Archive Liste Typographie
Message : RE: [typo] Goethe

(Thierry Huwart) - Vendredi 02 Septembre 2016
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    RE: [typo] Goethe
Date:    Fri, 2 Sep 2016 16:35:49 +0200
From:    "Thierry Huwart" <thuwart@xxxxxxxxx>

Bonjour,

Je prends la liberté de répondre sur ce courriel en particulier, en prenant le risque d'interrompre le fil des commentaires qui me sont parvenus depuis.

Je me sens plus belge francophone que "wallon". Il y avait encore des pièces en wallon tous les dimanches à la télévision, il y a environ 40 ans. Il faut savoir que ces dialectes locaux - de Tournai, Mons, Namur, Charleroi ou Liège - avaient leur propre vocabulaire, souvent imagé et savoureux, et dans certains cas le dialecte de l'un était incompréhensible pour un autre. L'orthographe était parfois différente. Le français a unifié tout cela. Il nous a peut-être aussi coupé d'un terroir. Par contre, en Flandre, il y a encore des dialectes d'une région qui ne sont pas compris du tout dans une autre. Il m'arrive, en réunion, d'entendre des critiques très dures sur d'autres personnes qui viennent d'une autre région, simplement de ce fait. Depuis que j'ai étudié le flamand, que je comprends mais que je n'écris pas, il y a eu, sauf erreur de ma part, au moins deux réformes profondes de l'orthographe.

Vous m'amusez avec notre confusion entre "savoir" et "pouvoir". Votre remarque est très pertinente mais, croyez-le ou non, je n'ai jamais intégré la nuance et, comme mes concitoyens, j'emploie invariablement les deux mots. Ce qui continuera à perturber nos voisins français.

Par contre, ce qui me hérisse vraiment, est l'emploi systématique chez nous de "dédicacé" au lieu de "dédié". Par exemple, "il possède des outils dédicacés à ce travail". Cela vient probablement de l'anglais "dedicated". Quand je me permets parfois de corriger mon interlocuteur, il me regarde avec des yeux ronds.

Pour en revenir à Goethe, vous remarquiez des différences à la fois entre les époques et les générations. Je ne suis pas qualifié pour élaborer mais, pour ma part, cela ne me surprend pas trop.

Entre les règles à respecter pour continuer à se comprendre et les libertés que prend l'usage, il y a encore beaucoup d'espace.

BàV.

-----Message d'origine-----
De : typographie-request@xxxxxxxxxxxxxxx [mailto:typographie-request@xxxxxxxxxxxxxxx] De la part de Yoann LE BARS
Envoyé : vendredi 2 septembre 2016 05:37
À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Objet : Re: [typo] Goethe


	Salut à tous !

Le 01/09/2016 à 23:41, Thierry Huwart a écrit :
> Bravo!

	Aïe ! Il ne faut pas m’encourager, sinon je vais continuer !

> En effet, il ne faut pas oublier que l'unification de la langue sur nos territoires est (très) récente. Le wallon a disparu peu à peu de nos campagnes belges il y a +/- 50 ans et le flamand, qui crispe les nationalismes au Nord de notre pays, finira par disparaître, n'en déplaise à ceux qui attisent les crispations communautaires. Nos voisins "de l'autre côté des champs de patates" ont simplement du retard dans l'unification, mais cela viendra.

	Justement, je viens de passer deux ans en Belgique. Toutefois, je ne vais pas m’aventurer sur les tensions linguistico-politiques de la Belgique – même si elles m’apparaissent très largement artificielles.

	Cela dit, le Français est effectivement une langue fortement normée, probablement une des plus normées d’Europe. En France, il s’agit d’ailleurs d’un enjeu politique et lorsque Richelieu a créé l’Académie française, il avait notamment un dessein politique en tête. Toutefois, cette normalisation n’a pas, loin de là, annihilé les variantes locales et sociales.

	Par exemple, puisque vous semblez wallon, les usages du Français en Wallonie ont beaucoup d’éléments qui vont laisser perplexe un locuteur provenant par exemple de région parisienne. Le cas le plus connu est l’usage de « septante » et « nonante », mais ce n’est vraiment pas le plus significatif. Par exemple, l’usage de « savoir » là où dans la plupart des variantes linguistiques du territoire français on utilise « pouvoir » est source de très nombreuses confusions. Je me suis d’ailleurs rendu compte qu’il était bien plus difficile de s’adapter à une telle différence qu’à une langue étrangère : les phrases ainsi formées ont bien un sens dans la variante linguistique qui constitue ma langue natale, il se trouve simplement que ce sens n’est pas le même que dans les variantes linguistiques de Wallonie. Il ressort que l’habitude à sa langue natale est trop grande pour pouvoir véritablement en faire abstraction lorsque l’on est confronté à une autre variante linguistique.

	On peut également citer le fait que les « w » sont prononcés de manière différente dans les variantes dialectales de Wallonie que dans la plupart des variantes dialectales du territoire français. Cela peut conduire à de vraies incompréhensions. Notons cependant que j’ai trouvé beaucoup plus facile de s’adapter à cela (quelques jours) qu’à l’usage de « savoir » – auquel donc, sans mauvaise volonté, je n’ai jamais pu m’habituer.

	L’important usage d’anglicismes – certes moins qu’au Québec, mais tout de même fortement présents – a également de quoi décontenancer une personne originaire de France.

	Plus encore, la Wallonie demeure une zone de forte variabilité linguistique, au point qu’une personne un peu habitué sera en mesure de déterminer assez facilement si son interlocuteur vient, par exemple, de Bruxelles, Namur ou Liège, ceci simplement en écoutant son usage du Français.

	Les divers Flamands, pour leurs parts, sont un ensemble de variants linguistiques dérivant du Néerlandais et relativement inter-compréhensible avec lui, même si un locuteur du Néerlandais standard trouvera souvent les divers Flamands agrammaticaux. Les disparités locales flamandes sont d’ailleurs fortes, plus qu’entre les variantes du Français.

	Cela dit, toutes les langues finissent par disparaître. Il en sera de même du Français, qui finira par être remplacé par autre chose.

	En tout cas, l’Allemand dispose d’une vraie norme, à laquelle on peut se référer. Bien plus que l’Anglais, pour lequel il n’y a pas vraiment de standard qui s’impose – personnellement, j’essaye de me baser sur ce qui se fait à Oxford, mais d’autres choix sont possibles.

	Tout ceci posé, une norme est utile car elle permet de s’entendre lorsque l’on désire bien se faire comprendre d’un maximum de locuteurs.
Cela permet également aux correcteurs de savoir dans quel sens réaliser leurs corrections. Cependant, elle ne rend pas illégitime les variantes linguistiques. De toute façon, une langue qui n’évolue plus est une langue morte.

	Tiens, puisque j’ai déjà cité Linguisticae, voici sa présentation des normes et des usages :

https://www.youtube.com/watch?v=C3rDVBm0OXE

	À bientôt.

--
Yoann LE BARS
http://le-bars.net/yoann/
Diaspora* : ylebars@xxxxxxxxxxxxxxx