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Message : Re: Plat de cerises (on se calme !)

(Michel Bujardet) - Mardi 10 Novembre 1998
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Subject:    Re: Plat de cerises (on se calme !)
Date:    Tue, 10 Nov 1998 10:55:35 -0800
From:    Michel Bujardet <mickie@xxxxxxxxxxxx>

Bernard Chombart écrit :

>Alors oublions les mots excessifs, et causons. Les typos
>feront le reste : ils nous aideront à écrire la conclusion
>proprement.

Je suis entièrement d'accord avec vous concernant l'aspect multilingue de
toute communication authentique. Et la nécessité d'éviter autant les
arguments idéalistes, qu'affairistes.

En l'occurence, je crois avoir été victime d'un traitement injuste de la
part de Mr. Melot, qui sans avoir même tenté d'entrer en contact avec moi
pour le plus petit éclaircissement, s'est empressé de me fustiger, ajoutant
dans sa diatribe des procès à l'égard de la manière dont les participants
seraient traités dans le futur, ce qui, outre le procès d'intention,
s'apparente à une réaction paranoïde. Monsieur Melot a visiblement des
problèmes qui ne ressortent pas seulement de la promotion légitime du
français. Il lui manque visiblement un rien de pondération, et beaucoup de
tact.

Il s'avère que j'ai créé le forum type.design essentiellement pour fournir
un espace de discussion aux créateurs de polices de caractères, suite à une
conférence, Typecon 98, qui avait lieu à Boston. Quoique né en France,
j'habite aux Etats Unis depuis longtemps, et m'exprime naturellement en
anglais comme dans d'autres langues. J'ai clairement expliqué pourquoi, et
comment, je créais une liste anglophone, aussi naturellement que j'emploie
l'anglais dans ma vie de tous les jours. Et parce que la quasi totalité des
autres créateurs de polices de caractères que je connais sont anglophones.
Je ne crois pas m'adonner à une conspiration mondiale, lorsque j'agis ainsi
le plus naturellement du monde. Et je n'ai jamais prétendu à l'universalité
de cet espace. J'ai simplement écrit qu'il était ouvert. De la même façon
que si j'ouvrais une librairie ici, à Los Angeles, il me semblerait naturel
d'avoir plutôt des livres en anglais sur les étagères, mais tout aussi
légitime d'avoir un rayon en français, et un rayon en espagnol, autre
langue couramment pratiquée ici. J'ai mentionné la liste à titre informatif
dans la liste Typographie, sans penser à mal, mais il s'avère que certains
sont devenus tellement aggressifs, que la simple mention d'un espace non
francophone les fait réagir comme le taureau face à la cape !

L'existence de l'Internet est un défi à la fois aux cagots du
protectionnisme linguistique, et aux mondialistes irréfléchis : il est
impossible dans un espace ouvert et mondial de se cantonner à une langue
unique, fût-elle aussi universellement parlée de l'anglais. Mais à
l'inverse, les attitudes parano-racistes qui font un pêché de s'exprimer en
autre chose que du français sont inacceptables. J'ai toujours pratiqué
depuis mon enfance plusieurs langues, qui sont autant mon héritage que le
français, et qui par certains aspects le complémentent.

Le gros problème que pose la promotion du français réside précisément dans
la manière quasi-terroriste dont certains, se posant en défenseurs de la
langue, prétendent interdire tout autre expression. Je ne doute pas de
leurs bonnes intentions, mais de fait, prétendant défendre une communauté,
ils en terrorisent une autre. La tentation universaliste du français est
tout aussi pernicieuse que celle de l'anglais. La défense d'une langue ne
justifie jamais l'oppression de l'expression naturelle dans d'autres. Ma
propre mère m'a raconté comment, dans son enfance, les instituteurs
pendaient un sabot au cou des enfants qui s'exprimaient en occitan, pour
les punir de pratiquer leur langue natale.

J'ai moi-même applaudi l'arrivée de la loi 101 au Québec, et la conséquence
immédiate, qui a fait arriver les descriptions en français sur quasiment
tous les emballages de produits vendus aux Etats Unis. J'ai aussi
régulièrement publiquement pris position dans des forums anglophones, pour
défendre l'idée que toutes les langues, et pas seulement le français, ont
leur place sur l'Internet.

