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Message : Re: [typo] etc...

(Jean-François Roberts) - Vendredi 05 Janvier 2007
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Subject:    Re: [typo] etc...
Date:    Fri, 05 Jan 2007 01:07:49 +0100
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Sur l'"ignorance crasse", je vous laisse l'entière responsabilité de votre
supposition gratuite - qui se sous-tend uniquement de votre refus de
concevoir qu'on puisse avoir un jugement négatif sur ce qui - pour vous - ne
saurait souffrir aucune remise en question.

Résumons : votre réaction se fonde essentiellement sur deux sophismes en
parallèle (si l'un vient à faillir, l'autre prend la relève). J'en veux pour
seule preuve vos deux messages successifs, suite à ma remarque (certes
provocatrice, mais nullement "ignorante" pour autant).

1. Ces vers sont de Baudelaire ; or Baudelaire, comme chacun sait, est au
panthéon de la littérature et de la poésie françaises ; Baudelaire est donc
un génie ; tout ce que Baudelaire a écrit est donc génial, sans exception.

Dans un autre domaine, les musicologues savent parfaitement que tout
auditeur normalement constitué, et non mélomane fondu de musique baroque,
est parfaitement incapable de distinguer - sans voir la pochette - un
morceau écrit par Mozart ou Bach, ou par l'un *quelconque* de leurs
contemporains (ceci vaut également, soit dit en passant, pour les fameux
effets sur les facultés mentales, que l'on attribue à tort à ces deux seuls
compositeurs : c'est que, à cette époque, les règles de composition étaient
universelles). On exceptera, bien entendu, les thèmes et morceaux
hyper-galvaudés, qui sont à la musique ce que l'_Angélus_ de Millet est à la
peinture.

D'où ils concluent, d'une part, que lesdits contemporains sont le plus
souvent injustement mésestimés, nombre de leurs compositions valant bien
celles des "maîtres" ; et que les maîtres en question sont loin d'afficher
systématiquement (à chaque morceau) la supériorité qu'on leur attribue, une
fois le nom connu.

D'où, pour Baudelaire, le fait que seul son *nom* vous empêche de voir qu'il
peut aussi bien écrire des vers parfaitement médiocres (dans le contenu
comme dans la forme) : des vers "de mirliton", donc.

(Ce "panthéonisme" est d'ailleurs un des éléments constitutifs de
l'idéologie française, qu'il m'est arrivé d'évoquer ici de temps à autre...
Mais ceci nous entraînerait trop loin, sans doute.)

2. Baudelaire connaissait les règles de la métrique, et de la poétique ;
tout ce qu'il écrit est donc conforme à ces règles ; tout ce qu'il écrit est
donc irréprochablement poétique, et métrique, et donc génial (voir plus
haut).

Sur ce point, je vous rappellerai simplement que, pendant un siècle, la
poésie et le théâtre de Voltaire passèrent pour le summum de ce qu'on
pouvait faire en langue française, en ces domaines. On s'accorde aujourd'hui
à trouver ces morceaux illisibles, et inécoutables. Il y a sans doute autant
d'injustice dans ce jugement négatif que dans les panégyriques antérieurs :
somme toute, après un long purgatoire, la musique de Rameau refait
surface... Mais, indiscutablement, Voltaire appliquait scrupuleusement les
fameuses *règles* de métrique, de poétique, etc. - pas plus et pas moins,
d'ailleurs, que Baudelaire (qui de son vivant était jugé "illisible", etc.).

Ce que l'on tire de ce type de réactions, c'est donc l'invincible
conformisme de goût et l'incapacité de tout jugement autonome dont font
preuve la quasi-totalité des lecteurs, et des auditeurs (ou des spectateurs
en peinture, etc.).

Conformisme qui n'est, somme toute, que le corollaire (à courte vue) de
l'insistance, en typographie, sur une "lisibilité" non autrement définie -
qui, à chaque génération, appelle inéluctablement à condamner tout ce qui
est recherche (Apollinaire ou les constructivistes, par exemple, ou encore
les recherches typo "underground" des années 1960 et 1970...). Ce qui,
encore une fois, trahit une incapacité radicale à mener toute
(méta)réflexion sur la norme.

