Archive Liste Typographie
Message : Re: plates-formes

(Jacques Melot) - Samedi 10 Novembre 2001
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: plates-formes
Date:    Sat, 10 Nov 2001 01:05:08 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 9/11/01, à 8:18 +0100, nous recevions de Patrick Orvane :

Bonjour,

Lacroux wrote: « diiode » [dijod] est une bien mauvaise création, car c'est un
quasi-homophone de « diode » [djod]...

Bien d'accord sur la qualité de la création. J'ai d'ailleurs dû (et je dois toujours) me
faire violence pour employer cette dénomination



Le vocabulaire technique de la chimie étant particulièrement vaste (et même quasi infini du fait de la nomenclature des produits chimiques), votre vie doit être un véritable calvaire, et ce, d'autant plus que dans l'éducation de ceux qui contribuent à augmenter ledit vocabulaire l'utilitarisme - et l'arrogance qui s'ensuit pour ainsi dire nécessairement - souvent a pris la place de la connaissance des langues classiques et... du français.

On connaît cela malheureusement aussi des autres disciplines. Même la botanique est touchée, où les spécialistes sont pourtant censés sinon avoir été formés au langues classiques, du moins s'y être mis sur le tard pour les besoins de la cause. Mieux, pour pouvoir appliquer correctement les règles (complexes) de la nomenclature botanique, notamment en ce qui concerne l'orthographe des noms scientifiques des plantes, il leur est nécessaire de se plonger dans les règles de composition et de dérivation du latin et du grec, à un point tel d'ailleurs, qu'ils en viennent à mieux connaître ces questions, notamment dans leurs détails que l'on pourrait dire anecdotiques, que ceux qui enseignent les langues classiques eux-mêmes. Et pourtant, même là, tout part à vau-l'eau.

J'en viens donc à conclure que la cause des aberrations terminologiques est ailleurs et se trouve là où est la source de bien des maux : dans les contacts internationaux et les influences réciproques qu'ils impliquent, lesquelles, comme chacun sait, sont de plus en plus à sens unique. Comme il est impensable de renoncer aux contacts internationaux, la question est plutôt : comment faire pour améliorer la situation, c'est-à-dire promouvoir efficacement une terminologie acceptable, qui ne soit plus le fruit de la bêtise de masse (excuser en passant le cynisme) ni de l'arrogance de quelques grandes gueules (rien à excuser là : cogner, c'est tout) ?

Comme exemples d'aberrations propres à la botanique (au sens large), on peut citer les mot « coenologie », « gloéocystides » ou encore « pleurorhynche », ce dernier que j'ai dû intercepter récemment et qui, du moins sous cette forme et autant que je sache, n'a jamais vu le jour, sinon en couveuse dans un manuscrit, pour finalement rendre l'âme dans un comité de rédaction. Nous avons aussi nos « ii » et je ne les loupe pas lorsque l'assimilation (ii>i) est possible (ce qui, en français, n'est pas toujours le cas, cf. Lacroux) : les auteurs sont priés de changer de vocabulaire ou de le rectifier (par exemple « foliicole » - orthographié sous l'influence de ce qui se fait en anglais - est rectifié en « folicole », sur le modèle du français « floricole », « gallicole », « lignicole », etc.), et ce, pour la raison que les mots formés ne sont pas dans l'esprit de la langue, autant, sinon plus, que pour des raisons structurelles. Il n'est, en effet, pas dans l'esprit du français de former dynamiquement des composés éphémères, à la germanique (je vous épargne « comme les champignons, à la grecque »... un moyen rusé de la placer quand même), lesquels constituent alors autant d'éléments à déchiffrer (cf. mon message d'hier) et équivalent à des portions de phrases, tel « chronophage » (pour « qui prend [de manière peu justifiable] beaucoup de temps » ou équivalent), ou encore « caulocystidiforme » (pour « ayant la forme d'une caulocystide » ou équivalent, ce qui, en soi, est aussi une aberration qui tombe sous la même critique, puisque « caulocystide », dans la plupart des cas, n'est qu'un composé formé dynamiquement pour désigner une cystide, lorsqu'elle se trouve sur le pied d'un champignon, sans qu'il y ait de différence de nature entre cette cystide et une autre se trouvant ailleurs). D'une manière générale, en français, les composés formés au pied levé et non vraiment justifiés du point de vue de la terminologie sont, du moins cela correspond-il à mes observations, des formations plaisantes appartenant au langage familier (cf. « chronophage », « tétracapillectomie », « virolalie » et autres « cunnipèteries », qu'une personne normale n'utilisera pas dans un texte où un langage plus relevé, plus formel, s'impose, sinon entre guillemets).

