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Message : Re: [typo] Nouvelle version de BabelMap disponible - prend en charge Unicode 4.1

(Jean-François Roberts) - Dimanche 25 Décembre 2005
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Subject:    Re: [typo] Nouvelle version de BabelMap disponible - prend en charge Unicode 4.1
Date:    Sun, 25 Dec 2005 09:34:26 +0100
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

La tendance moderne, en matière d'édition scientifique concernant les
langues non écrites en alphabet "latin" (ou un des ses dérivés, comme pour
le vietnamien) est en effet d'opter pour une *translittération* (plutôt
qu'une transcription), pour peu que le système d'écriture de ladite langue
soit lui-même alphabétique (cyrillique, grec, etc.) ou quasi alphabétique
(cas des "abjad", qui ne notent pas systématiquement les voyelles, par
exemple : hébreu, arabe...), ou encore syllabique ou alphasyllabique (du
type abugida : devanagari, écritures des langues du sous-contient indien et
du sud-est asiatique, kana japonais, etc.) : c'est ce dernier cas qui est
celui du tibétain.

Voir dans ce parti scientifique un phénomène "anglais" (sic) relève
simplement d'une des lubies qui vous sont chères, certes, mais que les
prémices du réveillon ne sauraient justifier.

Pour mémoire, rappelons que l'"Anglais" Wylie était enseignant à
l'université de... Washington, et qu'il publia son système de
translitération ("romanization") du tibétain dans le oh si britannique
_Harvard Journal of Asiatic Studies_ (1959) ! Dans cette étude, il passait
d'ailleurs en revue quelque 12 systèmes de transcription/translittération
antérieurs, avant de proposer le sien - qui a fini par l'emporter en
Occident, pour les besoins, encore une fois, d'édition scientifique, de
cataloguage, etc.

Vos remarques semblent confondre deux critères : une transcription plus ou
moins "phonétique" (en évitant les symboles API/IPA, qui n'indiquent rien au
commun des mortels, et qui, avant l'Unicode, n'étaient guère accessibles)
sera surtout utile pour des ouvrages du style manuel de conversation, _Le
Tibétain sans peine_, _101 Recettes tibétaines_, etc. L'utilisateur de tels
ouvrages ne cherche nullement à passer du texte français (par exemple) à
l'original tibétain, ou à suivre les graphies ou étymologies utilisées en
tibétain même, dans ses divers systèmes d'écriture.

Pour donner un exemple simple, pour un personnage connu de la Belle Epoque,
la translittération scientifique donnera "Kropotkin". Une trancription a
minima, en français, donnera "Kropotkine" (mais "Kropotkin" en anglais).
Mais une transcription fidèle donnerait "Krapotkine" en français (ou
"Krapotkin" en anglais ou en allemand), du fait du phénomène d'alternance
vocalique dans les langues slaves (suivant sa place dans le mot,
relativement à la syllabe tonique, en russe, le "o" pourra se prononcer de
*trois* façons différentes !). Certains ouvrages de référence allemands de
la fin du XIXe siècle donnaient d'ailleurs régulièrement l'entrée
"Krapotkin" (sic).

Les choses se corsent, dès qu'on passe aux consonnes... Ainsi, l'architecte
de la victoire de l'Armée rouge sur l'Allemagne nazie s'apellera simplement
"Z^ukov" ("Z^" = "z caron" cap.), en translittération scientifique ; mais,
en transcription, il s'agira de Joukov en français, Zhukov en anglais,
Schukow en allemand (mais "Shukow" en ex-RDA...), Sciukov en italien, etc.,
etc.

Vous comprenez pourquoi la tendance moderne est - massivement - à la
translittération.

Venons-en donc à la deuxième confusion de critères : on préférerait donc
(dans les milieux "inféodés aux Anglo-Saxons", comme le dirait sans doute un
autre colistier) une translittération "anglaise" (sic) à une noble
tranlittération chinoise (pinyin fangan), ce qui serait gênant... pour les
pauvres Tibétains eux-mêmes !!!!!!!!!!

On croit rêver. Si vous n'avez pas conscience de tout ce qu'une telle prise
de position peut charrier de bagage idéologico-politique de contrebande,
rendez-vous sur le site du gouvernement tibétain en exil :

http://www.tibet.com/

Disons que, pour les Tibétains eux-mêmes, un système n'est pas plus
compliqué qu'un autre. Rappelons par ailleurs que, dès qu'il eurent secoué
la paternelle présence du grand ami ex-soviétique, les Géorgiens, pour leur
part, se sont empressés de faire savoir, urbi et orbi, qu'ils ne voulaient
plus admettre l'ancien système de translittération (en alphabet latin) de
leur langue, jusqu'alors fondé sur la translittération de... la
translittération russe (cyrillique) de l'écriture géorgienne, et la
transcription/assimilation systématique des noms propres géorgiens en
versions russes. Phénomène rigoureusement identique à celui qui s'est
produit pour l'ukrainien...

