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Message : Re: [typo] Le maître de Garamond

(Alain Joly) - Vendredi 21 Mars 2003
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Subject:    Re: [typo] Le maître de Garamond
Date:    Fri, 21 Mar 2003 15:15:52 +0100
From:    Alain Joly <alain.joly3@xxxxxxxxxx>

Voici la suite de notre échange avec Jacques André.

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À propos du Garamont. Tu le sais au moins aussi bien que moi, c'est
un sujet de discussion typographique aussi vaste que peut l'être
Shakespeare pour le théâtre... Je vais essayer d'adopter un point de
vue pragamatique :-)

1. L'erreur qui consiste à utiliser "la" police de caractères de
l'époque du sujet est commune et, lorsque j'étais encore à Estienne
ce principe faisait même l'objet de sujets d'examen. Ce n'est bien
sûr pas un critère de choix objectif, sauf à vouloir reproduire une
ambiance, auquel cas il faut respecter les us et coutumes
typographiques de l'époque concernant le format, les blancs
d'empagement, les règles de disposition des titres, l'usage des
vignettes, etc.

2. Le "vrai" Garamont commandé par François Ier est un type italique
grec inspiré par ceux d'Alde Manuce et sa version romaine est, en
principe, communément admise comme étant celle du "Romain de
l'Université" gravé par Jean Janon et dont les poinçons sont à
l'Imprimerie nationale. Pour ma part, c'est cette version que je
considère comme originale. Ses ascendantes et descendantes sont bien
plus courtes que sur ton exemple et il chasse plus...J'en ai profité
pour jeter un oeil sur mes différents spécimens de caractères et n'ai
pas trouvé de type semblable à ton exemple. As-tu des infos sur ce M.
William-Ross Mills ? Une fois encore, je n'ai pas vu l'original et ta
remarque sur les dialogues est a priori très pertinente. L'emploi
d'un Garamont(d) plus conventionnel (genre Garamond 3 d'Adobe) aurait
sans doute évité ce défaut d'aspect...

Je crois tout simplement que le caractère de M. William-Ross Mills
est mal dessiné, trop étriqué et avec un mauvais rapport entre la
hauteur d'oeil des lettres courtes et de celles qui ont des hampes ou
jambages. Sur la dernière ligne, la hampe du "d" touche le jambage du
"q" situé au-dessus. Même un apprenti graveur n'aurait pas commis
cette erreur...

3. Je préfères, j'ai toujours préféré le dessin du Garamont italique
à celui du romain.Tu sais que de nombreux ouvrages de la Renaissances
en faisaient un usage inverse du notre. Aujourd'hui, les lecteurs ont
perdu l'habitude de lire ce style. J'ai fait, à la fin des années 70,
un "beau livre" sur un jardin italien "Bomarzo" entièrement composé
en Bembo italique. J'avais dû alors batailler ferme pour imposer ce
choix car on me reprochait le manque de "lisibilité" de l'italique et
m'en était sorti par un argument limite mauvaise foi : "lisez
quelques pages, vous constaterez que vous habituerez rapidement...".
Cela avait marché ! Cela aurait sans aucun doute fonctionné ici
aussi... De plus, on connaît exactement les formes du Garamont
italique gravé d'après les modèles de Francisco Griffo puisqu'on
possède encore les poinçons originaux de Garamont.

4. Pour conclure, Garamont était graveur de caractères. Je ne sais
pas combien de types différents il a gravé. Ceux-là ne portaient
généralement pas de nom puisqu'ils étaient faits "à la commande" pour
un ouvrage particulier, dont ils gardaient généralement le nom.
L'histoire a attaché le nom de leur auteur à deux d'entre eux. Il est
probable que le type original dont s'est inspiré M. William-Ross
Mills ait été gravé par Garamont, sans en être pour autant un :-)))
Ainsi tous les caractères dessinées par José Mendoza ou par Albert
Boton ne se nomment pas ainsi. On peut alors imaginer qu'un passioné,
dans quelques siècles, exhume les dessins du Photina et, par défaut
d'autre information, le renomme Mendoza. Pourquoi pas ;-)

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Alain Joly
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