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Message : Re: ON A TEMPETE (Jacques Melot) - Dimanche 24 Septembre 2000 |
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Subject: | Re: ON A TEMPETE |
Date: | Sun, 24 Sep 2000 19:36:28 +0000 |
From: | Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx> |
Le 24/09/00, à 12:07 +0200, nous recevions de Pierre Schweitzer :
Bonjour, La liste tempête régulierement sur cette histoire de capitales non accentuées. N'y reluquant qu'en amateur, je reste souvent un peu perplexe. Voici pourquoi. Quand j'ai appris à lire et à écrire, personne ne m'a jamais parlé d'accents sur les majuscules. Et même pour former des titres en capitales. D'où une première question : si l'absence d'accents sur les capitales est une "horreur typographique", est-elle aussi une horreur calligraphique ? Si oui, pourquoi ? Si non, de quel côté y-a-t-il un dogme ? Je me demande aussi comment on faisait au bon vieux temps de la Remington. Mes souvenirs sont assez vagues là dessus -ma mère était dactylo- mais je ne me souviens pas avoir vu des capitales accentuées sur un clavier de machine à écrire. Je crois bien que la lettre impossible à écrire ici y était [e dans l'o]. J'ai un doute sur le c cédille majuscule. Les deux points étaient accessibles sur i grec aussi simplement que sur un o ou un e, sans devoir encadrer un pense- bête de code en ALT- (merci Jef !). Mais je ne crois pas que les E et A accentuées y étaient... C'était l'horreur dactylographique, ce temps-là ? Quand un lecteur voit "ON A TEMPETE", je crois qu'il lit en réalité "on a tempêté" plutôt que "on a tempete". L'absence d'accents sur les capitales du titre ne l'empêche pas de lire correctement. Bien sûr, parfois, on peut être dans l'équivoque, mais ce n'est pas, de loin, la majorité des cas. Et d'ailleurs, même avec des accents, on peut trouver des cas de sens équivoque sur un titre en trois mots. De plus, je trouve personnellement qu'il peut être intéressant, graphiquement, de laisser tomber les accents des capitales pour former un titre (mais là, après la tempête, je vais m'attirer la foudre). Cordialement, Pierre Schweitzer.
[Jacques Melot :]En effet, l'usage, en France, est de ne pas accentuer les capitales, du moins pas systématiquement. Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner objectivement un échantillon représentatif de l'imprimé français, depuis la Renaissance jusqu'à nos jours. Cet usage est critiquable parce qu'il présente des inconvénients, parfois rédhibitoires (notamment dans la publication didactique). Malheureusement, pour tenter de pallier à ces inconvénients, on a commis l'erreur d'ériger en dogme l'usage systématique des capitales diacritées. Le résultat, comme on peut le constater, est un clivage et une situation tendue entre partisans de cette règle et opposants, une situation préjudiciable dont on aurait pu faire totalement l'économie. Pour cela, il suffisait de remarquer que la capitale correspondant à é est É, à è est È, à ï est Ï, etc. et donc qu'il n'est besoin d'aucune justification pour accentuer tout texte ou fragment de texte capitalisé. Cela dit, l'usage en France, pour diverses raisons qui n'ont pas toutes leur origine dans des limitations techniques, loin de là, est de ne pas utiliser systématiquement les signes diacritiques sur les capitales (jusqu'à une date récente, la préposition « à » n'était même quasiment jamais accentuée lorsqu'elle était capitalisée). Cet usage, qui est sûrement étroitement lié à notre mentalité et à notre histoire, donc à notre culture, est respectable et il est parfaitement légitime de s'y conformer, du moins tant que ses inconvénients restent négligeables. Or nous savons tous, pour l'avoir vécu à nos dépens, que parfois la qualité des informations transmises par le texte souffre du manque d'accents. C'est le cas notamment des textes didactiques, techniques ou savants, et de manière plus générale des textes spécialisé où la précision orthographique importe. Dans un tel cas, il est simplement évident que l'usage ne peut plus être invoqué et qu'il doit être transgressé sans qu'on ait à se justifier de le faire. Robert, par exemple, a accentué systématiquement le texte de son dictionnaire sans le signaler ni demander rien à personne - du moins, peut-on le supposer -, et ce, bien avant l'apparition de la querelle sur les accents. Il l'a fait parce que, tout naturellement, cela allait de soi eu égard au but poursuivi. D'autres, dans les mêmes circonstances et à la même époque ne l'ont pas fait, et, en cela, à mon avis, ils ont eu tort, parce qu'ils se sont laissés intimidés par le poids de la tradition, parce qu'ils ont laissé passer l'homogénéité de leurs production avant tout, ou pour tout autre raison. Un exemple typique d'ouvrage souffrant objectivement du défaut d'accentuation des capitales est le Dauzat, Noms et prénoms de France (cf. Eve, Etienne, ect.), au point que, dans certains cas, il en soit inutilisable à des fins étymologiques ou philologiques, ... ou par les étrangers, lesquels n'ont pas la même connivence avec notre langue que ses locuteurs naturels.
