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Message : Re: veuve-orphelin, re'sume' ?

(Jacques Melot) - Jeudi 25 Mars 1999
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Subject:    Re: veuve-orphelin, re'sume' ?
Date:    Thu, 25 Mar 1999 09:10:04 GMT
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 25/03/99, à 4:07 -0000, nous recevions de Olivier RANDIER :

>>> Si ces typos faisaient bien leur boulot, on
>>> n'aurait même pas besoin d'en parler, de ces satanées veuves et
>>> orphelines! :-)
>
> C'est parce que les typos font bien leur boulot qu'on dispute là-dessus,
>car c'est un phénomène ***tellement rare*** qu'on hésite sur les
>définitions ! ! !

Bon, je reviens là-dessus, bien que j'ai déjà donné mon opinion, pour préciser certains points.

Sur la question de l'anglicisme :

Personnellement, j'ai été très surpris d'apprendre que c'était un anglicisme, pour deux raisons :
-- le terme « colle » tellement bien à ce qu'il désigne qu'on est étonné d'apprendre que c'est une invention étrangère.
-- il nous « interpelle » par rapport à une expression très française, « défendre la veuve et l'orphelin ».
Je trouve ce terme très utile et d'autant plus acceptable qu'il correspond à un « référent culturel » bien français.



À croire, Olivier, que tu ne m'as pas lu ou que le bruit des bombes te perturbe. Le fait, comme cela s'est produit ici chez certain, qu'il faille réfléchir si tel phénomène s'appelle « veuve » ou « orphelin » est déjà, en soi, une indication que le, ou plus exactement, les termes ne collent pas tellement bien.

À propos d'anglicisme pour lequel on peut trouver le même genre de justification a posteriori, nous avons « adopter un profil bas » (devenu, semble-t-il, désuet en France).

Faut-il rejeter systématiquement un terme parce qu'il s'agit d'un anglicisme ? Non, bien sûr ! Mais il faut le faire s'il n'est pas avantageux, s'il est inutile ou s'il est nuisible. Je n'ai pas pris position relativement à l'usage des deux termes en question ; j'attire simplement l'attention sur le fait que leur usage ne va pas de soi. Il est d'innombrables exemples de termes admis dans la précipitation et l'enthousiasme qui se sont révélés être défavorables, par exemple parce que, par enchaînement, ils entraînaient la disparition d'un terme français et du concept correspondant.



Sur son utilité :

L'expression « ligne creuse » ne désigne que le statut d'une ligne. Veuve et orpheline parle de sa position dans la page.



Là encore, relire la définition du Collins. Une veuve est une ligne creuse et le terme est spécialement employé pour désigner une telle ligne en haut de page ou de colonne.

widow [...] 3. Printing. a short line at the end of a paragraph, esp. one that occurs at the top line of a page or column.



On parle d'un problème très spécifique qui ne peut être désigné que par une périphrase très alambiquée :
veuve = première ligne (creuse) d'un alinéa isolée en fin de page ou de colonne ;
orphelin(e) = dernière ligne (creuse) d'un alinéa isolée en début de page ou de colonne.



Mais non, mais non. Tu tombes dans le sophisme. « Quand on veut noyer son chien, on l'accuse de la rage. » Où as-tu été chercher qu'en l'absence d'un terme pour désigner un concept dans une langue donnée on est obligé d'employer systématiquement sa définition dans cette langue à la place ? Tu confonds définition et manière de s'exprimer dans le cours d'un texte. Ces définitions ne sont pas utilisées in extenso à chaque fois, mais subiront chacune des ellipses variables suivant le contexte, ellipses qui ne s'opposeront pas - bien au contraire - à ce que le tout soit clair, fluide et d'une concision acceptable, voire remarquable. Et quand je parle d'ellipse, il pourra s'agir de formulations équivalentes, etc. L'usage d'un terme plutôt qu'un autre, et donc d'un terme là où il n'y en aurait pas, peut avoir pour conséquence un allongement du texte, pour des raisons purement sémantiques.
Prends quelques exemples en anglais et demande à Jean-Pierre de les traduire en français, sans faire usage de « veuve » ni d'« orpheline », tu verras...



Pour peu que l'on se mette d'accord sur ce terme, ce raccourci est très pratique.
D'autre part, la veuve n'est généralement creuse que du renfoncement d'alinéa, voire pas du tout (cas E).



Dans l'exemple E. de Jean-Denis, la dernière ligne 1. n'est pas une « widow », 2. la « widow » c'est l'avant-dernière ligne !



Et l'orpheline peut être pleine (cas F) -- ce qui plaide pour le féminin, d'ailleurs ;-).




Je me méfie de ce qui se fait au nom du pratique ! C'est un signe précurseur du tout-anglais. C'est d'autant plus inquiétant lorsqu'on s'y réfère et ne tient pas compte des définition des termes dans cette langue.



Sur l'ordre :

Faisons simple. L'ordre donné par JiDé me paraît le plus évident, pour plusieurs raisons. L'expression populaire dit « la veuve et l'orphelin(e) », il paraît donc logique de mettre la veuve au début du paragraphe et l'orphelin(e) à la fin.



Belle preuve de ce que je disais plus haut. Ces termes ne sont pas auto-indicatifs. Pensez aussi à la pagaille qui va s'ensuivre si l'on décide d'inverser le sens par rapport à l'anglais.



D'autre part, il est beaucoup plus « grave » de faire un orphelin qu'une veuve (qui peut être joyeuse, comme chacun sait). De même, la ligne orpheline est à éviter absolument, alors que la veuve peut être tolérée.

