Bonjour à toutes et à tous (je suivais l’ordre alphabétique, mais je vais
maintenant alterner, c’est plus sûr),
Je remercie les personnes qui ont pris la peine de répondre à la question
en donnant la référence du document de l’université de Sherbrooke.
De mon côté j’ai retrouvé les travaux d’une linguiste québécoise aux
propositions pour le moins innovantes, Céline Labrosse : http://www.langagenonsexiste.ca/menu.htm
Pour le reste… merci d’avoir passé tant de temps sur le cœur de mon message
– à savoir, semble-t-il, « Bonjour à tous et à toutes » –, c’est vrai
qu’il méritait un examen approfondi. Cela aura au moins permis de donner
quelques éléments de réflexion à ceux qui s’interrogeaient sur la notion de
galanterie.
Et puis je pense que nous avions bien compris, Jacques Melot, que vous
défendiez coûte que coûte (en l’occurrence le respect d’autrui et la lutte contre
la domination masculine à l’œuvre dans la langue française comme ailleurs) une
langue érigée en divinité dont j’avoue ne pas bien saisir les contours.
Une langue que vous semblez considérer comme victime d’attaques, mais
jamais comme un outil efficace de discrimination, et le lieu de luttes. Notre
histoire et notre présent raciste et sexiste nous en donnent pourtant de beaux
exemples (comme celui donné par Anne Guilleaume). Je trouve étonnant qu’on
puisse donner tant d’importance à la langue et montrer tant de réticence à
s’interroger sur les dominations qu’elle véhicule, et que nous véhiculons quand
nous ne l’envisageons pas sous cet angle. Ce qui est l’affaire de tout le
monde, et pour répondre à un récent message, je n’attends pas un quelconque
changement qui viendrait de l’Académie française (quelle drôle d’idée).
Vous écrivez que contrairement à ce que j’affirme, la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 entendait le mot « homme » dans
son acception « générale », c’est-à-dire au sens d’être humain,
et incluait donc les femmes. Pauvre Olympe de Gouges qui s’est fendue pour rien
d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne deux ans plus tard.
Elle aura été mal renseignée ! Enfin, elle aura eu le droit de monter sur
l’échafaud, ce qui prouve qu’on attribuait un certain pouvoir à ses écrits (pas
celui-là officiellement, certes), ce qui n’est pas rien.
La langue a été masculinisée volontairement et à des fins politiques, c’en
est un exemple parmi d’autres. Vous me faites rire (jaune, évidemment), à
renvoyer l’histoire au passé sans vouloir la relier au présent. À quel moment
exactement notre monde s’en est-il coupé ? Le sexisme de notre langue ne
fait que refléter et renforcer les discriminations observables actuellement en
France. L’égalité de droit (qui d’après mes sources est arrivée un peu plus
tard) n’a pas été suivie comme par magie d’une égalité de fait. La loi a ses
limites, celles des représentations, des mœurs, des évidences héritées du
passé. Néanmoins, elle fait partie, tout comme la langue, l’éducation, la
culture, etc., des outils qui sont à notre disposition pour changer les
représentations et la société, et, a minima, pour en refléter les changements
effectifs.
Quant à mes « affirmations gratuites » (devais-je écrire un
livre ?), je vous enverrais bien une bibliographie féministe pour vous donner
davantage d’éléments sur leur bien-fondé, mais je doute que ces lectures répondent
à un intérêt réel de votre part.
Je ne conviens certainement pas avec vous que mon message était « à peu près dépourvu de toute argumentation » – dites
donc, vous n’êtes pas à un propos suffisant ou condescendant près. Ayant lu
votre prose de vendredi, comme celle de votre réponse à mon message, je trouve
cette affirmation bien osée. Votre argumentaire tient de ces propos antiféministes
qui s’entendent depuis toujours – et non, l’antiféminisme
n’est pas bien défendable, la discrimination sexiste étant tout aussi haïssable
que la discrimination raciste ou n’importe quelle autre discrimination dont on
observe les résultats à l’échelle d’une société. Non content de renverser le rapport de
domination, vous niez la domination qui s’exerce dans la langue.
Vous écrivez : « le genre grammatical dis-je
n'a aucun lien de nécessité avec les sexe des personnes. » Chaussons un instant nos
lunettes violettes – enfin, je vous prête les miennes. Prenons, tiens, un de
ces courageux défenseurs de la langue française (et visiblement de la cause
féminine puisqu’il n’hésite pas à nous donner des leçons de féminisme), qui
s’est exprimé avant-hier sur cette liste sous le nom de « ndsv »,
dans un « sujet » parallèle :
« Quant aux effarouchées qui possèdent encore
l'hymen, j'aimerais les voir aux avant-postes pour défendre les droits des
femmes.
Parce que si ce n'était qu'une question de
langue, ça se saurait.
