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Message : Re: Re[2]: Du miel pour notre Melot

(Jacques Melot) - Vendredi 28 Juin 2002
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Subject:    Re: Re[2]: Du miel pour notre Melot
Date:    Fri, 28 Jun 2002 00:33:18 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: Re[2]: Du miel pour notre Melot
 Le 28/06/02, à 1:15 +0200, nous recevions de Olivier Randier :

>> T'es fou toi ? On risque une attaque féministe !
>
>Ah bon, féministe = partisan de l'illisibilité ?
>
>C'est quoi le rapport entre le féminisme et et/ou ?
>
>Peut-être que quelques associations féministes ont trempé dans des
>manipulations douteuses de la langue, mais de là à généraliser...


[O. R. :]
Le rapport, c'est des textes administratifs où la féminisation injustifiée
donne des formulations du style :
« le et/ou* la candidat(e) est prié(e) de ... » et autres horreurs.
Je crois que l'avis général (globalement) ici (je résume pour les nouveaux)
est :
Oui à la féminisation, mais pas au prix du massacre de la langue, et,
particulièrement, pas au prix de l'oubli du genre neutre sans lequel toute
conversation devient rapidement impossible.
En fait, il y a deux problèmes distincts, me semble-t-il :
-- la féminisation (ou masculinisation) des noms de métiers, qui se
pratique de plus en plus, parce qu'elle correspond à une réalité (donc des
usages).
Là, je pense que la plupart seront d'accord pour l'accepter, dans la mesure
où elle est possible,


[J. M. :]
   Non, pas quand elle est « possible », mais quand elle est justifiée, c'est-à-dire quand on constate a posteriori qu'elle a eu lieu spontanément, autrement dit qu'elle est passée dans l'usage dans des conditions normales.



[O. R. :]
parce qu'il y a plein de cas particuliers qui posent
problème. Dans le domaine du sport, j'avais cité le cas du féminin
d'entraîneur, par exemple (donner du féminin à une entraîneur d'arts
martiaux est dangereux)...
Ou des horreurs inutiles (à mon avis), comme auteure (qui n'a aucun sens à
l'oral). Sans compter les sages-hommes et les femmes-grenouilles...
La féminisation est souhaitable,



[J. M. :]
   Non, la disparition des injustices et inégalités dues à un état doit avoir lieu considérant non qu'elle est souhaitable, mais qu'elle doit se faire.


   Puisque nous parlons de ceci, voici un extrait de ce que j'ai écrit dans une correspondance personnelle que j'ai eu cet après-midi avec une personne du forum :


   « Vouloir réformer les mentalités en procédant à un « harcèlement linguistique » [...] relève du traitement symptomatique et n'a que pour effet de satisfaire les convaincus et irriter plus ou moins profondément les autres. De plus, cela obscurcit l'_expression_, lui fait perdre sa spontanéité, accentue le clivage social (l'usage « correct » de ce jargon sexualisé nécessite un minimum d'éducation, ne serait-ce que des notions de grammaire que tous n'ont pas) et, pour finir, entraîne une altération grave du langage à la suite d'effets non prévus. Non, tout cela est un cautère sur une jambe de bois et ce qu'il faut, c'est bien sûr s'attaquer au mal par la racine et que les gens entreprennent une action en profondeur sur leur propre comportement dans la mesure où, s'examinant à la lumière de justes revendications, ils en réprouvent certains aspects. »




[O. R. :]
mais elle peut accoucher de jolis monstres.
-- la tendance à la disparition du neutre, notamment dans l'écriture
administrative (démarche autoritaire et vaguement kafkaïenne de l'État sur
la langue).
Là, la tendance est plutôt au refus de ce qui apparaît comme de la langue
de bois et un clystère sur une jambe du même matériau. J'entends par là,
que si, dans un texte quelconque, quand on écrit « le candidat », il s'en
trouve encore pour estimer que ce sont nécessairement des hommes, c'est la
société qui est en cause, et que ce n'est pas en massacrant la langue qu'on
améliorera les choses. Au contraire, même, en tuant le genre neutre, on
s'attaque au fondement même de l'égalité : « le et/ou la candidate (blanc
ou noir, voire arabe, jeune ou vieux, homo, hétéro ou bi, etc.) »
Qui estime que « Tous les hommes naissent égaux en droit » ne s'applique
pas aux femmes ?



