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Message : Re: [typo] Exclure l'inclusive?

(Thomas Linard) - Vendredi 19 Avril 2019
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Subject:    Re: [typo] Exclure l'inclusive?
Date:    Fri, 19 Apr 2019 19:39:31 +0200
From:    Thomas Linard <thlinard@xxxxxxxxx>

Bonsoir,

Que les choses soient un peu plus complexes que Clément Marot ramenant l’accord du participe passé d’Italie en même temps que la vérole, je le crois volontiers. Mais vous dites que « malgré les protestations de certains contemporains, ils [les premiers codificateurs du français ] ont ainsi réussi, et de manière durable, à imposer une distribution normative stricte » (je vous cite) est une « excellente illustration » de « les règles de la langue ont une vie propre et une temporalité spécifique que l’intervention volontariste n’a aucune chance de modifier à sa guise », c’est bien cela ? C’est bien votre argument ?

Le ven. 19 avr. 2019 à 19:01, Amalric Oriet <o.amalric@xxxxxxxxx> a écrit :

Le 19 avr. 2019 à 10:14, Thomas Linard <thlinard@xxxxxxxxx> a écrit :

Je répondais à l’argument « Les règles de la langue ont une vie propre et une temporalité spécifique que l’intervention volontariste n’a aucune chance de modifier à sa guise » : hé bien, non, c’est de la mauvaise foi ou de l’ignorance.

Je dois concéder un mea culpa : mes « copier - coller » ont été un peu rapides et quelques références se sont fait la malle.

En fait, la phrase en question est issue de la Féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, rapport rédigé — donc — par l’ignare et hypocrite Commission générale de terminologie et géologie (p. 13).

Pour le reste, croire que la règle de l’accord du participe passé aurait été ramenée d’Italie comme on rapporterait un souvenir procède d’une vision pour le moins superficielle et naïve des mécanismes à l’œuvre. Ferdinand Brunot, dans son Histoire de la langue française des origines à nos jours (23 volumes et 15 000 pages entièrement consacrées à l’histoire de notre langue) donnent des indications assez précises sur la question, un poil moins simpliste qu’un slogan, dans lesquelles le poème de Marot est ramené à sa juste place, une simple anecdote, certes ayant eue sa part d’influence, dans une trame de long terme, bien plus dense et plus complexe. La « règle » de Marot a (en partie) connu le succès parce que la situation, sous quantité d’aspects autres, était mûre pour cela. Elle serait donc plutôt une excellente illustration de ce que « les règles de la langue ont une vie propre et une temporalité spécifique que l’intervention volontariste n’a aucune chance de modifier à sa guise ».

Par exemple, à titre purement illustratif :

« En Ancien Français, l'accord était indifférent sauf dans le cas d'un complément direct intercalé entre l'auxiliaire et le participe : « j'ai mes devoirs faits ». Dans ce cas, l'_expression_ entière indique l’action achevée. Au XIVe et au XVe siècle, l'usage de l'accord avec le complément direct préposé est de plus en plus fréquent, mais non systématique. Il faut attendre Clément Marot qui formule la règle. Vaugelas la discute avec toute la subtilité dont il est capable et donne déjà de nombreuses exceptions à son application. Le XVIIe et même le XVIIIe siècle se montrent assez peu soucieux de la règle, et il faut attendre le XIXe siècle pour qu'elle s'impose à l'usage et devienne l'effroi des écoliers et des maîtres.

On conçoit qu'avec une évolution si hésitante, cette règle ne présente pas le même degré de nécessité logique que telle ou telle opération d'ordre mathématique ! 

L'application de cette règle nécessitera donc un montage qui ne pourra s'appuyer sur des opérations logiques que d'une manière
superficielle puisque cet accord n'est en somme qu'une codification discutable d'une longue série d'hésitations historiques. » (C’est moi qui souligne.)

Wittwer Jean. L'accord du participe passé avec avoir : aspects logiques et psychologiques. In: Enfance, tome 11, n°3, 1958. p. 269-274. 




« Les progrès de la grammaticalisation n’ont pas seulement influencé l’ordre des mots et rapproché l’auxilié de l’auxiliaire, ce dont témoigne a contrario l’exemple de La Fontaine ; ils ont également fait que le verbe composé tend à se comporter comme une forme unitaire, rendant progressivement obsolète l’accord du participe. Le sentiment d’une relation du type « être » entre le régime et le participe s’est-il perdu d’abord dans la séquence progressive j’ai écrit une lettre, j’ai enfoui une somme, où l’accord était déjà très souvent omis par les clercs médiévaux? Le fait est que chez ces mêmes clercs, l’accord se maintenait plus fermement quand le régime précédait le verbe : la lettre que j’ai écrite, la lettre, je l’ai écrite. Mais il peut s’agir là d’une tendance induite par l’activité d’écriture, qui privilégie de manière générale, pour des raisons mécaniques, l’accord avec « ce qui est avant »; à l’oral, il est impossible malheureusement de savoir avec exactitude comment les sujets de l’époque accordaient leurs participes...

Quoi qu’il en soit, au XVIe siècle, les premiers codificateurs du français n’ont pas hésité à conférer une portée prescriptive à ce qui n’était peut-être, au départ, que le reflet d’un tic de copiste. Ils ont donné force de loi à une répartition qui, même d’après les indices fournis par les textes, ne reflétait pas à l’époque une réalité linguistique tranchée; malgré les protestations de certains contemporains, ils ont ainsi réussi, et de manière durable, à imposer une distribution normative stricte entre j’ai écrit une lettre (absence d’accord «obligatoire») et la lettre que j’ai écrite (accord «obligatoire» avec le support antéposé)10. » 

10 Dans un célèbre poème de 1558, reproduit par Arrivé (1993: 173) et Wilmet (1999: 17), Clément Marot se fait le chantre d’une telle règle, tout en tirant argument de l’italien: Dio noi a fatti.

Marie-José BÉGUELIN, Faut-il simplifier les règles d’accord du participe passé?, Travaux neuchâtelois de linguistique, 2002, 37, 163-189.



« Sans s'imposer, la formule devint célèbre, et les textes lettrés l'appliquent en général tant bien que mal.

Mais était-elle pour cela la règle de la langue populaire ? Nullement. Le plus observateur des grammairiens, Meigret, lui est hostile. […] Abel Mathieu, sans être aussi net, admet que les deux « liaisons de parole » sont également belles : les deniers qu'Alexandre a donné à ses gendarmes, et les deniers qu'Alexandre a donnez.

Et ce n'est qu'après avoir reproduit la protestation de Meigret, que Ramus se range à l'avis de Marot. Il est vrai qu'il en donne pour raison "la souveraineté du peuple". »  


Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, tome II, p. 469.

Etc.

Cordialement,

Amalric Oriet










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