Archive Liste Typographie
Message : Re: [typo] "hainième" fois

(Jacques Melot) - Mercredi 12 Mars 2014
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: [typo] "hainième" fois
Date:    Wed, 12 Mar 2014 12:52:12 +0100
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: Re: [typo] "hainième" fois
 Le 10/03/14, à 13:35 +0100, nous recevions de Thomas Savary :

Lundi 10 mars 2014, à 12:13:58, Jacques Melot a écrit:
 
> [J. M.] Permettez-moi de m'inscrire en faux,
> bien tranchante, contre cet argument. Le français
> est une langue internationale au même titre que
> l'anglais (l'espagnol, etc.).
Je ne le nie pas. Ce que je remets en cause, c¹est la légitimité du recours à la langue française comme langue internationale en dehors de ce qu¹il est convenu d¹appeler la francophonie ou des peuples francophiles.


[J. M.]   Mais bien sûr que si, et c'est parfaitement légitime ou alors il faut retirer à l'anglais ce privilège qu'implicitement vous lui accordez. Il suffit de remonter un peu dans le temps, juste avant que les attaques ouvertes contre le français aient pris la tournure virulente et agressive qu'on leur connaît actuellement, pour en juger objectivement : jamais alors personne n'aurait posé une telle question quand les savants écrivaient dans leur langue ou dans une des langues de la science et des techniques (français, anglais, allemand). La preuve en est que ça ne les protégeait nullement contre le pillage intellectuel, la même conclusion valant pour toute la publication scientifique et technique. Ils étaient lus et leurs publications remplissaient leur rôle, (Parmi les langues utilisées, seul l'allemand n'était pas une langue internationale hors de son domaine d'usage où, par contre, elle s'est imposée comme l'une des toutes premières en importance.) Le droit d'une langue à s'imposer, si l'on peut dire cela ainsi, n'a rien à voir avec l'équité, le respect du nombre, etc. Le français restant (malgré les attaques qu'il subit tant de l'extérieur que de l'intérieur), en tant que langue internationale, la deuxième langue, en importance générale, après l'anglais, il ne nous faut surtout pas affaiblir cette position, qui, évidemment, a des implications économiques non négligeables, ce qu'on oublie presque toujours de rappeler. Les anglophones, comme les francophones, considérant l'espéranto, vous diront que c'est intéressant, et même très, et bien beau, mais qu'ils n'ont, pour leur part, pas la moindre intention de renoncer à leur héritage pour quelque chose dont la seule justification, en tout cas l'une des seules, est morale, à savoir l'équité. Et c'est sans compter avec le coût économique exorbitant qu'aurait un tel changement.


Ce rôle devrait à mon sens incomber à une langue construite, tel l¹espéranto, mais non nécessairement celui-ci.


[J. M.]   Je pense comprendre le cheminement de votre pensée. Il est généreux en plus d'être satisfaisant du point de vue d'une logique simple, mais, malheureusement, il ne tient pas compte d'un facteur général toujours plus qu'important et que l'on sait par expérience pouvoir intervenir, à savoir l'existence d'éléments (concrets comme abstraits) dont personne n'a encore conscience au moment où l'on parle et qui n'en viendront pas moins transcender le regard que nous portons sur ce que nous croyons pour le moment si bien fondé, et ce, au point de nous faire changer radicalement d'avis, l'erreur ou le caractère peu souhaitable étant subitement devenus patents à la lumière de ces nouveaux éléments. A une évidence peut succéder une autre évidence, laquelle peut être parfois tout à fait incompatible avec celle qu'elle a remplacé. Ce genre de situation, qui appelle à la prudence, surtout lorsque les enjeux sont à ce point colossaux, se rencontre constamment dans tous les domaines du savoir. L'histoire des sciences est là pour en témoigner surabondamment. Et pas seulement l'histoire des sciences.


> [J. M.] Ces deux langues, et les autres langues
> internationales chacune à son niveau, sont
> parfaitement légitimes pour ce qui est de jouer
> ce rôle, maintenant comme jadis, et même plus
> maintenant que jadis, à une époque où la liberté
> est de plus en plus efficacement menacée.Elles

> tirent leur légitimité de l'histoire des peuples
> dont c'est la langue.
Invasion de Guillaume le Conquérant, guerre de Trente Ans et affaiblissement durable de l¹Allemagne, modèle culturel de l¹absolutisme français, empire colonial? Je ne suis pas sûr qu¹il faille continuer à se réclamer d¹une telle histoire.


[J. M.]   Parfaitement ! Nous devons nous réclamer de cette histoire. Ce qui compte, au moment où l'on parle, est l'état présent de notre histoire. Toutes les nations sont passées par des périodes noires ou qui ont été regardées comme telles postérieurement, ce qui montre déjà que, pour porter un tel jugement sur elles-mêmes, elles ont progressé. Et c'est la seule chose qui compte.


La liberté suppose de résister à l¹invasion culturelle états-unienne, notamment par la défense des langues natives, je suis bien d¹accord. Je pense néanmoins que répondre à ce colonialisme culturel par un autre ou plutôt le vestige d¹un autre est idée à la fois critiquable et contreproductive.


