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Message : Re: [typo] Exclure l'inclusive?

(Amalric Oriet) - Vendredi 19 Avril 2019
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Subject:    Re: [typo] Exclure l'inclusive?
Date:    Fri, 19 Apr 2019 21:04:03 +0200
From:    Amalric Oriet <o.amalric@xxxxxxxxx>


Le 19 avr. 2019 à 19:39, Thomas Linard <thlinard@xxxxxxxxx> a écrit :

Que les choses soient un peu plus complexes que Clément Marot ramenant l’accord du participe passé d’Italie en même temps que la vérole, je le crois volontiers. Mais vous dites que « malgré les protestations de certains contemporains, ils [les premiers codificateurs du français ] ont ainsi réussi, et de manière durable, à imposer une distribution normative stricte » (je vous cite) est une « excellente illustration » de « les règles de la langue ont une vie propre et une temporalité spécifique que l’intervention volontariste n’a aucune chance de modifier à sa guise », c’est bien cela ? C’est bien votre argument ?

Tout à fait. Mais ce n’est pas moi qui dit « malgré les protestations […] », c’est Marie-José Béguelin. Ces propos lui appartiennent et, encore une fois, n’ont été cités qu’à titre purement illustratif (de l’épaisseur de la problématique, qui ne peut se résumer à une image d’Épinal).

Que les hommes aient une certaine influence sur l’évolution de leur langue ne devrait pas en soi être si surprenant. Ce qui devrait en revanche être relevé, c’est qu’à partir du XVIe siècle, un pressant besoin de mettre un peu de structure dans le français émergeant se fait sentir. Il ne s’agit pas d’une volonté précisément fixée sur un point particulier, mais d’un élan général portant sur tous les aspects de la langue, lexique, orthographe, néologie, grammaire, syntaxe, etc., mouvement précipité (et soutenu) par les débuts de l’imprimerie et la diffusion « à grande échelle » des textes, ainsi que, par exemple, par le besoin de s’affranchir définitivement du latin. Il ne s’agit donc ni de la volonté d’un individu, ni même d’un petit groupe d’individus et il n’y a pas d’orientation a priori, sur la forme que devrait prendre telle ou telle règle. Celles-ci résultent de l’observation de l’usage, de l’analyse (plus ou moins assurée) des « maîtres de la langue », de divers aléas* aussi, souvent. En outre, elles ne sortent pas tout armée et casquée de la cuisine de Jupiter, elles évoluent, sont affinées, abandonnées parfois, reprises, déclinées, etc. Typiquement, s’agissant de l’accord du participe passé, il faudra attendre près de 400 ans pour que la règle trouve une forme et une assise à peu près définitive (jusqu’à la prochaine fois). Il s’agit donc d’une très bonne illustration que la langue a une vie propre et une temporalité spécifique que l’intervention volontariste (d’un petit groupe, dans un sens prédéterminé, et en un temps restreint) n’a aucune chance de modifier à sa guise.

*ce qui est exactement le cas avec les vers de Marot. Il n’a pas voulu faire triompher une (son) idéologie. Il a répondu à un instant t à une question de François Ier — d’une manière plaisante — dans le sens que lui estimait être le bon. Il se trouve que la « sauce a prise », parce que la langue (et les hommes qui la parlent) étaient prêts et disposés à accueillir une telle règle à ce moment-là. Pour une qui est restée, combien d’autres qui sont tombées dans les oubliettes de l’histoire parce que le moment n’était pas venu ?

Cordialement,

Amalric Oriet