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Message : Re: [typo] Rencontre du 4e type

(Thomas Linard) - Jeudi 22 Décembre 2016
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Subject:    Re: [typo] Rencontre du 4e type
Date:    Thu, 22 Dec 2016 17:29:56 +0100
From:    Thomas Linard <thlinard@xxxxxxxxx>

Bonjour,

Est-ce que nos règles actuelles d’accord de l’adjectif sont tout à fait exemptes d’un soupçon de manipulation au XVIIe et XVIIIe siècles ?

Je lis dans https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_de_proximit%C3%A9 :

Au XVIIIe siècle, la primauté du masculin sur le féminin et celle du pluriel sur le singulier finissent par s’imposer, du moins concernant l’accord entre un sujet pluriel et son attribut. Pour justifier la primauté du masculin, le motif, tel qu’énoncé par l’abbé Bouhours en 1675, en est que « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte » ; étant entendu que, comme l’explique le grammairien Beauzée en 1767, « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »

Cordialement,
Thomas Linard

Le 21 décembre 2016 à 11:53, Yoann LE BARS <yoann@xxxxxxxxxxx> a écrit :

        Bonjour.

Le 21/12/2016 à 06:19, Thomas Savary a écrit :
> Si pour ma part je ne trouve pas le texte en question très fin, il
> traite tout de même d’un sujet intéressant: la volonté de groupes
> minoritaires de modifier la langue commune.

        C’est-à-dire que ce n’est pas un mécanisme nouveau : les langues
évoluent en permanence sous l’action de leurs locuteurs. Autrement dit,
une langue qui ne change plus est une langue morte. Ces évolutions
passent par l’adoption massive d’usages. En d’autres termes, si le
groupe est si minoritaire, il ne modifiera pas la langue. À l’inverse,
s’il y a adoption massive d’un usage, c’est qu’il révèle quelque chose
de la sociologie des locuteurs de la langue. Par exemple, même si on
peut en trouver des origines chez les marxistes français, le terme
« politiquement correct » a clairement été introduit par la droite
américaine pour disqualifier la gauche, justement sur des sujets tels
que celui abordé dans le texte dont il est question dans ce fil de
discussion. Si le terme est désormais courant, c’est bien parce qu’une
majorité de locuteurs, pas seulement aux États-Unis, a trouvé un intérêt
à user de cette _expression_.

        L’anglais ne disposant pas d’organisme normalisateur, il a tendance à
évoluer plus vite que le français. En France, l’idée d’évolution d’une
langue est le sujet de réactions très passionnelles : c’est bien simple,
lorsque l’on parle d’évolution de la langue, on en revient
systématiquement à l’idée de bêtise, d’ignorance et de manipulation. Ce
qui est intéressant, c’est que personne ne parle le français standard,
pas même les académiciens – si, en faisant attention, on s’en rend
compte. Pas même à l’écrit.

        Bien entendu, il n’est pas pertinent d’adopter une nouveauté au seul
motif qu’il s’agit d’une nouveauté. Le roman 1984 a fait écho de
l’inquiétude quant à la manipulation de la langue. Cependant, ce n’est
pas si évident de manipuler une langue. On en a un bel exemple avec le
grec moderne. La langue utilisée par la population grecque était (est
toujours d’ailleurs) le démotique. Cependant, avec l’indépendance de la
Grèce, il a été décidé de prendre comme langue officielle la
katharévousa, une langue construite au XVIIIe siècle avec l’objectif de
débarrasser le grec des emprunts à des langues étrangères,
principalement le turc et l’italien – au demeurant, de tels emprunts
forment un mécanisme présent dans toutes les langues vivantes. Il y
avait alors un vrai décalage entre la langue officielle, utilisée dans
l’administration et la langue parlée par les Grecs, à tel point qu’il
fallait faire usage de traducteurs et qu’on a vu l’apparition d’une
langue mixte, un mélange de démotique et de katharévousa. Cette
situation a perduré jusqu’en 1976, avec l’abandon de la katharévousa au
profit du démotique comme langue officielle. On a donc l’exemple d’une
tentative, qui aura duré plus d’un siècle et demi, d’imposer une langue
au détriment de l’usage et qui a clairement été un échec.

        Qu’on le veuille ou non, l’idée d’introduire un pronom sans genre
relève d’un fait de société : la question du genre. Du fait de
l’évolution de la société sur ces questions, il est normal que la langue
évolue également.

        À bientôt.

--
Yoann LE BARS
http://le-bars.net/yoann/
Diaspora* : ylebars@xxxxxxxxxxxxxxx


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