Est-il juste qu'un quidam n'ayant même pas l'élémentaire courtoisie de m'en
parler, s'empresse de me faire honte en public, parce que j'ai osé créer un
espace de communication dans l'une les langues que je pratique, sans
publier au préalable un rapport dans toutes les langues de la communauté ?
Je ne pense pas.

Il est inacceptable de dénier à quiconque le droit de s'exprimer
innocemment, et librement, dans la ou les langues de son choix.
Incidemment, le droit de libre circulation des idées clamé dans la
déclaration des Droits de l'Homme implique par là même la liberté
d'exprimer ces dernières dans la langue de son choix. Par définition, la
liberté ne peut être décomposée en tranches fines pour complaire aux
censeurs. Il me semble aussi injuste d'interdire l'emploi du catalan, de
l'occitan, du basque ou du breton que celui de l'anglais. La culture d'un
individu est souvent faite de plusieurs langues. Et si j'affectionne le mot
occitan 'crapougnier' en lieu et place de 'scier', je ne donne à personne
le droit de me dénier son emploi. Lorqu'un individu maîtrise naturellement
plusieurs langues, lui interdire l'emploi de l'une d'entre elle, quelle
qu'en soit la raison, équivaut à une mutilation culturelle.

Rien n'est plus ridicule, en revanche, que les édits et règlements qui
prétendent régimenter l'expression naturelle. Il est bien dommage que le
ridicule ne tue plus, lorsque le mot « Mail », directement dérivé d'un mot
français, nous revient charcuté par de doctes barbons ne comprenant rien au
cyber-espace. Ou qu'encore le mot français « Indicatif », désignant la
petite musique d'arrivée d'une émission radio, se voie remplaçé par « sonal
» par voie législative, parce que d'aucuns ont peur des « jingles » !

La sensibilité exacerbée de certains défenseurs du français à l'encontre de
la culture américaine peut se comprendre. Elle ne peut cependant justifier
des attitudes terroristes, visant à dénoncer comme traîtres à je ne sais
quelle cause, ceux dont la culture, et l'expérience de vie, incluent les
Etats Unis, et sa langue. L'attitude de dénigrement systématique des
américains et de leur culture ne me semble parfois pas si loin des théories
antisémites développées avant guerre par certains, qui voyaient un danger
dans la culture juive. Dénier à un peuple sa culture, ou la validité de
celle-ci,a trop souvent dans l'histoire été un moyen commode de pratiquer
le racisme au quotidien. Et il ne me semble pas plus respectable de cracher
sans cesse sur les américains et leur prétendue absence de culture, que ce
fut le cas autrefois sur les auvergnats, les bretons, ou encore aujourd'hui
sur les arabes. C'est même exactement pour cette raison que le français
doit être promu, et non pas sauvegardé. Notre culture est assez vivante
pour s'imposer partout où elle a sa place, notamment dans l'espace
électronique. Elle n'a aucun besoin de dénier à d'autres leur validité. Le
français est parlé avec bonheur dans le monde entier, et apprécié à sa
juste valeur par des millions de non francophones, y compris les
américains, qui en font fréquemment leur seconde langue. Le rayonnement du
français est d'autant plus évident lorsqu'il s'exprime naturellement, par
le talent des porteurs de cette culture.

Incidemment, s'il est parfois dommage de voir les restaurants MacDonald's
remplacer nos gargottes traditionnelles (encore que pour certaines, cela
aura pu servir la salubrité publique), il n'est que de voir les rayons des
supermarchés américains, pour comprendre à quel point eux aussi sont «
colonisés » : Evian (1 mètre), Perrier (1 mètre), Danone et Yoplait (90% du
rayon), Boursin, Roquefort Société, croissants, baguettes, etc. De quoi en
faire retourner dans sa tombe l'inventeur du Hamburger !

Pour terminer, j'ai depuis très longtemps été un promoteur actif de la
communication électronique en ligne en français, notamment dès les débuts
de l'expérience télématique Calvados, en France (dès 1978), bien avant que
le mot Internet vienne à être connu du public. Je ne crois donc pas avoir à
subir de remontrances.

Merci en tous cas pour votre point de vue réfléchi, sur le sujet de la
pluralité linguistique.

Michel Bujardet
http://www.matchfonts.com/fr

PS : Vous remarquerez l'usage des guillemets ! (Sourire)