Autrement dit, les rédactions (ou les éditeurs), les traducteurs, etc., ont à faire preuve de sens des responsabilités afin que tout et n'importe quoi ne passe pas dans l'usage. Est-ce peine perdue ? On pourrait le penser, puisque là où des sommes très importantes sont en jeu, dans le domaine de la publicité par exemple, tout est sacrifié en vue d'optimiser les résultats, tout jusqu'au sentiment d'identité du publicitaire lui-même s'il le faut. Or la publicité nous touche tous et agit, comme on sait, largement sur l'inconscient ou, plus exactement, sur le préconscient en exploitant l'inconscient, par le mécanisme insidieux de la séduction. C'est encore la séduction qui joue dans le phénomène du rêve américain, directement ou indirectement la principale source de déstabilisation de notre propre forme de civilisation, cette influence se traduisant par des difficultés, des conflits ou même une dégénérescence dans tous les domaines et donc en particulier dans la terminologie.

Le tableau ainsi brossé est bien sombre, mais personnellement, je ne pense pas que tout cela soit un obstacle rédhibitoire (du moins pas encore) : chaque individu ajuste instinctivement son langage au groupe auquel il s'adresse (enfant, ami, égal professionnel, supérieur hiérarchique, personne perçue comme particulièrement prestigieuse ou respectable, p'tit con, grosse dondon, etc.) Même l'individu le plus fanatique des aberrations à la « et/ou » se gardera bien de recourir à ce type de harcèlement dans l'alcôve, sur l'oreiller, et ce, sans même en prendre la décision consciemment, sauf, bien sûr, s'il cherche le moyen le plus sûr de passer de l'hétéro-, de l'homo- ou de la bisexualité à l'autosexualité la plus rigoureuse. La qualité du discours dépend des influences que l'individu a subi au cours de sa vie, donc de ce qu'on pourrait appeler les mauvaises influences (celles qui désorganisent ou encore aliènent une structure au profit d'une autre, etc.), mais aussi de ce qu'il a lu et reconnu simultanément comme le langage adéquat à chaque situation particulière. Si donc les comités de rédaction des publications scientifiques, des éditions, etc., remplissent leur rôle, cela devrait avoir pour effet la promotion efficace d'une terminologie et d'un langage satisfaisants, et ce, malgré les influences extérieures négatives auxquelles incontestablement personne n'échappe. Le malheur veut que souvent les rédactions sont submergées et ont de plus en plus de mal à faire preuve de fermeté devant des auteurs qui, eux, se montrent de plus en plus arrogants.

Aux influences dues aux contacts internationaux s'ajoute un phénomène qui relève de la psychologie du chercheur, à savoir une tendance, chez certains, à l'inflation du vocabulaire et à son enjolivement, qui, d'ailleurs, souvent, consiste plutôt en un obscurcissement partiel savamment contrôlé, le tout étant utilisé plus ou moins inconsciemment tantôt comme une arme tantôt comme un outil de promotion (« ça fait scientifique » ou « introduit », et tout le tralala bien connu), quand ce n'est pas simplement comme paravent à la médiocrité. Mais, là encore, et bien qu'il fasse volontiers flèche de tout bois, le patient puise dans la source des influences dominantes, plus que dans son patrimoine.




