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Message : Re: Reflexion sur la notion de grammaire typographique

(Alain Hurtig) - Lundi 24 Février 1997
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Subject:    Re: Reflexion sur la notion de grammaire typographique
Date:    Mon, 24 Feb 1997 05:38:05 +0100
From:    Alain Hurtig <alain.hurtig@xxxxxx>

At 14:12 +0100 23/02/97, Paul Terray wrote:
>Bonjour,
>
Suit une très intéressante contribution...

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Je ne peux apporter ici que mon témoignage et mes craintes, pas une
réflexion de fond.

J'ai commencé à m'intéresser à ces problèmes de signes diacrités en 1988 :
on m'avait interrogé sur la faisabilité d'une publication intégrant des
lettres turques (alphabet latin, mais avec quelques lettres diacritées
"étranges" : "s" cédille, différence entre le "i" avec point et le "i" sans
point, etc.)
Je travaillais alors sur un système Atari (OS propriétaire) et je n'avais
aucun scrupule à bidouiller les polices de caractères (PostScript) que
j'avais sous la main.

Je continue à n'avoir aucun scrupule... et je modifie allègrement les
polices de caractères sur mon Mac.

Il est vrai que je travaille parfois avec des philologues, ces gens
bizarres qui veulent mettre des points sous les "h", et des accents
circonflexes sur les consonnes (sans parler de petits traits un peu partout
sous certaines lettres). ceci pour mettre en place des translitérations
connues d'eux seuls... Le sommet de ma carrière aura certainement été ce "a
dans l'e" en exposant, surmonté d'un circonflexe et souligné d'un trait
courbe, qu'il fallait mettre à la suite d'un "k" (ou d'un "h", ma mémoire
est un peu défaillante) dans une transcription de l'hébreu !

L'outil informatique, à condition qu'on accepte d'en transgresser les
règles, et qu'on dispose des outils logiciels pour le faire, m'a alors été
d'une grande aide. Sans lui, je n'aurai jamais pu me livrer à ce genre
d'exercices (on imagine le coût avec le plomb... En photocompo, c'est sous
doute à la limite du possible [1]).

Pourquoi je raconte ça ?

Parce que, comme Paul Terray, je me demande parfois combien de temps ça va
durer. Dans combien de temps la normalisation grandissante, ce carcan, va
m'empêcher mes petits bricolages. Déjà, j'ai constaté que mes polices
passent mal sous Acrobat (alors que PostScript les accepte bien entendu
très bien). Je suis comme Olivier, j'appelle de mes voeux l'implémentation
d'Unicode dans MacOs. Et en même temps je crains le pire...

L'appel "à la résistance" de Paul me semble donc parfaitement justifié.
D'autant qu'en ce qui concerne l'absence de "oe" dans ISO-Latin, on
constate que sous la pression des utilisateurs, Microsoft a cédé et a mis
cette lettre (ce glyphe, si on préfère, mais pour moi c'est une lettre)
dans sa table ASCII.

Au début des années 1980, certains informaticiens (et en particulier IBM)
militaient pour la disparition complète des accents, au nom du rareté de la
mémoire vive. C'était d'autant plus ridicule que dans le même temps, on
pouvait acheter des micro-ordinateurs + imprimantes pour moins de 10 000 F,
lesquels, avec d'un petit logiciel en freeware, géraient parfaitement les
lettres accentuées. Ce sont moins les États que les utilisateurs qui ont
fait reculer ces "comploteurs". Quelques années plus tard, les ordinateurs
américains (y en a-t-il d'autres ?) avaient les accents du français en
standard...

Reste donc le problème des langues rares ou disparues, des langues
nouvelles, ou des lettres particulières nécessitées par des travaux
particuliers. On pensera aussi aux ligatures (codées n'importe comment dans
les polices Expert d'Adobe), ou aux lettres anciennes (le "s" d'avant la
Révolution française par exemple) qu'on peut avoir envie d'utiliser...

Reste à être sûr qu'une normalisation excessive ne nous empêchera pas de
créer et d'utiliser les signes dont nous avons besoin.

J'ai cité la philologie. Il faut y ajouter tout domaine qui manipule des
caractères symboliques. Une avancée conceptuelle peut s'y traduire par la
création de symboles (le champ des ensembles est à cet égard un excellent
exemple).

Comment fera-t-on pour faire composer ses travaux quand le typographe (ou
une hot-line) vous rétorquera : "On ne peut pas le faire, c'est pas dans
Unicode..."

--
[1] A l'époque, mon seul concurrent était d'ailleurs une imprimerie (de
Limoges, je crois) travaillant encore au plomb, et à l'occasion avec des
caractères mobiles ! Puis vinrent FontStudio et Fontographer, et mes petits
bricolages n'eurent plus grand chose d'original, en tout cas sur Mac.

Alain Hurtig         alain.hurtig@xxxxxx
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"Je ne vois rien, je vois tout: la certitude est puisée dans la ténèbre."
Angèle de Foligno