Archive Liste Typographie
Message : Asterix et obelix (fut : la dague et la croix) (Jacques Melot) - Mardi 06 Janvier 1998 |
Navigation par date [ Précédent Index Suivant ] Navigation par sujet [ Précédent Index Suivant ] |
Subject: | Asterix et obelix (fut : la dague et la croix) |
Date: | Tue, 6 Jan 1998 19:17:29 +0000 |
From: | Jacques Melot <melot@xxxxxx> |
Le 1/6/98, à 1:41 PM +0000, nous recevions de Jacques Andre : >Jacques Melot wrote: >> >> >> P. S. Et si on créait un prix Obel de la typographie ? > >Voire Obel X ou Obel hic ! > >-- >Jacques André Cher Jacques, vous ne croyez pas si bien dire ! En effet, je viens de passer à la Bibliothèque nationale (d'Islande, Þjóðarbókhlaðan de son nom, þjóð, peuple, nation, bók, livre, hlaði, ce qu'on accumule, suivant les contextes, pile, tas, meule, etc.). J'ai continué mes recherches concernant les mots « obel » et « diésis ». Ce fut un après-midi faste ! Maintenant oyez bon collègues ! [J'écris ce qui suit en supposant que vous avez lu ma réponse de ce matin, Re: la dague et la croix) ; afin de vous éviter d'aller voir les archives, je reproduis l'intégralité du message à la fin du présent.] Ma conclusion était qu'en anglais le terme technique pour désigner la croix était « obelisk » et celui pour la double croix « diesis ». Dans l'Oxford English Dict. on trouve également le synonyme (du premier) « obelus », plur. obeli, tiré du latin (médiéval) obelus, lui-même tiré du grec obelos, broche à rôtir. L'emploi de ce terme est très ancien, puisqu'on le trouve déjà dans la Bible de Wyclif (1382). Or cet obelus ou obelisk, en français obèle ou obel, est un terme connu en paléographie et très ancien comme je l'ai déjà rappelé. Il était employé en alternance avec... l'astérisque, eh oui, et c'est la que ça devient intéressant, car l'astérisque, jadis représenté comme un X avec un point dans chaque angle, servait à indiquer les lacunes d'un manuscrit alors que l'obel servait pour les ajouts. En considération de tout ce que j'ai pu lire sur la question, en particulier l'association classique et constante de l'astérisque et de l'obel, il ne fait aucun doute dans mon esprit que R. Goscinny avait connaissance de ce fait et qu'il l'avait en vue lorsqu'il à choisi de nommer ses héros Astérix (- ; donc maigre) et Obélix (+ ; donc gros) : telle est l'origine de ces deux noms. Vu d'un point de vue historique, l'astérisque est indissociablement associée à l'obel, ce qui explique en particulier l'emploi de ces signes dans les productions soignées de l'Oxford University Press (Clarendon Press) et plus généralement dans la typographie anglaise traditionnelle (cf. par exemple E. T. Whittaker & G. N. Watson, A Course of Modern Analysis, Cambridge University Press, 1902 ; à en juger par le 9e tirage, 1965, de la 4e éd., 1927 ; cet ouvrage suit des convention s'accordant en tout point avec celles que l'on trouve dans The Chicago Manual of Style, 13e éd., § 12.49). De manière très générale, l'astérisque est fondamentalement associé à un MANQUE (il sert à prendre la place d'un caractère manquant, d'où son usage comme caractère générique dans les fonctions de recherche des logiciels de traitement de texte, ou Dom B*** Portier des Chartreux, il sert aussi à indiquer, en philologie, une forme reconstituée, garou<*garwalf<*variwulf, homme-loup, ou encore une forme obscure, etc.) alors que l'obel est fondamentalement associé à un AJOUT (texte reconstitué dans un manuscrit, note infra-paginale, etc.). En 1889, dans F. W. Farrar, Lives of the Fathers, II. xvi, p. 351, on peut lire « To amend the latin version [...] with asteriks and obeli ». En 1862, dans une publication de l'Archevêque Richard Chenevix Trench, Notes on the miracles of Our Lord, XV, 251 : « In other MSS [...] the obelus which hints suscipicion [ajouts éventuels], or the asterisk which marks rejection ». On verra encore : Totius latinitatis Lexicon opera et studio Aegidii Forcellini [...]. 6 vol. (1858-1860) à asteriscus (v. I, « asteriscus cum obelo [...] », p. 443) et obeliscus et obelus (vol. IV, p. 336). Glossarium mediæ et infimæ latinitatis conditum a Carolo Dufresne Domino du Cange [...]. 14 vol. 1840. Voir asteriscus et obelus. A Greek-English Lexicon, compiled by H. G. Liddell and R. Scott [...]. 