En conclusion, cette question d'accentuation des capitales, telle qu'elle est posée en général, est l'exemple même du faux problème. Si vous estimez utile d'accentuer les capitales, faites-le : vous n'avez pas à vous en justifier. Cela dit, on ne peut fermer les yeux sur le fait qu'il existe un usage consistant à ne pas accentuer systématiquement les capitales. Cet usage, qui s'étend sur des siècles, est respectable, car, étant celui de la matière imprimée française, il fait partie de notre patrimoine, à l'égal de bien d'autres dont la valeur est reconnue par tous, alors qu'ils présentent pourtant bien souvent, eux aussi, des imperfections ou des inconvénients plus ou moins marqués. Il ne doit pas être critiqué, du moins tant qu'il ne s'avère pas préjudiciable, comme, par exemple, lorsqu'il va de manière flagrante ou irrémédiable à l'encontre du désir légitime de l'auteur d'une part de s'exprimer avec précision et d'autre part d'être pleinement compris. L'usage n'est pas immuable et évolue au gré des besoins, lesquels changent. Un soucis de précision toujours accru et sa généralisation à un peu tous les domaines laisse prévoir que l'usage systématique des signes diacritiques sur les capitales constituera le nouvel usage général de demain, d'abord dans l'écrit le plus technique et, pour finir, par osmose, dans la fiction littéraire.
Pour moi, ces quelques remarques closent définitivement le chapitre dit de l'accentuation des capitales.
Jacques MelotP.-S. L'argument qu'on nous ressort à tout bout de champ et qui consiste à utiliser les ambiguïtés produites par l'absence d'accentuation des capitales pour confondre les partisans de l'usage commun est sans valeur. Tout au plus, cette non accentuation pourrait-elle être critiquée sérieusement En français les ambiguïtés d'une autre nature, tant à l'écrit qu'à l'oral, d'ailleurs sans commune mesure plus fréquentes que celles résultant de la non accentuation des capitales, sont rigoureusement inévitables, au point d'en appartenir à la langue elle-même. Cet argument est illustré le plus souvent par des cas d'école (des constructions sur le modèle de « PALAIS DES CONGRES », « UN POLICIER TUE », etc.) et lorsqu'il s'agit de cas réels, ce qui arrive, la fréquence de ces derniers est complètement éclipsée par celle de fautes de tous ordre que l'on rencontre également, notamment de celle dont l'origine est autre, mais qui se traduisent aussi par des ambiguïtés. En réalité, sans même aller chercher le cas de fautes, il suffit de prendre conscience qu'un minimum d'ambiguïté est irrémédiablement lié à la pratique normale de notre langue : quoi qu'on fasse, on ne peut y échapper. Nous avons donc une longue habitude de la gymnastique ou de l'habileté mentale que ces ambiguïtés inévitables exigent pour être levées, y compris dans le discours le plus banal. Voici quelques exemples :
« La pilule, c'est pour la distraction » (Charles De Gaulle) peut vouloir dire que la pilule en question peut servir comme un accessoire à la distraction (amusement) ou bien qu'elle peut être utilisée comme palliatif à un moment de distraction (absence, trou de conscience). J'avoue n'avoir compris le sens de cette expression que du jour où j'y ai vraiment réfléchi en la replaçant dans son contexte, soit plus de trente ans après que j'ai commencé à me demander (occasionnellement s'entend et sans y réfléchir) ce que le Général avait bien voulu dire par là.
Pendant que je rédigeais la partie principale de mon texte, ci-dessus, un ami français habitant aussi à Reykjavík, à deux pas de chez moi, Robert, m'a appelé au téléphone pour me poser une question dont voici l'essentiel :
« Rémy me demande comment il pourrait bien trouver l'« e-mail » de gens ». Ce à quoi j'ai répondu que je l'avais...Comment ça ? Il se trouve en effet que, quelques jours plus tôt, j'ai eu une conversation remarquable avec un autre Français habitant près de Reykjavík et prénommé... Jean. Je certifie qu'il ne s'agit pas d'une construction ad hoc et que les choses se sont bien passées ainsi (le numéro de téléphone de Robert est (354) 5522523, vous pouvez vérifier; comme vous serez peu nombreux à le faire, je ne pense pas que ça le dérangera).
Ou encore :« Les communistes français sont bien sûr deux » contre « bien sûr d'eux » (J.-D. Rondinet, Typogr. 31-08-2000).
Ou encore :« Elle est bien sûr prise » contre « Elle est bien surprise » (Jacques André, Typogr. 11-07-2000).
Et aussi :« Je vais mettre le disque dans ma veste pour être sûr de ne pas l'oublier. » (Jacques Melot, en sortant de chez Robert, il y a exactement trois semaines aujourd'hui, donc, là encore, exemple réel.) Ce peut être la veste comme le disque qu'il s'agit de pas oublier par ce geste (suivant ce qui est susceptible d'être oublié et ce qui, au contraire, devrait jouer comme un rappel), mais le contexte, comme dans les autres exemples donnés ici, normalement, lève l'ambiguïté (normalement, car l'ambiguïté peut aussi être voulue : par plaisanterie ou jeu de mot, dans le but de tromper, etc.).
