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Message : Re: ON A TEMPETE (air connu)

(Jacques Melot) - Lundi 25 Septembre 2000
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Subject:    Re: ON A TEMPETE (air connu)
Date:    Sun, 24 Sep 2000 23:11:49 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 24/09/00, à 21:21 +0200, nous recevions de Olivier RANDIER :

>        Bonjour,
>
>        La liste tempête régulierement sur cette histoire
>        de capitales non accentuées. N'y reluquant qu'en
>        amateur, je reste souvent un peu perplexe. Voici
>        pourquoi.
>
>        Quand j'ai appris à lire et à écrire, personne ne
>        m'a jamais parlé d'accents sur les majuscules.
>        Et même pour former des titres en capitales. D'où
>        une première question : si l'absence d'accents sur
>        les capitales est une "horreur typographique", est-elle
>        aussi une horreur calligraphique ? Si oui, pourquoi ?
>        Si non, de quel côté y-a-t-il un dogme ?

La pratique typographique et la pratique scripturale ne se recouvre pas, loin de là. Sur le problème des capitales accentuées, il faut bien comprendre que la notion de capitales est spécifique à la typographie. Quand on écrit, on utilise des majuscules au début des mots uniquement. On peut, bien sûr, quand on écrit "en lettres d'imprimerie", écrire tout en capitales. Mais je pense que, comme moi, vous n'avez pas appris l'écriture "en lettres d'imprimerie" à l'école, mais tout seul, pour aller plus vite. Donc, le modèle d'écriture moderne (sic) est l'anglaise. Or, cette écriture n'a pas de capitales, mais uniquement des majuscules, sur lesquelles l'absence d'accents prête rarement à conséquence. De plus, cette écriture riche en volutes se prête mal à l'inclusion d'accents, d'où le fait qu'on ne les y marque généralement pas.



Complètement démentis par la considération du cas islandais dans lequel les majuscules, aussi riches en volutes que celles du français pour être essentiellement les mêmes, sont impitoyablement accentuées sous la main des Islandais.



Enfin, nos instits étaient de la génération de la machine à écrire (sur laquelle les capitales accentuées sont absentes). Donc, à l'école, on apprend, à tort, que les capitales ne s'accentuent pas. On espère que l'ère de l'informatique changera un peu ça (avec Windows, c'est pas gagné).

>        Je me demande aussi comment on faisait au bon
>        vieux temps de la Remington. [...] C'était
>        l'horreur dactylographique, ce temps-là ?

Exactement. La dactylographie a fait des ravages.



Oui et non. Elle a uniformisé les choses, ce qui est très loin d'être un avantage négligeable, surtout en France où chacun à tendance à en faire à sa tête, mais cette uniformisation s'est faite en nivelant pas le bas, obligeant à se satisfaire d'une typo minimale, ce qui, évidemment, est moins avantageux.


Une machine à écrire n'est en aucun cas un outil de composition, n'en déplaise à Méron, c'est un ersatz calamiteux dont l'abandon est une bénédiction pour tous. Par contre, Méron a raison de dire que la machine à écrire n'est pas seule en cause ; la casse parisienne, par exemple, ne comportait pas tous les accents.



La cause ultime est en toute certitude ailleurs. Elle est à chercher dans notre mentalité, notre manière de faire, notre propension à nous satisfaire de peu et à interrompre notre effort lorsqu'un résultat estimé suffisant est atteint, notre histoire, en un mot notre culture. Si les machines à écrire française ont été conçues comme elles le sont, ce n'est pas à cause de limitations techniques, mais bien parce qu'on a estimé que cela suffisait. La preuve en est que dans d'autres pays où la langue nationale exige l'emploi d'au moins autant de signes diacritiques qu'en français les machines à écrire ont, dès le début, permis d'écrire sans sacrifier aucun de ces signes, y compris sur les capitales. Tel est le cas de l'Islande et de l'islandais. Quand on sait qu'à l'époque de l'apparition de la machine à écrire ce pays n'était qu'une pauvre, et même misérable, colonie du Danemark, le fait pour les Islandais de s'être joué des obstacles qui rendaient cette tâche plus difficile, montre de manière irréfragable que dans le cas français le choix a été délibéré et n'a que peu ou rien à voir avec une quelconque impossibilité mécanique.



>        Quand un lecteur voit "ON A TEMPETE", je crois
>        qu'il lit en réalité "on a tempêté" plutôt que "on a
>        tempete".  L'absence d'accents sur les capitales
>        du titre ne l'empêche pas de lire correctement.

