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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Jean-François Roberts) - Lundi 03 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Mon, 03 May 2004 00:56:00 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] contribution et codage
Pour Gutemberg, vous avez sans doute raison... Mais votre refus d'admettre une étape où les planches servant à la xylographie (incunables stricto sensu) auraient été découpées pour en tirer des caractères mobiles réutilisables me paraît un peu  excessif.

En tout cas, c'est exactement ainsi qu'aurait procédé, à la fin du XIIIe siècle de notre ère, le lettré chinois Wang Zhen. Il se servait d'un support rotatif pour ranger les 30 000 caractères de sa casse.... Tentative postérieure de près de deux siècles, il est vrai, à l'apparition de caractères mobiles (chinois) en terre cuite (sic). A la même époque que l'initiative de Wang Zhen apparaissent d'ailleurs des caractères mobiles (chinois toujours) en métal (étain).

En tout état de cause, la typographie orientale en caractères mobiles en bois était techniquement facilitée par le fait que le caractère chinois (ou coréen) de définit essentiellement comme un *carré*, assurant une certaine solidité au type (contrairement aux caractères parfois grèles de la typo en alphabet latin !).

On notera la découverte de caractères de ce genre (bois) d'un type particulier, puisque ce sont des caractères alphabétiques (ouïgour, ancêtre du mongol : écriture *verticale*), datés du XIVe siècle, semble-t-il.

Quant à la xylographie, elles servit pendant de long siècles à l'impression de *textes* (plutôt que d'images, ou d'images seules)  en Chine, à partir du IXe siècle. La typographie à caractères mobiles métalliques ne se développa vraiment, en Chine qu'à partir de la fin du XVe siècle (caractères de bronze de Hua Sheng). En Corée, après la réforme du XVe siècle (écriture syllabique), la typographie métallique se développa à la même époque (plomb, ou alliage de cuivre à 80 %).

(Pour tout cela, voir les études de J.-P. Drège, N. Monnet et F. Macouin, ainsi que les documents, du  recueil _Les Trois Révolutions du livre_.)

Ce qui n'implique rien en soi pour le cas Gutemberg, bien sûr...

Cela dit, Maurice Audin évoquait ("L'imprimerie", in Maurice Daumas [dir.], _Histoire générale des techniques_, t. II, _Les Premières Etapes du machinisme, XVe-XVIIIe siècle_, Paris, Presses universitaires de France, 1964 [réédition 1996], livre VII, chap. II) la "légende bien établie" selon quoi un certain Laurens Janzsoon, à Haarlem (Pays-Bas) aurait utilisé des lettres de bois isolées, "vers 1423 ou 1437" : c'est ce que M. Audin nomme la "xylotypie". Du fait du problème déjà évoqué (étroitesse des caractères), Audin estimait que Janszoon n'aurait guère pu composer ainsi que des textes en corps assez important (placards).

M. Audin (ibid.) voyait plutôt une autre étape comme transition entre xylographie et typographie métallique : la "métallographie". En l'occurrence, plutôt que de graver directement une plaque métallique (en taille douce ou champlevé : "métallogravure"), à l'instar de la xylographie, on préparait une matrice *en creux* pour la planche métallique, qu'il suffisait de couler dans ce moule. Pour ce faire, le moule était gravé *au poinçon* : un poinçon par caractère à reproduire, réutilisable bien entendu autant de fois que nécessaire - procédé courant et bien établi à la fin du Moyen Age (orfèvres, médailleurs, fondeurs d'art ou de cloches...). Le principal problème venait de l'irrégularité des textes ainsi produits lettres à lettre (défauts d'alignement, et de profondeur). D'où des tentatives pour pallier ce défaut en... assemblant les poinçons ! C'était donc une composition "en positif". Ce procédé, apparu sous sa forme initiale en Hollande dans le deuxième quart du XVe siècle, ainsi que les tentatives de composition évoquées, aurait inspiré Gutemberg.



De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Sun, 2 May 2004 20:25:54 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage



Cher Christian Laucou,

J'ai un peu de mal à vous suivre dans la suite Chinois - bois gravés - Gutenberg.

Je ne conteste rien aux Chinois. Mais vouloir industrialiser mécaniquement une écriture alphabétique comptant un petit nombre de signes (300 pour Gutenberg, quand-même) et industrialiser la reproduction d'une page d'idéogrammes, ça n'a peut-être rien, absolument rien à voir... Le système technique est une chose, le type d'écriture à laquelle ce système technique s'applique en est une autre.

Là où je vous suis encore, c'est dans l'analogie entre les Chinois et les bois gravés occidentaux concernant la xylographie. Les Chinois dessinent autant qu'ils écrivent et les bois gravés servent principalement à illustrer.