En résumé : Baudelaire, comme Rimbaud, sont très surfaits. Et c'est un
jugement que je n'ai pas eu d'aujourd'hui seulement. Ce qui ne les a pas
empêché, bien évidemment, d'écrire quelques morceaux admirablement
merveilleux.

Sur ce, je vous souhaite une bonne et profitable nuit.


> De : "chris.dufour2" <chris.dufour2@xxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Thu, 4 Jan 2007 17:41:11 +0100
> À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
> Objet : Re: [typo] etc...
> 
> Votre objection n'est en rien une objection, elle n'est que l'évidence de
> votre ignorance crasse en matière de poésie et de métrique - ou de votre
> récurrente mauvaise foi, celle-là n'étant nullement exclusive de celle-ci.
> Savez-vous que les vers sont faits pour être dits ? Savez-vous qu'en poésie
> le e muet ne se prononce pas s'il précède une voyelle ? Comprenez-vous que
> la ponctuation, quelle qu'elle soit, n'a jamais influé, ne peut influer et
> n'influe en rien sur le compte des pieds ? Comprenez-vous qu'il pourrait y
> avoir un point après « certe » qu'il en irait de même que s'il n'y avait
> rien ? Comprenez-vous enfin que le locuteur pourrait même être différent
> après ce « certe » que ça n'y changerait rien ?
> Il est quand même attristant d'être obligé de rappeler ces banalités de
> base. Enfin bon...
> C.
> 
> 
> 
> ----- Original Message -----
> From: "Jean-Fran ç ois Roberts" <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>
> To: <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
> Sent: Thursday, January 04, 2007 4:55 PM
> Subject: Re: [typo] etc...
> 
> 
> Même Baudelaire a écrit des verts de mirliton : la preuve. Mais vous êtes
> surement tellement confit en dévotion que ça vous échappe.
> 
> Et l'objection ne tombe aucunement du simple fait que ce soit l'objet de
> votre dévotion qui a commis l'impair. Ou du mojns, ça montre simplement que,
> comme chacun sait, un auteur -bon, mauvais ou indifférent - n'a que faire
> des justifications que l'on invente parfois pour lui.
> 
>> De : "chris.dufour2" <chris.dufour2@xxxxxxxxxx>
>> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
>> Date : Thu, 4 Jan 2007 14:27:56 +0100
>> À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
>> Objet : Re: [typo] etc...
>> 
>> 
>> ----- Original Message -----
>> From: "Jean-Fran ç ois Roberts" <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>
>> To: <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
>> Sent: Thursday, January 04, 2007 12:33 PM
>> Subject: Re: [typo] etc...
>> 
>> 
>> L'ennui, c'est que vous avez indiqué une *virgule* après votre "certe"
>> 
>> ***
>> L'ennui, c'est que ce « certe » n'est pas mien et que la virgule n'est pas
>> non plus mienne. L'un et l'autre se trouvent, comme vous ne l'ignorez pas,
>> à
>> la page 160 de l'E.O. des Fleurs du mal (Paris, Poulet-Malassis & De
>> Broise,
>> 1857).
>> Si vous aviez quelque connaissance de la métrique, vous sauriez que ce
>> n'est
>> en rien exceptionnel. Les exemples abondent ; pour n'en citer qu'un et
>> pour
>> parler d'un poème connu, voyez le deuxième vers du premier tercet du
>> Dormeur
>> du val de Rimbaud (je me réfère à l'édition de 1895 chez Léon Vanier) : «
>> [Souriant comme] Sourirait un enfant malade, il fait un somme ».
>> Quant à traiter la poésie de Baudelaire de « vers de mirliton », voilà qui
>> juge son homme. Mais qui avait encore un doute ici ?
>> C.
>> 
>> 
>> 
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