Le pb est plus une question de normalisation que de linguistique.
La nomenclature chimique est créée pour répondre à un beoin technique et par des
spécialistes qui, j'imagine, ne s'entourent pas de linguistes :



La différence réside dans ce qu'avant les personnes qui forgeaient la terminologie et la nomenclature étaient toutes formées aux langues classiques (enseignement secondaire avec latin obligatoire, grec en option, également dans l'enseignement préparatoire au supérieur, souvent même dans ce dernier). Maintenant les « barbares » formés systématiquement à partir de 1961 (année de la suppression du latin obligatoire au lycée, s.m.s.s.e.) ont pris la relève, barbares qui, il est vrai, ont parfois le soucis de bien faire et y arrivent même dans une certaine mesure, laquelle peut même être large, mais dans l'ensemble pas aussi bien ou au prix de beaucoup plus d'efforts que s'ils étaient mieux armés pour le faire, comme l'étaient, eux, leurs aînés (lesquels ont d'ailleurs aussi, de temps à autres, commis des erreurs, cela va sans dire, et de belles !)



ils créent leur langue au
vu des besoins sans s'embarasser des considérations qui nous préoccupent ici.



Si je pouvais vous suivre jusqu'à présent, je me vois forcé de protester ici : d'un pragmatisme que l'on peut comprendre, voilà que vous frisez maintenant l'utilitarisme.



Par ailleurs, en ces temps de normalisation, le langage "doit être" internationnal.



   Merci d'avoir mis des guillemets, cela m'évite une longue diatribe.



Ainsi,
le "diiodine" anglais a naturellement donné "diiode".



Ben voyons ! (Ici, si je puis me permettre, je considère que votre « naturellement » est entre guillemets, histoire de faire court, encore une fois.)


Mais dites moi, pendant que j'y pense... comment se traduit, chez les sectateurs du français modernisé ou internationalisé, l'anglais « cæsium », « toxonomy » ou « titanium chlorid » ? « cæsium » ? « taxonomie » ? « chloride de titanium » ? Le langage technique d'un domaine étant pour les spécialistes de ce domaine en principe aussi transparent, ou, du moins, compréhensible, que le langage courant pour tout un chacun, à suivre les révisionnistes, je devrais par exemple, pour sacrifier à leur sacro-sainte manie, désormais remplacer dans mon vocabulaire de tous les jours « preuve » par « évidence » (« l'évidence par 9 », « j'en veux pour évidence », « jusqu'à évidence du contraire », etc., ce serait aussi se priver du verbe correspondant, à moins que... mais oui, mais c'est bien sûr ! C'est obvieux... « Je vais te l'évider », etc.), d'autant plus que « preuve » est utilisé tant et plus dans les textes techniques et scientifiques, d'une manière générale didactiques, du plus mousse au plus pointu.

Non, non, croyez-moi, tout cela est à ranger dans la panoplie des arguments de pacotille dont quelques anglophones, certes, mais surtout - surtout ! - la totalité des anglolagnes utilisent pour tenter de justifier un passage au tout anglais, prônant jusqu'à l'anglicisation des autres langues, c'est-à-dire leur réduction pratique à un dialecte de l'anglais. Qu'est-ce, sinon un cheval de Troie : la langue, minée jusque dans ses fondements ultimes par une syntaxe et un vocabulaire trompe-l'oeil, tombe à terme comme un fruit mûr pour ne laisser, à la place, qu'un simulacre inoffensif et stérile.



Cela dit, c'est vrai :ce n'est pas une excuse et le trait d'union aurait pu être
maintenu.

Dans ces exemples, le second « i » n'est pas une voyelle, mais une consonne ! Prenons «
diiode » [dijod], ça tombe bien... le second « i », celui de « iode » est un yod... Rien a voir avec la rencontre de deux « i voyelles » (comme dans anti-impérialiste !)

Malheureusement pas toujours ! l'hérésie peut aller très loin :
    maléate de diisooctyle
    butan-1-ol
    hexa-1,4-diyne

Je vous accorde que les deux derniers n'ont que peu de chance de se retrouver dans le Robert mais si, demain, le maléate de diisooctyle, se démocratise, il y ferait son entrée
...

Amicalement
P. Orvane


Amicalement (et merci pour vos exemples tordus, en particulier à la fin de votre message !),

   Jacques Melot

P.-S. Parlant de chimie, cela me rappelle qu'il y a bien longtemps que nous n'avons plus eu de nouvelles d'Emmanuel Curis...