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Message : Re: [typo] i.e. en début de phrase ?

(Jacques Melot) - Dimanche 28 Mai 2006
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Subject:    Re: [typo] i.e. en début de phrase ?
Date:    Sun, 28 May 2006 19:19:18 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] i.e. en début de phrase ?
 Le 2006-05-27, à 10:14 +0200, nous recevions de Thierry vohl Light Motif :

Bonjour.

Tout à coup, en composant, une question.

En début de phrase i.e. ou I.e. ?

Et par extension, toute autre abréviation.

En tentant de me répondre tout seul, Etc. paraît évident en début de phrase (plutôt qu'« etc. »).

Mais côté discernement optique, je trouve qu'I.e. n'est pas identifié comme i.e. (certainement la faute au « i » en capitale (« I »)).

Faudra-t-il en revenir au l « barré » du Romain du roi ? (!).


   Bien que nous n'ayons à mon avis pas à nous interroger sur le caractère justifié ou non de la présence de cette _expression_ en début de phrase, il semblerait tout de même plus judicieux d'y employer la forme au long, comme on en a déjà fait la remarque (cela s'imposerait en début de paragraphe).

   L'_expression_ « id est » est bel et bien un anglicisme. en se souvenant qu'un anglicisme est « une locution propre à la langue anglaise », autrement dit un groupe de mots fixé dont le sens est l'aboutissement permanent d'un processus se déroulant dans une langue et, par là, dans un univers culturels qui nous sont étrangers*. Les emprunts d'une langue à d'autres langues sont inévitables et donc, jusqu'à un certain point, normaux, mais deviennent redoutables lorsqu'ils cessent de constituer un phénomène isolé pour se substituer quasi systématiquement aux autres modes d'enrichissement de la langue. Ces emprunts sont en effet autant d'intrusions d'une culture ou d'une forme de pensée dans une autre, avec tout ce que cela peut avoir de déstabilisant, et ce, d'autant plus que le phénomène est très largement subreptice.

   « Id est » (sous la forme abrégée i.e.) s'est introduit ou réinstallé en français moderne par osmose, d'abord dans le monde universitaire, puis, progressivement, hors de l'écrit didactique, dans des milieux de mons en moins académiques où cette _expression_ joue, consciemment ou non, le rôle d'un signe de reconnaissance valorisant.

id est [abréviation i.e.] Mil. XXe; loc. lat. empruntée à l'angl. ; attestée dans cette langue depuis 1598. (Le Petit Robert, éd. électr.)

   Il en va de même de e.g. :

e.g. XXe; abrév. du lat. exempli gratiae « par l'effet, par la grâce de l'exemple », réemprunté à l'anglais. (Même référence.)

   Une autre _expression_ est fréquemment utilisée en anglais, qui, elle, ne semble pas encore avoir été empruntée en français : viz. (prononcée « namely » ; c'est aussi là sa signification). Il s'agit de l'abréviation du latin videlicet (« à savoir »), constituée comme etc. de lettres non consécutives (mais dans le bon ordre) tirées du mot qu'on entreprend d'abréger (jadis on a aussi employé les abréviations videl., vidz,, etc.,, de même que id est s'est aussi abrégé en i.).

   L'explication psychosociologique de ces emprunts (ou regains d'usage) est la même que pour le mot « obsolète », désormais employé par votre plombier. Dans ce dernier cas, il s'agit plutôt d'un changement de registre de langue sous l'influence de l'anglais, car, en français, ce mot a été emprunté au latin à la Renaissance et n'a jamais cessé d'y être utilisé depuis. Jusqu'à une date récente, il n'était cependant employé que dans l'écrit didactique et compris que d'un public éduqué et donc restreint : son emploi dans le langage courant aurait été par définition même pédant.

   Vous écrivez : « Mais côté discernement optique, je trouve qu'I.e. n'est pas identifié comme i.e. », alors que vous ne faites pas la même remarque pour « etc. » lorsqu'il se présente sous la forme « Etc. », tout en ayant pensé à faire le parallèle entre les deux abréviations. La raison de cela me semble être que « i.e. », malgré son usage plus fréquent ou plus large qu'il y a encore peu, vous est encore « étranger », contrairement à « etc. ».

   Jacques Melot


* Que les mots utilisés (id et est) soient latins ne change rien à l'affaire pour l'essentiel, puisque nul n'est besoin de connaître le latin ni même la signification exacte de id et de est pour utiliser i.e. correctement et efficacement en anglais. On peut prendre un autre exemple, assez croustillant celui-là, celui du mot ombudsman. Selon le Petit Robert :

ombudsman n. m.

? v. 1960; mot suéd., de ombud « délégué » et man « homme » 

¨ Dans les pays scandinaves, Personne chargée de défendre les droits du citoyen face aux pouvoirs publics (cf. Médiateur [en France], protecteur* du citoyen [au Québec]). Des ombudsmans ou des ombudsmen [CmbydsmDn].

   Je me souviens très bien que le mot avait été présenté en France comme un emprunt au suédois (en 1973, par le premier médiateur en date). Cette affirmation est malheureusement fausse : il s'agit d'un anglicisme, ce qu'indique d'ailleurs le pluriel non francisé admis par le Petit Robert (cf. ci-dessus) : ombudsmen. Il s'agit là en effet du pluriel anglais, le pluriel suédois étant ombudsmän. J'attends de pied ferme, encore qu'en me délectant par avance à cette idée, ceux qui voudraient féminiser ce terme sur le modèle de ce qu'on a fait en anglais (ombudswoman, 1961 - ombudsman apparaît en anglais, sous forme de composés empruntés directement au suédois, tels que justitieombudsman, militieombudsman, partiombudsman, etc., dès lès premières années du XXe siècle -, féminisation qui est une aberration au même titre que « policewoman », etc., -man ayant en anglais, a fortiori dans cette position de suffixe, le sens d'« être humain indépendamment de toute considération de sexe »). Le pluriel suédois est ou plutôt serait - en espérant que ce ne sera jamais (mais que peut-on attendre de bon de gens qui vont d'eux-mêmes appeller officiellement le centre de la capitale de leur pays « Stockholm City », pays où, de plus, des professeurs d'université militent au grand jour pour l'abandon du suédois comme langue nationale et son remplacement par l'anglais !) - ombudskvinna, plur. ombudskvinnor.

  J. M.