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Message : Re: Reflexion sur la notion de grammaire typographique

(Olivier RANDIER) - Mardi 25 Février 1997
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Subject:    Re: Reflexion sur la notion de grammaire typographique
Date:    Tue, 25 Feb 1997 03:25:42 +0100
From:    orandier@xxxxxxxxxxxxxxxxxxx (Olivier RANDIER)

>Bonjour,
>
>Je voudrais apporter, pour ma première contribution, une petite reflexion.
>Elle porte sur la notion de grammaire et informatique. J'entends ici
>grammaire au sens large, c'est-à-dire description *a posteriori* de la
>langue, et des rêgles généralement observable dans celle-ci. Mon idée ici,
>est de dire que la typographie est une grammaire au même titre que la
>linguistique (à un autre niveau).
>
>La grammaire est une description à partir de la langue écrite. Elle ne l'a
>pas précédé, mais elle l'a bien sur influencée. Aussi, l'opération de
>grammatisation d'une langue est une forme de prise de pouvoir, de prise de
>contrôle. Elle n'est pas à la base de la langue, mais elle la modifie
>>suivant les critères de la grammaire ainsi faite. C'est ainsi que la
>grammaire latine, qui a servi de base à la plupart des grammaires
>européennes, voire plus, a véritablement modifiée les langues dans une
>« logique latine » (voir à ce sujet le livre de S. Auroux, « La révolution
>technologique de la grammatisation »).
>
>Il en est de même pour les typographies. On sait qu'elles sont proprement
>historiques (je ne suis pas spécialiste, mais cela me semble un fait
>acquis). L'arrivée de l'imprimerie a jouée un rôle assez fondamentale dans
>la « grammatisation typographique », puisqu'elle a forcée à un regroupement
>du nombre de glyphes linguistiques (par opposition au glyphe typographique,
>voir l'article de J. André sur l'absence du oe (!) dans iso-latin1, dans le
>cahier GUTenberg numéro 25). On peut donner une multitude d'exemple
>(différence entre o-tréma et o-umlaut, entre béta et ß allemand).
>
>L'arrivée de l'informatique et plus précisément des codages de caractères
>est problématique, parce qu'elle introduit manifestement un biais : la
>grammaire typographique n'est plus descriptive, mais *prescriptive*. Si on
>peut encore introduire un glyphe inexistant dans une imprimerie au plomb,
>soit pour écrire un nom étranger, soit pour montrer une évolution de
>l'écriture, le codage informatique interdit ce genre de choses, si cela n'a
>pas été prévue dès l'origine. Aussi, les codages, de type ISO-latin-1 ou
>unicode, présente à nouveau cette prise de pouvoir qu'était la
>grammatisation des langues, avec des effets qui pourraient être plus rapide
>encore. Si certaines langues écrites ont un certain nombre de farouches
>défenseurs, qu'en sera-t-il des langues que peu de monde écrit, et dont les
>alphabets risquent de mal être codé, voire pas du tout ?
>
>Comment réagir ? Tout d'abord, il faut militer (et cette liste est, je
>pense, un lieu de ce militantisme) pour l'inclusion complète de nos
>alphabets. Mais cela n'est pas suffisant. Si nous ne voulons pas voir nos
>langues devenir définitivement figées, il faut permettre des moyens
>d'évolutions des normes. Je n'ai pas parlé de la typographie au sens de
>mise-en-page, mais le danger est le même : il suffit d'observer la norme
>HTML pour s'en rendre compte.
>
>Ceux qui pensent que la typographie est une affaire de spécialiste se
>trompent. C'est notre culture qui se joue, dans toute sa diversité. Une
>culture ne vit que dans son changement, et si les standardisations jusqu'à
>aujourd'hui permettaient encore d'être contournées, cela n'est plus le cas
>à cause du numérique. Aussi, au lieu de le rejeter, il faut en comprendre
>les dangers et forcer son évolutions.
>
>Voilà, j'espère ne pas avoir été trop long. Je me présente puisqu'il s'agit
>de ma première contribution : Je suis actuellement en thèse au service
>d'informatique médicale de l'assistance publique/hôpitaux de Paris (SIM
>AP/HP). Je travail sur les outils de lecture informatique, et plus
>précisément sur outil de lecture du dossier patient. Mon intérêt pour la
>typographie est tout à fait récent, mais je compte bien approfondir le
>sujet, pour les raisons ennoncées dans cet contribution.
>
>Merci d'avoir lu jusqu'ici !

De rien, car ç'a été un plaisir. J'approuve, personnellement, l'essentiel
de vos vues, et j'applaudis des deux mains à vos intentions militantes.
L'"américanisation" de nos critères de qualité typographique est un drame
culturel que je vis quotidiennement. Je relève notamment ici un "sophisme"
informatique que l'on rencontre souvent, à savoir que le numérique ne
permet plus la même liberté qu'autrefois. C'est un discours qu'on entend
trop souvent dans la bouche des informaticiens même, qui ne sert qu'à
masquer leur propre incompétence. Alain et moi, entre autres, prouvons tous
les jours que les contraintes techniques sont faîtes pour être contournées,
et que l'outil ne vaut que par ce qu'il nous permet de faire.

Cela dit, je ne partage pas toutes vos craintes, et je crois que la
présente "Réforme", si elle est bien accompagnée, devrait, au contraire,
nous libérer d'un certain nombre de contraintes inhérentes à des
technologies qui s'essouflent (voir à ce sujet ma réponse à Alain).

Mais je suis en tout cas d'accord sur le fait que nous devons être vigilant
sur les tentatives de normalisations qui peuvent menacer ce qui est une
part non négligeable de notre culture.

Olivier Randier - Experluette