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Message : Authenticite

(Jean-Pierre Lacroux) - Samedi 01 Août 1998
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Subject:    Authenticite
Date:    Sat, 01 Aug 1998 20:44:34 +0100
From:    Jean-Pierre Lacroux <lacroux@xxxxxxxxx>

Jean Fontaine écrit: 
> Ça aussi c'est une question intéressante. Authenticité et respect des
> conditions d'origine vs liberté d'exécution et d'expérimentation.
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Oui, c'est intéressant, mais je ne suis pas sûr que la comparaison avec
la musique soit très parlante (réveillons Olivier Bettens, s'il est
encore là...). Les textes ne sont pas des partitions. La typographie
n'est pas un instrument, encore moins une interprétation. 
Je crois que nous serons d'accord sur ce point. Ce qui suit n'est donc
pas une « réponse » à votre message ou à celui de Thierry (bravo pour
Artaud en humane littérale ! c'est sûrement plus « adapté » qu'un
caractère typiquement années trente, Art déco maybe !) mais la suite de
mon radotage... Il est vrai que je reprends un de vos termes
(authenticité), car il me semble recouvrir partiellement les fameuses
« connotations historiques ».

Je ne nie évidemment pas que les caractères ont une histoire... et que
l'on peut dater leur apparition, suivre leur évolution, leurs périodes
d'expansion, de récession, de renaissance, leurs combinaisons, leur
filiation, etc. Ce que je nie, c'est...
Primo, que tous les caractères soient égaux devant l'histoire et ses
pesanteurs... Certains demeurent empêtrés dans leur temps et
« connotent » un max et même à mort (lisez Blanchard, il aborde la
question... d'une manière hélas très réductrice, car ses mauvaises
lectures l'ont poussé à privilégier la « mode »...), d'autres se sont
libérés, ont vécu longtemps et ont eu beaucoup d'enfants. Dans leurs
avatars d'aujourd'hui, ils ne connotent plus rien d'« historique ». Dire
qu'un New Baskerville connote le XVIIIe finissant revient à dire que la
Madeleine connote la Grèce antique, que le Parlement of London connote
le Moyen Age, que gothique et néogothique c'est du kif. 
Deuzio et a contrario, dire, par exemple, que l'Auriol connote ou évoque
l'Art nouveau n'a aucun sens puisque c'EST une des manifestations
typographiques de l'Art nouveau. C'est à peu près aussi fin que de dire
que les « mobilier urbain » (!) de Guimard « connote l'Art nouveau »...
Si (hypothèse hardie) l'Auriol était devenu un caractère de labeur et
avait eu des rejetons dans la carrière, ce serait another song.
Troizio et enconséquenzo, toute classification mêlant au petit bonheur
les critères formels et historiques n'a aucun intérêt...
Quatro et finalmento, revenons à la destination... Qu'est-ce qu'on
compose ?

Parlons d'abord des textes destinés à être lus, donc des caractères de
labeur.
Éliminons Platon, Pouchkine et tous les empêcheurs de choisir
sereinement des caractères « historiquement adaptés ». Prenons les
oeuvres littéraires françaises de 1630 à 1830. L'essentiel est là,
disponible... presque comme au premier jour. Suffit de pousser la porte
des grandes bibliothèques.
De toutes les « rééditions » (éliminons les éditions savantes, qui
posent des problèmes d'« authenticité » très-particuliers...), les plus
comiques sont celles qui s'imaginent restituer une parcelle
d'authenticité en adoptant un « caractère d'époque » (si on parlait
meuble, on dirait plutôt de « style », car il n'y a plus de véritables
caractères d'« époque »... en usage...). Même en respectant
scrupuleusement les graphies, les marges, l'empagement
d'origine, c'est du pipeau.  Sur ce terrain, ça ne vaudra jamais un bon
fac-similé... même si ceux-ci ont des faiblesses (vénielles)... car, si
l'authenticité c'est la tronche d'un caractère, pourquoi ne
résiderait-elle pas aussi dans les alignements défectueux, dans le pur
chiffon du papier, dans le délicat foulage de la véritable typographie
d'antan ? À quoi ça rime de faire
croire qu'un clone approximatif quoique électronique du Jenson imprimé
en offset sur du couché pure pâte chimique vous a un charme
« authentique » ? Je pense sincèrement que ce genre d'authenticité est
du même tonneau que celle du faubourg Saint-Antoine... (Pour les
non-Parisiens : on y vend du meuble de « style » rectifié cosy bourge.)
Tout bon caractère de labeur est bon à tout labeur. Composer Montaigne
en réale ou en didone n'est pas un anachronisme. C'est un choix
(éventuellement) motivé par des raisons qui n'ont rien d'étroitement
« historique ». Bis : C'est pourquoi la classification Vox ne peut pas
être
une « aide au choix ».

La plupart des tentatives typo-graphico-connotatives
portant sur des bribes (mots isolés, phrases...) jouent soit sur la
redondance molle soit sur l'opposition grossière, c'est-à-dire sur des
niaiseries. Étendre le champ d'expérience est à mon sens une drôle
d'idée.
Quittons le labeur pur et dur, revenons en ville et dans ses feuilles.
La floraison des caractères à fortes « connotations » anecdotiques est
surtout perceptible dans les travaux de ville, les dépliants, l'affiche,
les jacquettes, la presse spécialisée, certains « beaux livres »,
l'emballage, les gifouèbiques, etc. Cela doit bien dénoter quelque
chose...
Chez les typo-graph[ist]es, on parle beaucoup de connotations. C'est
légitime, mais faudrait quand même pas oublier que par définition c'est
secondaire... 
Cordialement,
Jean-Pierre Lacroux
P.-S. pour A.H. C'est la chaleur ou quoi ? On ne se comprend plus ?
Pourquoi tu t'excuses ? J'tai rien reproché (sérieusement...). Je
blaguais, comme d'habitude.
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Bibliographies, citations (langue française, orthotypographie) :
http://users.skynet.be/sky37816/Lx.html
Mise à jour : 23 juillet 1998
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