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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Jean-François Roberts) - Mardi 04 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Tue, 04 May 2004 00:46:11 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] contribution et codage
Pas de problème : ma référence est l'étude de Francis Macouin (conservateur en chef de la bibliothèque du musée Guimet), "La typographie en Extrême-Orient jusqu'au XVe siècle", in _Les Trois Révolutions du livre_, p. 63-72. Voir également (ibid., p. 197-138) les notices accompagnant les illustrations de documents n° 25 (page de typographie chinoise à caractères mobiles en terre cuite) et n° 26 (caractères mobiles en bois ouïgours). Vu son intérêt, je reproduis ici les passages pertinents :

"Caractères en bois
Bien que Bi Sheng [l'inventeur des caractères mobiles en terre cuite, vers 1041-1048 de notre ère] ait renoncé au bois, ce matériau ne fut pas abandonné par les autres. En annexe d'un sien traité d'agriculture, _Nongshu_,publié en 1313, Wang Zhen explique comment il produisit des caractères pour imprimer en 1298 une histoire locale, _Dade Jingde xianzhi_[9]. Les caractères étaient gravés sur une planche, qui était ensuite découpée avec un scie, puis égalisés pour l'obtention de dimensions uniformes, spécialement une hauteur de papier constante. Dans la forme, ils étaient maintenus en place au moyen de lamelles de bambou qui délimitaient les colonnes. On peut rapprocher de cette entreprise l'impression, en 1322, d'un commentaire d'un classique confucéen, le _Daxue yanyi_, ainsi que d'autres livres, par un fonctionnaire de la province du Zhejiang, Ma Chengde [10]. Ce dernier utilisa un ensemble de 100 000 caractères dont la matière n'est pas connue, mais supposée être du bois. [...]

Composition et impression des textes
Quant à la composition des textes, le système d'écriture du chinois posait un problème sérieux. Comment retrouver rapidement le bon caractère à insérer dans la forme, quand il faut le choisir non pas entre quelques dizaines mais entre quelques milliers ? On possède assez peu de renseignements pour l'époque ancienne. On sait toutefois que des solutions à cette difficulté technique furent cherchées dès le début. Pour Bi Sheng, les caractères rimant ensemble étaient regroupés - chaque rime étant pourvue d'une étiquette -, et rangés dans des boîtes en bois. Wang Zhen, vers 1300, imagina un support circulaire rotatif pour ranger les quelque 30 000 caractères nécessaires d'une police. Sur un plateau rond tournant horizontalement, d'environ 7 pieds de diamètre, les types étaient répartis en colonnes dans des boîtes, selon l'ordre du dictionnaire des rimes. Une autre table tournante contenait les caractères les plus usuels et un ouvrier, assis entre les deux, pouvait choisir les caractères qui étaient numérotés pour aller plus vite.

L'impression proprement dite resta celle utilisée en xylographie. Le texte, gravé en relief, était encré ; la feuille, placée au-dessus et pressée à à l'aide d'un frotton. Même soumis ainsi à une pression légère, les caractères bougeaient lors de l'impression. Cette difficulté, qui ne paraît pas avoir été réglée d'une manière satisfaisante, a nui à la diffusion du procédé typographique. Pour maintenir les types dans la forme, on expérimenta la fixation à la cire [36], le liement des caractères au moyen d'un fil passant dans un trou d'enfilage ménagé dans le pied du type ; enfin, le calage à l'aide d'éclisses de bois ou de bambou. Ce défaut de stabilité obligeait à rectifier la position des caractères après quelques feuilles imprimées, entraînant un faible rendement du tirage. Ainsi, avec les caractères fondus en l'année _kabin_ (1434), qu'on maintenait en place avec des cales de bambou et des bouts de papier, on imprimait une quarantaine de feuilles par jour ; mais c'était le double de ce que permettaient les caractères précédemment utilisé, ceux de l'année _kyônja_ (1420), fixés à la cire. [...]

[9] Traduction en anglais dans Carter, op. cit. [Thomas F. Carter, _The Invention of Printing in China and Its Spread Westwards_, éd. revue par L. C. Goodrich, New York, 1955], p. 213-217.
[10] Tsien Tsuen-Hsiun, op. cit. [Tsien Tsuen-Hsiun, "Paper and Printing", in Joseph Needham (ed.), _Science and Civilisation in China_, vol. 5, Part I, Cambridge, 1985], p. 208.
[36] Pour cela, les premiers caractères coréens avaient une base pointue."

(Loc. cit. p. 63, 67-68, 69.)

Vous faites bien d'évoquer Unicode : " les caractères [de Wang Zhen] qui étaient numérotés [...]". Enfin... se méfier des anachronismes, tout de même ;)

Et se méfier aussi des anatopismes (homologue dans l'espace de l'anachronisme dans le temps), ou de l'européocentrisme : notre Moyen-Age est l'âge d'or de l'ère classique dans le monde islamique, avant la terrible peste noire des XIIIe et XIVe siècles, suivie du bouleversement des invasions mongoles déferlant sur une Asie affaiblie... On comprend que les innovations de la typographie chinoise aient peu progressé, au-delà des Ouïgours. Pour la Chine, la période qui nous occupe correspond précisément à la consolidation de l'empire mongol (1280-1368), faisant suite à la période des empires barbares (Xe-XIIIe siècles) et précédant l'essor des Ming (1368-1644). Les Mongols avaient d'ailleurs initialement adopté l'écriture ouïgoure pour leur propre langue. Mais les conquérants se convertirent vite au lamaïsme, et adoptèrent les institutions chinoises...


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Mon, 3 May 2004 20:16:07 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage


Merci pour tout ça.

Dans votre premier message, un truc m'intriguait un peu : cette casse de Wang Zhen qui permettait de classer 30.000 signes à la fin du XIIIème... Vous avez une référence là dessus ?

Rendre accessibles 30.000 signes pour composer un texte, même en Chinois, en plein coeur du Moyen-Âge... c'est un truc à faire pâlir aujourd'hui les virtuoses d'Unicode, non ?

Pierre Schweitzer


----- Message d'origine -----
De : Jean-François Roberts <mailto:jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>  
À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Envoyé : lundi 3 mai 2004 17:14
Objet : Re: [typo] contribution et codage

On parle bien du même :)

Merci d'épingler mon lapsus... Je le referai plus !

(...)