1968. Oxford, at the Clarendon Press. Voir asteriskos (p. 261) et obeliskos et obelos, ou plus exactement obellos (p. 1196). On notera en particulier « obeliskos [...] II. anything shaped like a spit: the blade of a two edged sword [...] the iron head of the Roman pilum », qui semble bien montrer qu'à l'origine l'obel (c'est-à-dire ce qui, en anglais, est maintenant plus connu sous le nom « dagger ») est bien une broche à rôtir ou une épée à double tranchant et qu'elle n'est devenue une croix chrétienne que secondairement, par le hasard de simplifications typiquement modernes (appauvrissement, linéarisation des contours). Salutations amicales, Jacques Melot, Reykjavík melot@xxxxxx Voici à nouveau, pour être complet, mon message de ce matin. ============== Début de citation =============== >Mime-Version: 1.0 >Date: Tue, 6 Jan 1998 11:52:04 +0000 >To: TYPOGRAPHIE Distribution List <typographie@xxxxxxxxxxxx> From: Jacques Melot <melot@xxxxxx> >Subject: Re: la dague et la croix >Precedence: list >Reply-To: TYPOGRAPHIE Distribution List <typographie@xxxxxxxxxxxx> >Status: > > Le 1/3/98, à 5:50 PM +0000, nous recevions de Patrick Cazaux : > >>Il y a quelques mois, nous nous interrogions sur l'usage du dcaractère en >>forme de dague pour désigner des personnes décédées, alors que l'usage >>français est d'employer la croix chrétienne. >>J'ai acheté il y a quelques jours chez un bouquiniste un exemplaire d'une >>ouvrage intitulé : "XVIIIe siècle Lettres Sciences et Arts". Ce qui m'a >>attiré dans ce livre est sa très belle compo, de chez Firmin Didot. La >>police et bien entendu du Didot, dans un corps assez gros, je dirais du 12 >>et une interlignage confortable, ce qui est indispensable pour ce genre de >>caractères. Les chromolithographies, superbes, sont aussi de chez Didot. A >>noter que si les accents sont bien portés sur les caps, ce qui prouve bien >>à nous contributeurs que cela interroge que cet usage n'est pas nouveau, >>deux erreurs typographiques sur la couverture, à savoir la composition du >>"e" de XVIIIe en caps, au lieu de bdc, et l'oubli d'un accent dans la >>mention "Librairie de Firmin Didot Editeurs à Paris", sur le "é" de >>éditeur. Comme quoi, même dans les meilleurs maisons, on laisse passer des >>bourdes. >> >>Et la dague ? Après avoir écrit ce qui précède, je m'aperçois que je me >>suis mélangé les pinceaux avec le Grand memento encyclopédique Larousse de >>1936, qui, en effet, utilise la fameuse dague et non point la croix. >>Curieux, non ? > > > Cher Patrick, > > avant de passer à la croix, d'abord une remarque - on n'en finira >jamais ! - sur l'accentuation des capitales. Il est vrai que l'on trouve >des ouvrages plus ou moins anciens dans lesquels les capitales sont >systématiquement accentuées, mais leur caractère sporadique dans un océan >d'ouvrages qui ne présentent pas cette caractéristique montre qu'il s'agit >d'une décision consciente et volontaire, isolée et non typique, et, disons >le, éclairée. Même à l'heure actuelle, les ouvrages dans lesquels on >accentue systématiquement les capitales ne sont qu'une minorité, même si, >par bonheur, cette dernière va croissant. > > > >LA CROIX (sans la bannière). > > Dans la discussion que nous avons eue il y a quelques mois et que >j'avais d'ailleurs lancée (le lundi 19 mai 1997, à 12 h 14 mn 42 s T. U., >il pleuvait et ma fille dessinait une poule sur le parquet tout neuf), j'ai >écrit : > >> J'ai trouvé récemment le mot « diésis » pour désigner en français la >>double croix. Ce mot est-il employé par les typographes professionnels >>actuels ? >> >> Existe-t-il un mot spécialisé moins banal que « croix » pour ce que l'on >>appelle en anglais « dagger » ? > > J'ai eu l'idée, hier, de consulter le (grand) Harrap's >(anglais-français) à « dagger ». Ce dictionnaire, non seulement donne >« diésis » pour traduction française de « double dagger », mais encore >« obèle » pour « dagger ». Je pourrais considérer avoir répondu enfin à ma >propre question si, vieux renard rusé, je n'avais soupçonné là une issue >douteuse, car le Harrap's n'a, comme vous le savez peut-être, pas bonne >réputation auprès des traducteurs. > > En fait « obèle » est un terme introduit en français par R. Simon en >1689 dans son Histoire du texte du nouveau testament (Rotterdam ; R. >Leers). Ce terme qui, en français moderne, s'écrit « obel », vient du grec >« obelos » (broche à rôtir) car il désigne un signe plus ou moins