Ce n'est pas en appelant ma femme ingénieure
qu'elle gagnera autant que le con d'ingénieur qui passe ses appels perso à
longueur de journée dans le bureau d'à coté ! »
Pourquoi n’a-t-il pas écrit
« effarouchés » ? Pourquoi pense-t-il que l’hymen (qu’on ne
trouve que chez les femmes, réduites ici à leur sexe, comme les personnes visées
par le racisme sont réduites à leur « race », que le contenu en soit
biologique ou, comme c’est de plus en plus le cas, religieux et culturel) aurait
un lien quelconque avec le militantisme ou la réflexion féministe ?
Pourquoi diable a-t-il ressenti la nécessité, justement sur ce sujet, de faire
coïncider, et de mettre en avant, sexe et genre ? A-t-il d’ailleurs conscience
qu’il insulte en utilisant un mot qui a désigné le sexe féminin (encore lui) ?
Lui demanderez-vous des comptes sur ses « affirmations gratuites »,
ou ont-elles l’évidence des idées reçues antiféministes ?
Pour lui répondre sur le dernier point – et surtout donner du grain à
moudre à qui ça intéresse : qui a dit que la domination masculine était uniquement une question de langue ?
Bon je lui prête aussi mes lunettes (pensez à vous en procurer, c’est quand
même plus simple).
On est bien d’accord (façon de parler), la domination masculine est partout :
la famille, les médias, l’école, la politique, la rue… On la retrouve dans les
domaines de la santé, du travail, de la vie privée, de la culture, dans
l’histoire (qui relate les activités masculines – pouvoir, guerres et
compagnie), dans la recherche… Ce ne sont pas des affirmations gratuites, ce
sont des analyses mises en évidence par la recherche en sciences humaines et
sociales, encore faudrait-il qu’on donne à la pensée féministe la place qu’elle
mérite dans l’enseignement ou dans les livres d’histoire de la pensée.
Que croyez-vous que l’on transmette à filles et garçons quand notre outil
de pensée (oui, notre langue, je persiste) confond masculin et humanité, et que
les filles et les femmes apparaissent en tant que telles pour être ramenées à
leur sexe, à leur corps, et à tout un tas de stéréotypes dommageables ? Cela
concerne la langue, les comportements, les commentaires, les propos qu’on tient
sur elles, les images qu’on en donne. On fait comprendre aux unes et aux autres
quelle est leur place respective de mille et une manières, les plus insidieuses
n’étant pas les moins efficaces. Les garçons sont davantage encouragés à parler
à l’école, à occuper l’espace, à s’affirmer, les filles à se montrer dociles et
sages.
Quand elles et ils ouvrent un journal, vont au cinéma, choisissent un
jouet, se déguisent, regardent la télévision, elles et ils voient majoritairement
des femmes (sans nom) présentées avant tout comme des objets sexuels, des têtes
vides ou obnubilées par le regard d’autrui sur leur corps, des servantes, des
ménagères, des victimes, des témoins, elles et ils voient des femmes politiques
ridiculisées, leurs idées tues au profit de commentaires sur leur tenue
vestimentaire ou leur plastique, elles et ils voient majoritairement des individus
de sexe masculin dont on donne le nom, en position d’acteurs, d’experts, en
position de pouvoir. Masculin et féminin, hommes et femmes, n’auraient donc pas
la même valeur.
Dans les manuels scolaires de sciences, de lettres, de philosophie, de
mathématiques : des mâles, des mâles, des mâles, héritage d’une histoire
qui a refusé l’accès au savoir aux femmes, qui les en a soigneusement écartées,
quand bien même elles avaient fait avancer ce savoir dans des conditions
adverses, et sans qu’on songe trop à les réhabiliter.
Dans la rue, dès la puberté, les filles sont l’objet de remarques sexistes,
d’évaluation de leur physique par des inconnus de sexe masculin, la cible de
gestes obscènes, d’insultes (le fameux « salope » qui n’a pas
d’équivalent masculin).
Elles représentent la majorité des victimes de viols et de violences sexuelles,
qui sont le fait d’hommes à 98 %. Quand ces victimes s’expriment, leur
parole est mise en doute, voire elles sont rendues responsables de l’agression.
98 % des viols restent impunis. Est-ce sans rapport avec notre vocabulaire de « séduction »
qui se confond avec celui de la chasse ? Avec le fait que le langage utilisé
pour parler des agressions sexuelles les légitime (une affirmation qui n'a rien de gratuit : http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=451&themeid=) ?
Avec des stéréotypes biologisants sur la nature masculine ?