Nos chers Tibétains, s'ils avaient leur mot à dire en la matière, ne
seraient peut-être pas plus enthousiastes que ça de la (si pure)
tranlittération pinyin de leur langue...

Vous comprendrez que, à tout le moins, ça se discute !

Disons simplement que la position que vous défendez ici est celle qui fut
adoptée, dans un premier temps, par le GENUNG (Groupe d'experts des Nations
unies sur les noms géographiques) pour les besoins de la normalisation
cartographique : une résolution des Nations unies en 1977 recommanda le
pinyin pour les noms tibétains. L'entrée en force de la République populaire
de Chine au Conseil de sécurité n'avait, bien évidemment, rien à voir avec
cette résolution...

Moyennant quoi, les linguistes, orientalistes et historiens des religions ou
de la philosophie occidentaux n'ont pas instantanément jeté aux orties les
instruments qu'ils avaient patiemment édifiés eux-mêmes, ni refondu sur
l'heure leurs catalogues et bases de données pour se plier au nouvel ordre
chinois. On peut le regretter. Mais ça se comprend.

Il est tout de même succulent de voir votre ami expert expliquer le "peu de
réaction" face aux erreurs de nomenclature en Unicode par... le système de
translittération (non chinois, pouah !) utilisé. Encore une fois, pour les
Tibétains, un système en vaut un autre. Le peu de réaction des Tibétains
eux-mêmes serait peut-être (mais là, on voit que l'eau est vraiment dans le
gaz de nos amis experts) dû au... manque d'accès de la plupart des Tibétains
- sous la bienveillante administration de leurs amis chinois - aux moyens
moderne de communications internationales. (Mais enfin, on va m'accuser de
voir du politique partout, même en Unicode...)

Quant aux Tibétains eux-mêmes, quand ils ont le choix, ils publient des
ouvrages cartographiques en ratissant large :

"This specific map project was undertaken at the express request of His
Holiness the Dalai Lama. The five-colour 39²x27² map is on a scale of
1:3,200,000.  4,076 names of villages, cities, monasteries, counties,
prefectures and provinces, lakes, rivers, roads, railways, airports and
border crossing points, besides other features, are clearly indicated. (...)

"A separate index of over 600 pages is being prepared of all the place names
and the 149 Tibetan autonomous counties plus 40 claimed counties. All names
are provided in Tibetan script, Tibetan romanization (Wylie), English,
Chinese characters, Chinese romanisation (pinyin). All names are
cross-referenced for users¹ convenience and exact grid references are
provided. Another valuable feature of this index is the inclusion of archaic
names or the former names of those places which have changed in recent
years."

http://www.tibetnews.com/bulletin/99Issue1/page33.html

Vous noterez la subtile distinction entre "romanisation tibétaine (Wylie)"
et "romanisation chinoise (pinyin)". Et la discrète allusion aux "toponymes
qui ont changé au cours des dernières années"... La sinisation se poursuit,
la normalisation aussi (mais pas au sens de l'ISO, cette fois-ci !).

Et un joyeux Noël à vous aussi, sur ce - ainsi qu'à tous nos colistiers.


> De : Patrick Andries <patrick@xxxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Sat, 24 Dec 2005 22:16:58 -0500
> À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Objet : Re: [typo] Nouvelle version de BabelMap disponible - prend en charge
> Unicode 4.1
> 
> (...)
> 
> [1] En fait, les noms sont en translittération « scientifique »
> [entendre anglaise] du tibétain (...).
> 
> (...)
> 
> La translittération scientifique des noms anglais est une variante
> particulière de la notation de Wylie (variante à cause des limites
> importantes sur le choix de caractères permis dans les noms anglais),
> mais la RP de Chine utilise une norme de romanisation totalement
> différente. Il est donc peu probable -- et je tiens ceci d'un expert en
> tibétain -- que le Tibétain moyen reconnaisse les noms de caractères
> anglais Unicode, ne parlons pas du néophyte occidental. Rappelons
> également la distance entre la translittération qui note un grand nombre
> de lettres muettes et la transcription moderne : « bskur yig mgo »
> [translittération] par rapport à « kour yik go » [transcription]. Comme
> le notait cet expert, un des avantages de la translittération utilisée
> dans les noms anglais c¹est justement que personne ne se plaint quand
> une erreur grossière s¹y glisse.
> 
> (...)
>