en forme >de broche couchée ; ce dernier était utilisé dans l'antiquité - cela >remonte aux Alexandrins commentant Homère - pour signaler les portions de >manuscrit renfermant du texte interpolé ou douteux (obelos periestigmenos). > > Selon l'Oxford English Dictionary (2e éd.), qui constitue l'autorité la >plus indiscutable en ce qui concerne la langue anglaise, le terme a été >introduit - subséquemment, semble-t-il - en anglais sous le nom voisin >« obelisk » (obeliskos, petite broche) pour désigner une sorte de tiret (-) >ou ce qui est maintenant le signe division (÷) et qui était utilisé jadis >pour marquer, comme expliqué plus haut, les passages dont l'authenticité >était incertaine dans les anciens manuscrits. Le lexicographe poursuit en >indiquant que ce terme est maintenant utilisé pour la croix utilisée comme >appel de référence. L'article se termine sur « (= dagger [...]). double >obelisk, the double dagger (). ». > Ceci est confirmé à l'entrée « dagger » où il est indiqué, à titre de >définition, « Imprim. Un signe ressemblant à une dague (), utilisé pour les >appels de notes, etc. ; aussi appelé obelisk. double dagger: un signe dont >les deux extrémités ressemblent à la poignée d'une dague, dont l'usage est >similaire. > > Il est intéressant de noter qu'il n'est pas dit qu'il s'agit de la >représentation d'une dague, mais d'un signe RESSEMBLANT à une dague. Je >pense donc que le terme convenable en français est et reste « croix », car >il s'agit déjà et quoi qu'il en soit d'une croix, et que cette croix a été >stylisée, par exemple au point de ressembler à une dague, dans des polices >qui appelaient naturellement une telle stylisation. D'ailleurs, dans de >nombreuses polices sans empattements non spécialement françaises, la croix >est la croix chrétienne (cf. Helvetica), alors qu'elle ressemble le plus >souvent - d'ailleurs pas toujours ! - à une dague ou une épée dans des >polices à empattement ou fortement stylisées. > > Du reste, ce qu'en dit Philip Luckombe dans son (anonyme) Concise >history of the origine and progress of printing (1770) est particulièrement >instructif : > >« The obelisk, or long Cross, erroneously called the single Dagger [...] » > >et semble bien confirmer l'hypothèse faite plus haut, à savoir que >« dagger » est vraisemblablement un terme descriptif appliqué à la croix >dans certaine de ses formes stylisées qui rappelaient cet objet, par >ignorance du terme correct en usage chez les gens du métier. > > Enfin, « diesis » apparaît comme le terme spécialisé (monde de >l'imprimerie) pour « double dagger ». > Dans E. Phillips, The new world of English words : or, a general >dictionary (1658, éd. de Kersey, 1706), on trouve : > >« Diesis [...] among printers it is taken for a Mark, otherwise call'd a >Double-dagger » > >ce qui est confirmé par E. H. Knight (1874, The practical dictionary of >mechanics) et le récent Oxford Engl. Dict. > > >CONCLUSION > > Le terme « diésis » ne figurant dans aucun dictionnaire de la langue >française sous cette acception, on en conclut qu'il s'agit d'une erreur du >Harrap's. Le mot « diésis » n'est qu'une variante désuète du terme >« dièse » utilisé en musique, non le nom français de la double croix. > > Le terme français pour « dagger » est, au choix, « obèle » ou « croix ». >Peut-être serait-il préférable d'employer le premier (obel) afin d'éviter >la réapparition sporadique de la fausse alternative croix/dague. > > > Salutations amicales, > >Jacques Melot, Reykjavík >melot@xxxxxx > > >P. S. Et si on créait un prix Obel de la typographie ? =============== Fin de citation ================
- la dague et la croix, Patrick Cazaux (03/01/1998)
- Re: la dague et la croix, Jacques Melot (06/01/1998)
- Re: la dague et la croix, Jacques Andre (06/01/1998)
- Asterix et obelix (fut : la dague et la croix), Jacques Melot <=
- Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Alain Hurtig (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Cecile Souche (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Alain Hurtig (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Alain Hurtig (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Christophe Labouisse (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Yves Beaufays (08/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Jean-Pierre Lacroux (08/01/1998)