Les filles, à qui on apprend la docilité, disais-je, réussissent mieux à
l’école, mais les filières vers lesquelles elles s’orientent – ou sont invitées
à s’orienter –, sont plus réduites que celles qu’on propose aux garçons, et ce
sont les hommes qui occupent les postes les plus haut placés. Cela pourrait-il
avoir un rapport avec la rareté des termes de titres et de fonctions féminins au sommet de la hiérarchie, et le fait que leur existence est pour
certains toujours en débat ? Une rareté qui ne fait que renforcer le
manque de représentation des femmes dans les documents sur les métiers dans les
branches traditionnellement (même si elles ne le sont plus autant) masculines,
les représentations sexistes qui perdurent dans une part toujours trop
importante de la littérature jeunesse, le sexisme quotidien qui s’exerce dans
le monde du travail. Et je ne parle pas de l’humour sexiste (avis aux amateurs qui
sévissent sur cette liste), auquel nous sommes sommés et sommées de nous
esclaffer, comme si l‘humour était forcément vertueux, comme s’il était
forcément libérateur, comme s’il ne pouvait pas, tout comme la langue, opprimer
(pourtant l’adjectif « sexiste » devrait nous alerter).
Aux places de pouvoir, de décision, que ce soit dans le domaine de la
politique, de la culture, du savoir, de la religion, des sciences, on trouve
une grande majorité d’individus de sexe masculin – tandis que la langue rend invisibles par la grâce de son masculin générique les femmes parvenues aux mêmes postes. Les représentations que
véhicule la société nous convainquent (plus ou moins) qu’ils ne doivent leur
place qu’à leur mérite personnel – même si on se demande s’il n’y aurait pas, à
ce point de surreprésentation masculine, quelque chose de biologique dans ce
mérite. Les grands hommes, les penseurs, les intellectuels de ce
monde, sont des individus de sexe masculin. Si « penseuses »,
« grandes femmes », « écrivaines », etc., n’existent pas, ça
ne peut pas être un hasard.
Non, ce n’est pas un hasard. Ça s’appelle
la discrimination, et elle se joue également dans la langue.
Bonne « continuation », puisqu’elle a l’air d’être au programme des fondateurs de cette liste (je vous laisse mes lunettes violettes, c’est cadeau).
À celles et ceux que la discrimination dérange, au plaisir de vous
retrouver dans des lieux plus respectueux d’autrui.
SR
Le Lundi 16 mars 2015 8h00, Louis GRAMMONT <maximak@xxxxxxxxxx> a écrit :
En fait, si je comprend bien, le mal viendrait de nos académiciens qui, sous leur coupole, ne songent pas trop à actualiser la langue française par rapport à l’évolution de mœurs.
Cette gent là, ne devrait-elle pas mettre à jour chaque année notre vocabulaire, sa grammaire et son emploi ? Ces personnes seraient-elles honorées pour être seulement des porteuses de costumes ? Quels êtres !
Moi pour ma part j’ouvre la portière de ma voiture à mes passagers, qu’ils soient femme ou homme, même au chien même si je n’aime pas trop ce genre.
Louis Grammont
> Le 16 mars 2015 à 03:37, Anne Guilleaume <
anne@xxxxxxxxxxxxxxxx> a écrit :
>
> Le 15/03/15 16:51, Jacques Melot a écrit :
>> Le 15 mars 2015 à 22:57, Anne Guilleaume a écrit :
>>
>>> Le 15/03/15 15:10, Jacques Melot a écrit :
>>>
>>>
>>> [J. M.] Pendant que nous sommes encore vendredi (sensu lato), permettez-moi de vous poser une question en rapport avec ce que vous venez d'écrire. Lorsqu'un homme et une femme dansent, par exemple la valse, faut-il désormais que la femme ne se sente plus guidée ? Une autre question : prenez-vous les mêmes initiatives que les hommes lorsqu'un homme vous plaît et que vous voulez faire sa connaissance ou entrer dans sa vie, au moins momentanément (en supposant que vous soyez hétérosexuelle, sinon ma question n'a pas de sens, bien sûr) ? En Islande, je connais ça et je l'apprécie hautement : au bar, les femmes se dirigent vers les hommes et leur offrent un verre dans un tel cas.
>>>
>>> On est dimanche soir, mais ça le fera.
>>>
>>> Je n'ai jamais dansé la valse, et mon mari est le pire danseur que j'ai jamais connu.
>>> Pour le reste, oui, j'ai toujours choisi moi-même mes amants et pris les initiatives en ce sens.
>> [J. M.] Parfait, du moins si cela ne veut pas dire que vous repoussez systématiquement les hommes qui ont une démarche similaire à votre égard (pour cette seule raison, s'entend).
> D'où tenez-vous cette idée que les femmes féministes repousseraient systématiquement les hommes qui feraient des démarches pour les rencontrer ?
>
> Il s'agit, dans ce hors-charte patent, de reconnaître que la langue d'aujourd'hui n'est pas prête à assimiler les changements sociétaux. Mais, après tout, combien de temps a-t-il fallu pour qu'on cesse d'utiliser le mot « nègre » ?
> Oh, zut !
>
http://radioego.com/ego/listen/18003