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Message : Re: anglais dans francais

(Jacques Melot) - Jeudi 10 Décembre 1998
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Subject:    Re: anglais dans francais
Date:    Thu, 10 Dec 1998 22:39:01 GMT
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 10/12/98, à 14:25 -0000, nous recevions de Jean Charlet :

>Bonjour,
>
>Je coordonne un livre d'articles scientifiques avec tous les aléas que l'on
>connaît : typographie chaotique et incohérente, éditeurs voulant du prêt à
>« flasher », etc.
>
>À cette occasion, nous prenons le temps (à 2 !) de remettre un peu d'ordre
>et de cohérences dans tout cela, avec le temps et les moyens (du bord)
>disponibles. On fait donc oeuvre (!) de typographie... en Word. Je
>préfererais en LaTeX mais c'est un autre débat que je ne tiens pas à
>poursuivre dan sce mail là.
>
>Ceci étant, j'ai un problème avec les mots anglais utilisés abusivement
>dans les textes et j'aimerais quelque lumière sur la moins mauvaise manière
>de faire.
>
>Exemple : le mot « groupware »
>
>Son équivalent français serait Travail Coopératif Assisté par Ordinateur,
>donc T.C.A.O. comme acronyme mais il n'est pas question d'utiliser une de
>ces 2 solutions pour des raisons qui se cumulent plus ou moins :
>- « Travail Coopératif Assisté par Ordinateur » est trop long,
>- T.C.A.O. rajouterait encore un acronyme dans des textes qui en ont déjà
>trop,


   S'agissant de P.A.O. on ne prend pas les mêmes gants... Je suis sûr
qu'en cherchant un peu on pourrait trouver des sigles plus longs et
employés tout de même à tout bout de champ.


>- risque d'être « accusé » (le mot est [un peu] trop fort) d'avoir modifié
>le texte (certains auteurs ne connaissent que « groupware » et la
>traduction française ne leur dit rien).


   « Celui qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! »


>Donc, que faire ?
>
>Pour l'instant, j'écris la première fois groupware en italique et entre
>guillemets pour (i) bien montrer que c'est pas français et (ii) que je le
>sais. Ensuite toutes les autres occurences sont juste en italique pour
>montrer que ce n'est (toujours !) pas français (donc (ii)).
>
>Euh... c'est pas terrible, hein ? :-)
>
>Il existe une(des) autre(s) solution(s) plus « orthodoxe(s) » à me proposer ?



   Alors là ! On vous prend la main dans le sac... vous qui - avec raison -
refusez le mélange des langues ! En français non influencé par les
pratiques anglo-saxonnes, on écrirait plutôt :

Avez-vous d'autres solutions à me proposer ?

   Ce n'est évidemment pas pour vous corriger - on pourrait en trouver
autant chez moi -, mais pour illustrer à quel point nous sommes assaillis
de toute part au point de se faire avoir, même lorsque l'on est sur ses
gardes !
   Que diriez-vous si vous présentiez un article pour publication et qu'on
vous refuse une telle phrase ?
   Personnellement, je la corrigerais automatiquement, sans même demander
son avis à l'auteur. Ce n'est pas une question de terminologie et ce ne
touche en rien au contenu de l'article, pas plus que lorsqu'on rectifie une
syllepse du genre ou une quelconque faute de syntaxe.



>Cordialement,
>
>Jean Charlet.



   La solution à adopter dépend de votre statut, dans une certaine mesure
de vos convictions... et très certainement de votre détermination. Un
directeur de publication a une certaine latitude pour s'opposer à des
usages linguistiques critiquables, car, du fait même de sa fonction, sa
responsabilité est engagée. Il doit donc veiller à ce qu'on ne publie par
n'importe quoi n'importe comment dans la publication qu'il dirige : cela
peut en conditionner la survie, tout simplement.

   S'il existe un mot français pour le mot anglais utilisé, vous pouvez
faire le remplacement, si vous êtes sûr de vous, mais il faut le signaler à
l'auteur de l'article.

