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Message : Re: [typo] Le ou la Covid-19 ?...

(Jacques Melot) - Jeudi 07 Mai 2020
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Subject:    Re: [typo] Le ou la Covid-19 ?...
Date:    Thu, 7 May 2020 21:17:16 +0200
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] Le ou la Covid-19 ?...
 Le 7/05/20, à 12:05 +0200, nous recevions de Yoann LE BARS :

        Salut à tous?!

  Bon, je suis désolé, je me rends bien compte que j¹ai l¹air grognon,
mais mon constat est que la situation actuelle montre un gros problème
de compréhension, qui conduit à des mauvaises attitudes.

Le 07/05/2020 à 10:23, Jacques Melot a écrit :
> Pourquoi dans ce cas passer du masculin pour le virus, au
> féminin pour la maladie, sans raison logique exprimée ?

    Tout le reste, je veux bien, mais en l¹occurrence il y a une raison
logique clairement exprimée : le nom du virus, c¹est SARS-CoV-2.
Covid-19, c¹est la maladie. Tout comme le VIH est le virus, le SIDA
étant la maladie. Je suis désolé, mais ça, c¹est une raison logique,
clairement exprimée et qui relève d¹une compréhension de ce dont il est
question.


[J. M.]   Ce qui n'a pas été suffisamment clair peut-être, c'est le niveau de langage concerné. Les médecins, virologues et autres spécialistes, dans leurs publications scientifiques peuvent et même doivent adopter une dénomination précise et réputée correcte. Cela vaut pour le virus et l'on peut raisonnablement penser qu'ils écriront le ou un nom correct, peut être un peu long et donc lourd, au moins en début d'article pour ensuite adopter des formes elliptiques plus courtes et, peut-on l'espérer bien formées. Pour la maladie, s'ils ne se contentent pas de l'exprimer en termes de virus par des phrases tournées de manière appropriée, pas trop longues et que l'on peut imaginer, il disposent de plusieurs termes dont « covid-19 », terme dont ils auront à choisir une fois pour toutes le genre grammatical. D'une part, l'usage dans la langue commune leur fournira le masculin -- après tout, le nom d'une maladie n'est pas nécessairement féminin -- ou ils adopteront le féminin et ce ne pourra être que sur la base d'un raisonnement. C'est là que ça se corse ou, plus exactement se gâte, car le fait que le d de « covid » soit mis pour « maladie » dans la langue à laquelle on emprunte l'acronyme ne justifie en rien que ce dernier doit ipso facto être considéré comme féminin.

    En effet, lorsqu'un traducteur doit traduire un texte technique et qu'aucun terme français ne correspond à celui qu'il a traduire, il dispose d'une liberté totale pour forger un néologisme s'il estime ne pas pouvoir se contenter de périphrases. Si, par exemple, le mot dans la langue d'origine est un mot composé, rien, absolument rien ne l'oblige à traduire chacune des deux composantes en français pour former à l'aide de ces deux mots un mot composé, même si souvent c'est ce qui arrive, tout simplement parce que, dans nombre de cas, cela ne présente pas d'inconvénient. Dans le cas présent, rien ne nous oblige à tenir compte du d de « covid ». Le masculin étant désormais entériné dans le langage courant, le plus simple est donc de l'accepter aussi pour la désignation scientifique de la maladie... si du moins on décide de garder l'acronyme « covid-19 » pour la désigner.

   La question se pose car, comme certains l'ont rappelé, un des noms possibles de la maladie est syndrome respiratoire aigu sévère (ou majeur dans une version moins aliénée par l'anglais). De la... maladie ? C'est oublier la définition du terme « syndrome » ! Un syndrome est un groupe de symptômes que l'on observe réunis dans un certain nombre de maladies. De « maladie », un féminin, nous passons à « syndrome », un masculin, le SRAS-CoV-2, soit, une fois développé, « le syndrome respiratoire aigu sévère dû au [virus] CoV-2 », forme longue, utilisable dans les publications scientifiques, mais non viable dans la communication de tous les jours où elle est remplacée par une forme elliptique, en l'occurrence la forme déjà installé « le covid-19 ». (On notera en passant que les dénominations techniques ne sont pas uniformisées ou très cohérentes, parlant ici de « covi », là de « CoV ». Il est vrai qu'elles ne sont pas destinées à fournir nécessairement la terminologie usuelle.)

   D'un point de vue linguistique, en français courant, « covid-19 » est de fait le signifiant associé à un signifié, lequel signifié est en l'occurrence un virus. Même si une analyse fine peut expliquer comment cette association a vu le jour, le lien entre le terme et ce à quoi il s'applique reste néanmoins fondamentalement arbitraire (Saussure) et donc réfractaire à la critique. Tout signifiant est en fait une simple étiquette : la fonction première de tout terme, de tout signifiant, est d'indiquer le concept auquel il s'applique, non d'en fournir une définition, une description ou une explication, rôle qui revient à la phrase. Quantité de mots sont étymologiquement plus ou moins inadaptés à ce qu'ils désignent ou le deviennent, ne serait-ce que du fait de l'évolution normale de la langue. Ils n'en restent pas moins en usage en remplissant efficacement leur rôle dans la communication, à la satisfaction de tous, tant que la notion à désigner existe. L'étymologie, a fortiori s'agissant d'un emprunt à une langue étrangère, ne peut en aucun cas servir à elle seule d'argument pour rejeter un terme, ni même décider de son genre grammatical, de sa morphologie dès lors que l'usage s'est installé. Il y a là un équilibre que l'on ne doit pas se risquer à rompre, car alors plusieurs termes entreraient en concurrence, ce qui donnerait lieu à autant d'usages, sans qu'aucun n'ait vraiment raison des autres, tout cela ayant lieu au détriment de la qualité de la communication.

   J'espère que cette fois-ci les choses sont plus claires et que je me suis mieux fait comprendre.

   Bonsoir,

   Jacques Melot


>    Le principal argument en faveur du masculin a été donné ici par Yoann
> Le Bars

     Pour rappel, Yoann LE BARS faisait tout de même remarquer qu¹il y avait
de la confusion et que c¹est problématique. Je continue de considérer
que l¹important est la consistance, raison pour laquelle je continue de
dire *la* Covid-19 même si je suis persuadé que l¹usage va consacrer
*le* Covid-19 ­ je finirais donc bien par passer au masculin.


[J. M.]


        En revanche, je reste très dubitatif devant les dissertations savantes
se basant sur une mécompréhension?

> L'usage est comme un train lancé à pleine
> vitesse sans conducteur et que plus rien ne peut arrêter ; entendez par
> là qu'aucun argument, aucune décision, aucune injonction, aucune menace
> ne peut arrêter.

Surtout, une langue est d¹abord façonnée par son usage. C¹est
d¹ailleurs la marque d¹une langue vivante. Vouloir la figer c¹est ne pas
comprendre comment fonctionne une langue, revoir par exemple le /Cours
de linguistique générale/ de de Saussure.

    À bientôt.

--
Yoann LE BARS
http://le-bars.net/yoann/
Diaspora* : ylebars@xxxxxxxxxxxxxxx


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