Mais l'hypothèse selon laquelle les types en plomb seraient une transposition métallurgique de livres-blocs dont on aurait découpé les lettres me laisse bouche bée... Bechtel justement en fait une analyse critique que je trouve très convaincante.

Gutenberg était métallurgiste. Son environnement technique, ce sont les médailles, les monnaies, les sceaux, les "miroirs" (médaillons) estampés à la presse dans des plaques métalliques, à Strasbourg, dix ans avant B42. C'est là que prend racine son invention géniale, pas dans la xylographie !

Cordialement,

Pierre Schweitzer






----- Message d'origine -----
De : Christian Laucou-Soulignac <mailto:fornax@xxxxxxxxxxx>  
À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Envoyé : vendredi 30 avril 2004 23:03
Objet : Re: [typo] contribution et codage

Oui, la technique de Gutenberg est la première technique industrielle
d'impression des textes. Ce que je voulais dire et que je n'ai pas dit c'est
que les autres tentatives tant qu'en Orient qu'en Occident voulaient
probablement devenir elles aussi des procédés industriels. Et contrairement
à ce que vous pensez il s'agissait bien bien là de réflexions sur un système
de composition puisque ce qui apparaissait comme contraignant avec la
xylographie, c'était l'obligation de graver planche par planche des pages de
texte sans jamais pouvoir rien récupérer. La gravure est l'opération de loin
la plus longue et la plus contraignante. D'où l'idée de découper les
planches pour pouvoir récupérer les signes ou celle de fondre. On remplaçait
la gravure par un simple assemblage d'éléments déjà gravés. Et on gagnait du
temps.
Gutenberg a gagné le pompon probablement parce qu'il est allé plus loin que
les autres dans son raisonnement. Toutes les tentatives antérieures connues
ne font état, justement, que d'un système de composition à caractères
mobiles : soit multipliés (fontes orientales au sable) soit à l'unité
(caractères bois occidentaux). Gutenberg, lui, va jusqu'au bout et propose
la presse, cerise sur le gâteau. Autre gain de temps et de qualité. C'est la
perfection d'emblée de son système qui en a fait succès. Succès immédiat :
un peu plus de 50 ans après son invention on imprimait un peu partout dans
le monde (fait sans précédent jusqu'alors qu'une technique se soit répandue
aussi rapidement. Il faudra, tout près de nous, attendre la traînée de
poudre informatique pour voir la même chose se reproduire) ; succès de
longue durée : née au milieu du 15e siècle elle sera pratiquée sans
changement majeur jusqu'au milieu du 19e. Il faudra attendre le 20e pour
qu'elle perde son statut industriel et le 21e pour qu'elle disparaisse
totalement (du moins je vous en fiche mon billet).
Vous trouvez que le fait d'imprimer est un fait secondaire ! Vous n'y allez
pas de main morte !
S'il n'y avait pas eu les Chinois, il n'y aurait pas eu le bois gravé. S'il
n'y avait pas eu le bois gravé, il n'y aurait pas eu Gutenberg. S'il n'y
avait pas eu Gutenberg nous serions peut-être en train de correspondre en ce
moment à l'aide d'une plume de volatile trempée dans une encre
ferro-gallique se promenant sur un vélin ou un parchemin (Harry Potter sans
la magie), éventuellement un papyrus, car s'il n'y avait pas eu les chinois,
il n'y aurait pas eu le papier non plus... Je sais, vous ne me contestez pas
les Chinois mais seulement l'imprimerie ! Mais comme c'est eux qui l'ont
inventée... J'ai l'ire bileuse, ça me donne le teint jaune : c'est peut-être
pour ça que je défends les Chinois avec autant de véhémence. :-))
La xylographie est une étape capitale dans l'histoire de l'écrit. C'est elle
qui a permis la première multiplication à l'identique et de façon mécanique.
Ce n'est pas insignifiant... puisque c'est la base même de la diffusion de
la culture... pour un plus grand nombre.

Votre bien féal,
Christian Laucou.

----- Original Message -----
From: "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
To: <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Sent: Friday, April 30, 2004 9:04 PM
Subject: Re: [typo] contribution et codage


> Christian Laucou-Soulignac écrivait :
>
> Gutenberg a inventé une technique d'impression des textes : la typographie
à
> caractères mobiles. (...)
>
> _ _ _
>
>
> Euh... la typographie à caractères mobiles, c'est pas la typographie ?
> Ou bien il y a encore quelquechose qui m'échappe...
>
> Pour moi, Gutenberg a industrialisé la composition par des éléments
> préfabriqués... les caractères mobiles en plomb. Cette histoire
d'imprimerie
> est assez secondaire, non ? Les Chinois, les Coréens, les Hollandais et
tout
> ça... ils imprimaient bel et bien mais ils ne composaient pas.
>
> Pierre Schweitzer
>
>
>
>