[J. M. :]
   Le fait est qu'il est des personnes qui ne se rallient pas à ce principe (même si elles prétendent le contraire : avant d'atteindre le stade épidémique, en interrogeant les gens je n'arrivais jamais à une autre conclusion que personne ne votait Le Pen).


[O. R. :]
Sur le plan juridique, en outre, je pense beaucoup plus efficace une
stratégie de promotion du neutre, qui consiste à dire que s'il n'y a pas de
précision, on est nécessairement au neutre, et à s'appuyer alors sur les
textes existants sur la discrimination. L'attitude inverse est dangereuse
(on risque de se retrouver avec des jurisprudences justifiant les
discriminations en l'absence de précision de généralité de tel ou tel
texte). Dans le même esprit, on peut estimer, comme Melot, que le recours à
des termes épicènes -- tentant -- est aussi dangereux, car il participe à
faire oublier cette notion essentielle de neutre.
Et, pour faire plaisir à Melot, j'ajouterais que c'est aussi un
américanisme (système des quotas).


[J. M. :]
   N'est-ce pas évident pour tout le monde ? Si ça ne faisait pas « gallo-ricain » à souhait, cela n'aurait jamais eu aucun succès !

   Tu as l'air de penser que ça me fait plaisir et, pour un peu, tu induirais parmi les participants au forum l'idée que je suis antiaméricain, ce qui n'est pas le cas. J'ai d'ailleurs écrit un jour (dans le forum France langue), dans un texte où je protestai énergiquement contre les propos antiaméricains de son auteur, que, pour ma part, je ne fustige pas les Américains pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils font, ce qui est bien différent et je tiens à ce que cela soit noté, à défaut d'être compris.

   Tiens même ! mon détachement vis à vis de ces questions va si loin que, ces jours-ci, comme certains le savent ici à qui j'ai fait suivre mes contributions, j'ai été jusqu'à défendre ou encenser les Anglais pour la prudence avec laquelle ils évitent de se lancer dans des réformes orthographiques douteuses de leur langue, dans un forum américain d'histoire naturelle (Taxacom, Berkeley).


[O. R. :]
Ça tient aussi, je pense, à la
spécificité du droit anglo-saxon, qui tend à légiférer du particulier vers
le général, au contraire du notre, basé sur des principes généraux.



[J. M. :]
   C'est une question très intéressante, mais aussi très complexe. À propos de droit, je suis très inquiet de l'évolution de la situation dans ce domaine en rapport avec tout ce qui est traité ici. Tout cela est d'autant plus impressionnant que le vocabulaire du droit (il est vrai que ce n'est pas tout à fait la même question) est par nature très lent à évoluer.



[O. R. :]
Le résultat du système des quotas étant souvent une crispation raciste
contre ceux qui ont obtenus des « privilèges » par ce biais.

Je reconnais par ailleurs que, ces derniers temps, on n'a guère de leçons à
donner à personne... :(

* Bon, j'exagère, le et/ou ne s'emploie guère dans ce cas, mais il procède
de la même déconstruction de la langue (et je crois bien que, dans quelques
cas, la déneutralisation des textes finit par aboutir à son emploi aussi).
Pis y a le cas des transexuels, qui pourrait justifier le et/ou. ;)
Mais, si vous voulez, Jacques peut nous en refaire deux cents pages sur le
et/ou (pitié !).
Mes deux euros (euras ?)...



   ... et une grande louche de miel...

   Jacques Melot



Olivier RANDIER -- Experluette mailto:orandier@xxxxxxxxxxxx