Donc :

CAS "A" :
......................... ) Ex. de ligne creuse en pied :
blablablabla blablablabla ) si ce texte est en bas
blablablabla. ) de page, la dernière de ces
Blabla blabla blablabl ) lignes est-elle une « veuve » ?

Oui, la veuve, c'est, strictement, celà. Il faut essayer de l'éviter, mais, si on ne peut pas, on peut atténuer les dégats en "repatinant"



À la bonne heure ! Un néologisme honnête, qui vient du fond de l'âme et du coeur - de la pensée française - qui, lui, pourrait être proposé et accepté. Je vais en faire usage par-devers moi désormais.



en amont afin d'avoir une ligne moins creuse au-dessus. Si la ligne précédente est vraiment très creuse (faux blanc), on pourra généralement la gagner, et donc éviter la veuve.




La question n'est pas là. On ne parle de « widow » et « orphan » que dans deux circonstances :

1. - Provisoirement, lorsque l'on a à parler d'un texte en cours de composition. Normalement, à terme, c'est le paradis : tous les maris sont ressuscités.

2. - Pour dénoncer un travail fini qui montre des défauts de composition.



CAS "B" :

blabla. ) Ex. de ligne creuse en tête :
Blablablablablab blabl ) Si une colonne commence comme ce
blablablabla blablablabla ) texte, la première de ces lignes
blablablabla blablablabla ) est-elle une « orpheline » ?

Oui, l'orpheline, c'est, strictement, cela. Elle est à éviter absolument. À la limite, en cas d'impossibilité, on peut la tolérer si elle est pleine (cas F). Tschichold dit tolérer « des lignes creuses sous le filet qui tient toute la justification au dessous d'un titre courant ».

CAS "C" :

Blabla blabla blablabl ) Ligne creuse en tête, mais
blablablabla blablablabla ) c´est la première
blablablabla blablablabla ) d´un
......................... ) paragraphe

Ceci n'est ni une veuve, ni une orpheline, c'est une ligne creuse en tête, qui ne me cause aucun problème philosophique. C'est un cas forcément très fréquent, et qui jure d'autant moins qu'il correspond à la logique générale d'une page, et qu'il n'est jamais creux que d'un renfoncement d'alinéa. S'il s'agit du début d'un texte (et s'il ne commence pas par une lettrine), toutefois, Tschichold recommande d'enlever le renfoncement.

CAS "D" :
.........................
blablablabla blablablabla ) Ligne creuse en pied, mais
blablablabla blablablabla ) c´est la dernière
blablablabla blablablabla ) d´un
blabla. ) paragraphe

Ni une veuve, ni une orpheline, c'est une ligne creuse en pied, qu'on s'efforcera de rendre la moins creuse possible. Plus embêtante que la précédente, parce qu'elle peut produire un faux blanc final.

CAS "E" : Composition sans renfoncement d'alinéa

......................... ) Ex. de début de paragraphe en
blablablabla blablablabla ) pied ; si ce texte est en bas
blablabla blabla blabla b ) de page, la dernière de ces
blablablabla. ) lignes est-elle une « veuve »,
Blabla blabla blablablaba ) la ligne n'étant pas « creuse » ?
) Est-ce interdit ?

Si l'on compose sans renfoncement d'alinéa, il y aura souvent



toujours ! (Sinon travail dégueu.)



un espace avant les paragraphes, et cette veuve (pour moi, c'en est une) posera le même problème qu'une veuve dans une composition avec alinéa. Sinon, mêmes remarques que pour la veuve « légitime ».




Sauf que cette veuve retrouve son mari de l'autre côté de la Manche !



CAS "F" (encore un oubli) :

bla bla blabla blablabla. ) Ex. de ligne pleine en tête :
Blablablablablab blabl ) Si une colonne commence comme ce
blablablabla blablablabla ) texte, la première de ces lignes
blablablabla blablablabla ) est-elle une « orpheline » ?

Cette orpheline pleine (dite « fille-mère » ;-)



ou Islandaise...



peut être tolérée, en cas de nécessité incontournable.

En fait, le problème des veuves et orphelines n'est pas tellement qu'elles soient creuses. On peut très bien avoir des lignes un peu creuses en début et fin de page ou de colonne. L'oeil tend à combler les vides pour remplir le rectangle d'empagement. Ce qui gêne, c'est la combinaison de deux lignes creuses en opposition, qui donne une page ou une colonne qui démarre ou finit de travers. C'est d'autant plus flagrant (et intolérable) si la veuve est précédée, ou l'orpheline suivie, d'un sous-titre.

CAS "A2" :
.........................
blablablabla blablablabla
blablablabla.
SOUS-TITRE
Blabla blabla blablabl

CAS "B2" :

blabla.
SOUS-TITRE
Blablablablablab blabl
blablablabla blablablabla
blablablabla blablablabla

Ces deux cas pose problème et sont à proscrire, même si l'orpheline et la veuve sont pleines.




Quoi, pas plutôt libres qu'elles trouvent le moyen de se faire engrosser à nouveau ! C'est la veuve joyeuse ! Et l'orpheline licencieuse. C'est presque du Restif de la Bretonne.



D'une façon générale, veuves et orphelines sont plus faciles à zigouiller si on a d'abord fait la peau des lignes à voleurs.



Voilà un langage que je comprends. Ah, ah ! Arsenic et vieilles dentelles...


Olivier RANDIER -- Experluette mailto:orandier@xxxxxxxxxxx
http://technopole.le-village.com/Experluette/index.html
Experluette : typographie et technologie de composition. L'Hypercasse (projet de base de données typographique), l'Outil (ouvroir de typographie illustrative).


Salutations amicales,

Jacques Melot, Reykjavík (et ses Islandaises de haut de page).