Et encore :« On s'enlace » contre « on s'en lasse » (on peut faire des phrases amphibologiques beaucoup plus longues, mais je pense qu'il est inutile que nous perdions notre temps à ça ici. Juste une petite dernière, puisqu'elle me vient : « on s'enlace aussi ce soir » dit Don Juan à la mante religieuse, contre « on sent la saucisse ce soir », dit le boulanger en parlant de la charcuterie voisine...).
Il est clair qu'on pourrait allonger la liste à l'infini, alors même qu'il ne s'agit pas d'anomalies ni de curiosités, mais, à chaque fois, d'un usage parfaitement normal de la langue, à l'écrit comme à l'oral. On en vient donc à se poser la question, après l'accentuation des capitales, de quel type d'ambiguïté va-t-on s'offusquer, sur quoi va-t-on s'acharner, quel nouvel exutoire va-t-on trouver ? (Il est de fait qu'on ne voit pas souvent de personnes suivant l'usage de ne pas accentuer les capitales s'acharner à critiquer ceux qui les accentuent systématiquement... En tout cas, je n'en connais aucun exemple.)
En somme, la seule chose valant la peine d'être relevée en rapport avec un défaut d'accentuation des capitales est non pas les ambiguïtés auxquelles elle donne lieu, ce qui est complètement à côté de la question, mais la perte irrémédiable d'information qui peut résulter de leur non emploi dans certaines circonstances (lorsqu'il est impossible, même à l'aide du contexte, de reconstituer l'information perdue, alors que celle-ci, d'une manière ou d'une autre est importante). Arrivé à ce point, on s'aperçoit que le vrai problème est celui de la précision du signe, laquelle exigence touche tout autant les caractères en bas de casse ! Par exemple, dans un atlas géographique, il est préjudiciable de ne pas restituer les noms de lieu dans leur orthographe originale exacte, en double du nom francisé ou d'une translitération, un préjudice qui peut aller jusqu'à rendre l'ouvrage positivement inutilisable dans certains cas, alors qu'il pourrait l'être intégralement au prix d'un simple changement de signe. Dans un tel cas, comment ne pas parler de faute franche ?
J'espère que ces quelques réflexions contribueront à faire voir les choses sous un jour un peu différent et j'estimerai ne pas avoir perdu mon temps si elles pouvaient avoir pour effet un peu plus de tolérance chez certains à l'égard de ceux qui n'accentuent pas les majuscules.
J. M.
----- Original Message ----- From: "Philippe Jallon" <panafmed@xxxxxxxxxxx> To: "Typographie" <typographie@xxxxxxxx> Sent: Sunday, September 24, 2000 9:48 AM Subject: ON A TEMPETE Bonjour, L'hebdomadaire français _Marianne_ évoque, dans un titre, le spectacle suivant : ON A TEMPETE Dans le corps du texte, le magazine précise qu'il s'agit de _On a tempété_ (le texte figure dans un numéro récent que je n'ai pas conservé ; je le cite donc de mémoire, en conservant la graphie fautive du canard). _Marianne_ fait partie de ces organes de presse qui, à l'instar de _Libération_, ont adopté l'horreur typographique en guise de dogme : - comme on vient de le voir, pas de capitales accentuées ; - aucune d'espace -- même fine -- avec les guillemets français ; - depuis quelques livraisons, le point final de chaque papier est systématiquement remplacé par un abominable dingbat carré. Il y a quelque temps -- peut-être cet été, quand le maquettiste aura été remplacé par un stagiaire, ou par un contractuel, ou par son subalterne qui entendait ainsi s'émanciper --, ce magazine a tenté une expérience avec les lettrines : les principaux papiers commençaient bien par une lettrine, mais la lettrine était en bas de casse. De prime abord, cela paraissait surprenant. J'ai même vu un texte commençant par un « à » érigé en lettrine -- un comble, pour ce magazine qui n'avait jusqu'alors jamais accentué la moindre lettrine... ;-) À titre personnel, j'ai trouvé que le « à » mis en lettrine était bien plus élégant que la plupart des « À » composés avec des polices où le À est moche comme tout. Quoi qu'il en soit, je préfère mille fois le « à » lettrine au « A » qui perd son accent ! -- Philippe Jallon ICQ 77402461 AfricaMediaNews http://www.panos.sn/actus/index.html
- Re: ON A TEMPETE (air connu), (continued)
- Re: ON A TEMPETE (air connu), Olivier RANDIER (24/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE (air connu), Jacques Melot (25/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE (air connu), Jean-Christophe Dubacq (25/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Jacques Melot <=
- Re: ON A TEMPETE, Jef Tombeur (24/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Jacques Melot (24/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Jef Tombeur (25/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Jacques Melot (25/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Thierry Bouche (27/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Jacques Melot (28/09/2000)
- Re: ON A TEMPETE, Lacroux (28/09/2000)