve sans ambiguïté que des dalles servirent de matrices. Paul Pelliot, qui la découvrit, note que "c'est déjà un texte gravé expressément en vue de l'estampage sur un certain nombre de dalles plus longues que hautes et numérotées". Douze feuilles au format d'origine des dalles, pourvues d'un filet d'encadrement et d'une numérotation, constituent un rouleau complet de plus de onze mètres. Il s'agit d'une copie de sûtra du 8 mai 824, commandée au célèbre calligraphe Liu Gongquan, dont la disposition présente un nombre constant de caractères par colonne. (...)" (P. 55.)

"D'apparence fragile, l'estampage se révèle paradoxalement aussi durable qu'un manuscrit ou un imprimé, tandis que les pierres trop fréquemment estampées souffrent de l'usure et des outrages du temps. Les tirages plusieurs fois centenaires sont très prisés. Des possesseurs de bronzes antiques ou d'inscriptions rares pouvaient les estamper plusieurs centaines de fois puis faire relier ces relevés originaux [sic - J.-F.R.] en albums. Regravés sur bois à l'imitation de la gravure sur pierre, ces fac-similés en format réduit, enrichis de notes et de colophons, touchaient un plus large public." (P. 56.)

Et la boucle est bouclée...


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Mon, 24 May 2004 23:57:10 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : [typo] Re: impressions chinoises



Qq mots pour revenir sur l'imprimerie en Chine (xylographie vs typographie).

On retrouve le papier là où ne l'attendait pas : comment les xylographes préparaient-ils leurs formes imprimantes ?

Le texte à reproduire était calligraphié au pinceau sur un papier très fin, presque transparent (une sorte de papier pelure je suppose). Le feuillet était retourné sur une planchette en bois de poirier et le graveur pouvait commencer son travail, la calligraphie étant vue à l'envers, par transparence.

La xylographie, c'était du facsimilé de calligraphie ! Le tracé du pinceau trahissait l'ordre des traits qui relevait presque, pour un Chinois, de l'ordre orthographique...

On dit même qu'à l'époque des Song (Xe-XIIe siècle), les éditions xylographiques étaient si belles que le nom du calligraphe y était reproduit*.

Pierre Schweitzer

* : "L'écriture chinoise", Viviane Alleton, PUF, 1970-2000