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Message : Re: [typo] Des points à la place des balles ?

(Jean-François Roberts) - Vendredi 06 Juin 2003
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Subject:    Re: [typo] Des points à la place des balles ?
Date:    Fri, 06 Jun 2003 06:24:43 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Réponse hélas typique du francophone peu au fait des réalités linguistiques
anglo-américaines... et françaises, de fait.

1. Ce qui est en cause ici n'est pas un usage "américain", mais anglais,
puis américain (et canadien, australien, etc.). Les Allemands usent
également "versus" (abréviation "vs"), quoique j'aie plus souvent rencontré
dans les textes allemands - dans un contexte analogue (juridique ou
pseudo-juridique) - un autre terme latin : "contra". Ce qui, en tout état de
cause, reste un latinisme (voir ce terme).

2. Vouloir étiqueter tout usage anglophone comme étant "américain" revient à
vouloir occulter toute l'histoire de la culture anglaise, dans ses rapports
avec la France et le français. Les Anglais, pour leur part, n'ont jamais
dédaigné l'emploi de mots... français (même récents) ; ils ne gémissent pas
pour autant qu'ils s'en trouveraient "insidieusement" (?) "colonisés" (!) -
il y a belle lurette que l'invasion historique de 1066 (Guillaume le
Conquérant...) a été passée par pertes et profits (profits surtout).

En revanche, la résistance au projet politique européen passe typiquement
par ce genre de rhétorique, outre-Manche ; cette attitude apparaît comme le
pendant symétrique de celle que je décèle souvent en France dans la
dénonciation de prétendus "américanismes". A la Belle Epoque, on s'en
prenait directement aux "anglicismes". Il est devenu plus efficace (et
"insidieux") - depuis les années 30, semble-t-il - de les traquer en les
requalifiant d'"américanismes".

3. Les Anglais passent le plus clair de leur temps à adopter sciemment, avec
enthousiasme, des usages américains (un Anglais sait parfaitement, sans même
réfléchir, faire le départ de ce qui est américain et de ce qui est
britannique : l'accent à lui seul l'en informe instantanément, de même que
la nouveauté même de l'usage) - qu'ils fustigeaient la veille, comme étant
américains. Les 90 % de la population qui n'ont pas adopté ledit usage
passent alors 30 ans à dénoncer cette dégénérescence de la langue anglaise
d'"origine". Puis une nouvelle génération l'intègre...

Mais nulle "imposition" là-dedans (quelle conception curieuse du phénomène
langagier, et de la sociolinguistique !) : envisagez-vous quelque complot
occulte ("sans que les utilisateurs courant de la langue ne s'en rendent
compte") ? Je suis sûr que les Britanniques (dont je suis, incidemment) vous
seront reconnaissants de votre compassion, dans cette épreuve douloureuse :
votre plainte leur ira droit au c¦ur.

4. Est on colonisés, en France, à vouloir mettre les "wagons" d'un "train"
sur les "rails" ? Ou à parler d'une "bobine de self" ? Ou à évoquer le
"paquebot" France ? Ou à porter une "redingote" ou un "pull" ? Passons sur
"budget", "sport", "partenaire", ou "contredanse" (tous irrémédiablement
rosbifs d'origine, malgré leurs lointaines et médiévales accointances
francophones). Plus "insidieusement", allez-vous refuser d'employer les mots
"sentimental", "exhaustif", "viaduc", "sélection", "forum" (au sens de
"table ronde"), "indésirable" et "international" - sous prétexte que ces
mots (de dérivation impeccablement latine, pourtant) ont été introduits en
France, et dans l'usage français, sous l'empire de... l'anglais ? Sachons
raison garder.


> De : Fabrice Bacchella <fabrice.bacchella@xxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Thu, 05 Jun 2003 23:15:31 +0200
> À : typographie@xxxxxxxx
> Objet : Re: [typo] Des points à la place des balles ?
> 
> Jean-François Roberts wrote:
> 
>> "Versus" est latin, pas américain. Et son usage s'est maintenu en droit
>> anglo-saxon (via l'Angleterre bien plus que via les Américains).
>> L'anti-américanisme mécanique est-il vraiment utile à la discussion typo (ou
>> linguistique ou grammaticale) ?
>> 
>> Que l'on n'aime pas un latinisme, soit (mais pourquoi s'élever contre
>> "versus", et pas contre "via" ?). Mais taxer d'"américanisme" tout ce qu'on
>> réprouve est une rhétorique du pauvre, me semble-t-il - voire une pauvreté
>> de rhétorique. 
> 
> Par l'usage, versus n'est ni français ni latin mais anglais.
> 
> Un américanisme n'est pas obligatoirement un mot anglais, c'est un usage
> qui provient d'Amérique. Une mauvaise traduction mot à mot est peut-être
> pire qu'un mot effrontément anglais. On se retrouve à utiliser une
> langue qui n'est ni du français ni de l'anglais.
> 
> Un « votre honneur » lancé à un président du tribunal français relève du
> même phénomène.
> 
> Il s'agit d'une forme de colonisation culturelle insidieuse. Les plus à
> plaindre sont probablement les anglais, qui doivent probablement voir
> s'imposer des tournures de langages typiquement américaines sans que les
> utilisateurs courant de la langue ne s'en rendent compte.
>