   Voici un exemple.
   On m'a soumis récemment, pour publication, un article dans lequel
l'auteur employait le terme anglais « mulch » à une bonne dizaine de
reprises. J'ai refusé l'usage de ce terme, parce qu'il existe en français
un terme spécialisé en usage depuis très longtemps et qui désigne la même
chose : « paillis ».
   Une enquête m'a permis d'établir que l'évolution des deux mots, dans les
deux langues, a été remarquablement parallèle et qu'ils désignent bien la
même chose. Les nuances que certains veulent mettre dans « mulch », tel
qu'il est parfois utilisé en français - parfois à côté de « paillis » -
sont complètement artificielles et tiennent de la pétition de principe.
C'est également ce qui ressort des réponses que jai reçues lorsque j'ai
posé la question dans un forum pour traducteurs et un autre pour
terminologues.
   Dans un cas pareil, si l'auteur s'entête, je refuse l'article. De même
en ce qui concerne les emprunts politico-culturels sur le modèle de
« et/ou ». Dans ce dernier cas, c'est d'ailleurs encore plus facile.

   En restant inactives, les personnes qui justement ont le pouvoir de s'y
opposer laissent éventuellement s'installer dans l'usage une terminologie
« indigne » constituée de termes qui auraient dû être interceptés. Voici ce
que disait encore récemment Alain Rey, le directeur du Robert, à propos de
la terminologie et de l'usage :


> Alain Rey, responsable du Petit Robert, commente l'entrée des mots
> du multimédia dans l'édition 1998 du dictionnaire dans Libération
><http://www.liberation.fr/multi/cahier/articles/sem98.43/cah981016c.html>.
>  Concernant le mot e-mail qui fait son apparition dans le
> Petit Robert, M. Rey dit «Personnellement, j'aurais préféré le
> mot-valise "courriel", clair et joli, inventé par les Québécois
> <http://www.OLF.gouv.qc.ca/service/pages/p10cab18.htm>.  Mais
> la paresse a prévalu.  Dans le cas d'e-mail, il y a une fréquence
> réelle d'usage, qui justifie sa présence dans un dictionnaire comme
> le Robert.»  Et sur les néologismes dont nous sommes tous friands,
> «Les Québécois, eux, agissent avant même l'emprunt à une langue
> étrangère. Ils repèrent le néologisme dès son apparition en anglais
> et anticipent.  Il faudrait repérer les mots nouveaux en amont, tenter
> de créer un équivalent français avant que l'anglicisme ne sorte des
> milieux de techniciens et des cercles de professionnels.  Dans ces
> conditions, le mot français aurait des chances...»

(Communiqué par Alain LaBonté, dans FRANCE-LANGUE, le 20 octobre dernier.)


   S'il n'existe pas ou pas encore de terme français, il faut mettre le mot
en italiques ou entre guillemets (tout au long de l'article). Quand les
gens « en auront marre », ils feront un effort de recherche terminologique.
En règle générale, l'usage d'une terminologie où subsistent beaucoup de
mots non traduits (le plus souvent anglais) est signe d'un usage
valorisant, narcissique (vanité, gloriole, compensation d'un complexe
d'infériorité, etc.). Les gens qui ont vraiment quelque chose à dire n'ont
pas besoin de cela. Ce sont eux aussi, le plus souvent, qui forgent la
terminologie française digne de ce nom. Les personnes qui maîtrisent
plusieurs langues n'éprouvent pas le besoin de recourir sans cesse à cette
« béquille linguistique » que constitue le recours récurrent aux
anglicismes ou à des mots anglais non traduits. Elles s'expriment
simplement en français, lorsqu'il s'agit de s'exprimer en français, et dans
une autre langue dans les autres cas, sans s'aventurer à les mélanger, car
cela ne fait qu'affaiblir la pensée en augmentant sa viscosité.

   Cela dit, ma réponse est hors charte, car votre question ne se rapporte
pas directement à la typographie.

   Bonne chance ou, plus exactement, bon courage, car il en faut lorsqu'on
s'attaque à ce genre de mur !


   Jacques Melot
   Directeur de la publication du bulletin de la Société mycologique de France.