[J. M.]   La réponse tient dans ce que j'ai écrit plus haut. A vous suivre, en pratique, il faudrait fermer les yeux sur ce que fait le monde anglo-saxon (l'Amérique et ses alliés objectifs ; désormais une entité internationale vague, mais excessivement puissante) et, par ailleurs, il faudrait aussi que tous les infériorisés dans l'affaire unissent leurs efforts pour former un groupe, une sorte de club, dans lequel l'équité serait la règle : un nivellement où chacun regarde l'autre pour s'assurer que personne ne reçoit plus que soi. C'est la méthode (de la jalousie sociale) scandinave, celle que pratique Hollande et les siens, qui vont chercher leurs ordres à Stockholm et dans les grandes universités protestantes américaines. Cela a commencé sous Mitterand, puis sous Jossepin à qui l'on doit le massacre de la langue administrative par une féminisation militante inconsidérée et qui, comme telle, constitue ni plus ni moins un harcèlement d'État. C'est elle, cette méthode, qui, pour ne prendre qu'un exemple, explique le passage de « Bibliothèque nationale » à « Bibliothèque nationale de France »... pour bien rappeler, par une forme de respect toute luthérienne, que notre bibliothèque nationale n'en est qu'une parmi tant d'autres et qu'il n'y a aucune raison qu'elle continue à se distinguer, aux yeux du monde entier, en s'appelant avec « arrogance » simplement « la Bibliothèque nationale » (j'ai apporté une longue démonstration de mes affirmations, dans le présent forum je pense, il y quelques années).

  Tout privilège, même le plus légitime, nous semble désormais un fardeau insupportable, qui plus est honteux, tellement nous avons perdu toute confiance en soi. En chiffres froids, la France ne représente que 1 % du monde. Mais du fait de ses acquis de toute sorte, de son P.I.B., et de son importance générale, elle représente, dans les faits, bien plus que cela. Fort de mes acquis, fort de mon patrimoine, je ne mange pas de ce pain qui consiste à niveler pour amadouer faute d'argument et n'écoute donc surtout pas ceux qui voudraient nous ramener à ce 1 % au nom d'une équité mal inspirée, qui déclenchera l'hilarité des puissants et nous attirera plus de mépris que de remerciements de la part des autres. Dans un monde où la concurrence est impitoyable, lorsqu'on a un patrimoine avantageux, on s'efforce à tout prix de le garder et on ne l'utilise que pour le valoriser.


> Une langue n'est pas
> importante en soi : si elle est importance, c'est
> qu'elle l'est devenue. C'est un patrimoine et, en
> tant que tel, en tant que patrimoine identitaire,
> historique et culturel, cela se défend, avec
> arguments aussi bien que sans.
Certes, mais la défense de ce patrimoine ne passe pas nécessairement par la volonté d¹imposer au monde une langue native particulière, quelle qu¹elle soit ? qui plus est passablement complexe et d¹un apprentissage ardu, s¹agissant de la langue française.


[J. M.]   Vous tombez là dans le poncif en parlant de la difficulté du français. A l'époque soviétique, l'U.R.S.S. constituait un monde en lui-même et, quelle que soit la difficulté de la langue russe, on la parlait partout dans cet empire, jusqu'au fin fond de la Mongolie intérieure. Si les Allemands avaient gagné la Seconde guerre mondiale, nul doute que nous parlerions tous allemand à côté ou à la place du français, quelle que soit la difficulté de l'allemand. Quant à imposer ou pas... Dans une démarche toute naturelle eu égard à notre histoire, tous mes travaux sont écrits en français et c'est à prendre ou à laisser. Leur qualité fait que c'est « pris ». Si vous préférez un exemple plus connu, on peut en dire de même du mathématicien français Laurent Lafforgue, médaillé Fields (pour ceux qui l'ignoreraient, c'est l'équivalent, pour les mathématiques, du prix Nobel dans les autres domaines). Mon patrimoine comporte ma langue et ses privilèges : j'en fais usage. Sans arrogance, mais sans concession non plus, d'autant que j'ai fait l'effort d'apprendre la langue des collègues avec lesquels j'ai les relations les plus entretenues (langues scandinaves, entre autres).

   Quant à s'interroger sur le bien-fondé d'« imposer au monde une langue native particulière », c'est là sans doute une interrogation qui ne germe pas dans l'esprit d'un anglophone sur mille... Demandez-vous donc pourquoi.

   C'est la lutte qui fortifie la concurrence, et cela vaut autant lorsqu'elle est saine et fructueuse, non le nivellement, lequel est, entre autres, destiné à éviter l'affrontement chez des gens qui l'ont en horreur que ce soit du fait de leur éducation, parce qu'ils doutent de leurs capacités ou encore qu'ils chérissent un douillet refuge qu'ils croient assuré à vie.


> « Chaque matin, défends ta langue. Si tu ne
> sais pas pourquoi, ses ennemis, eux, le savent. »
Oui, et je constate chaque jour l¹étendue de l¹invasion.
Mon client principal est un éditeur de livres spécialisés dans le jeu vidéo. Les auteurs sont pleins de bonne volonté, mais la plupart ne se rendent même pas compte qu¹ils n¹écrivent plus en français, recourant non seulement à des anglicismes inutiles («background», «map», «gamer»?) et à des latinismes d¹importation («versus», «via»?), mais tombant aussi presque systématiquement dans le piège des faux-amis («convention», «crédits», «dramatique»?) et des calques («échouer à», «un couple d¹années», «équiper un objet»?).
Au moins l¹éditeur n¹est-il pas opposé à ce que je reformule à tour de bras. Au contraire, ayant bien pris conscience du problème, il m¹encourage à le faire.


[J. M.]   Eh bien, c'est parfait : vous avez su le convaincre en lui montrant qu'il vendra mieux si les textes accompagnant ses jeux sont plus compréhensibles et permettent donc, à ceux qui les achètent, d'en tirer plus grand profit !

   Bon courage,

   Jacques Melot


Thomas Savary
Le Grand Plessis
F-85340 L¹Île-d¹Olonne
Tél. 06 22 82 61 34
www.correctionpro.fr