On a signalé récemment le titre d'une pièce de théâtre vu sur une affiche :

JE ME SUIS TUE

L'absence d'accent fait faire ici un grave contresens : il ne s'agit pas d'une femme qui se serait abstenue de parler, mais de quelqu'un qui s'est TUÉ.



Si l'on a su prendre de la distance avec ce type d'argument qui illustre des difficultés qui n'ont en fait rien à voir directement avec la question de la nécessité de l'accentuation (cf. mon long message précédent), on s'aperçoit que ce que l'on peut dire d'une telle faute, dans ce cas précis, est nettement différent. S'agissant du titre d'une affiche, des considérations esthétiques viennent s'ajouter qui peuvent même prendre le pas sur les règles (ortho)typographiques. Donc même une personne qui n'accentue normalement pas les capitales dans du texte ordinaire pourra se sentir parfaitement autorisée à mettre ici le nécessaire accent aigu, cette entorse ne devant pas être ressentie par elle comme telle, mais comme simple artifice technico-esthétique pour que le titre remplisse parfaitement sa fonction, dans le contexte où il apparaît. La suppression immédiate de l'ambiguïté par l'usage de l'accent est ici essentielle, puisqu'il n'y a pas de contexte suffisant pour la lever. (Notez en passant que cette ambiguïté, pourrait être volontaire et destinée à frapper ou à accrocher le passant...) De plus, rien n'exige que le titre apparaisse en capitales. Si l'artiste choisit de capitaliser, ce ne peut-être que pour des raisons esthétiques ou de lisibilité, vraisemblablement les deux, et il commet tout simplement une faute technique (et, secondairement, d'orthographe !), si cela se fait aux dépens du sens. Pris par l'autre bout, la chose apparaît de manière tout aussi manifeste : si l'auteur de l'affiche a écrit quelque chose que nous lisons « je me suis tue » au lieu de « je me suis tué », ce peut être qu'il a appliqué une règle typographique de non accentuation. La faute résiderait alors dans le fait que le titre en question n'est pas du texte ordinaire qui exigerait en principe l'application des règles de typographie, mais un texte faisant partie intégrante d'un élément à valeur décorative, donc où l'esthétique peut librement prendre le pas sur le typographique si cela est nécessaire, et même simplement utile, à l'artiste. Dans ce cas, même s'il n'accentue généralement pas les capitales, rien ne l'empêche de le faire pour la circonstance, puisque, ce faisant, il n'applique pas une règle de typographie.



On pourrait multiplier les exemples. L'accent a valeur orthographique et sa présence manifeste le respect de la langue. L'accentuation des capitales n'est pas un dogme, elle a longtemps suscité des pratiques variées, en fonction du matériel, de la paresse des compositeurs, du prix de la ligne composée, etc. La position moderne est purement rationnelle : puisque les accents évitent des erreurs d'interprétation, plutôt que d'échafauder un tas de règles compliquées sur les cas où on pourrait s'abstenir de les mettre, le plus simple, le plus logique et, surtout, le plus respectueux de la langue, est d'accentuer systématiquement. Les outils modernes (sauf les PC sous Windows -- pas taper !) le permettent aisément.

Demandez d'ailleurs à Jacques ANDRE et Alain LABONTE ce qu'ils pensent des caps non accentuées... ;-)

Pour vous en convaincre, voici un petit extrait d'un article de la FAQ en cours de rédaction :

[...] On peut donc se demander pourquoi cette question revient si souvent. Historiquement, l'accentuation des capitales n'a en effet pas été systématique dans les débuts de l'imprimerie, mais depuis deux siècles environ, elle est devenue la norme, même si elle était parfois incomplète (remarquez l'absence d'un certain nombre de capitales accentuées dans la casse parisienne, qui impliquait le recours fastidieux à un casseau séparé). Pourtant, on remarque que beaucoup de gens ont appris qu'« on ne doit pas accentuer les majuscules » (alors même que dans les livres qu'ils lisent, elles le sont). Cette légende persistante tient aux décennies d'hégémonie de la dactylographie. En effet, la machine à écrire française ne comporte pas de capitales accentuées, il est, par conséquent, impossible, avec ce matériel, de composer tout accentué. Toutes les secrétaires de France ont donc appris, pendant des années, à ne pas accentuer les majuscules. Les choses ne se sont guère arrangées avec l'arrivée de la micro-informatique, le système d'exploitation dominant (Windows) obligeant encore, il y a peu, à une incroyable gymnastique pour obtenir les accents. Même si cela a été partiellement corrigé, il est toujours difficile de lutter contre les habitudes. Certains arguent même du fait que c'est plus pratique. Or, c'est faux : l'accentuation des capitales permet de conserver la cohérence du texte lors de changements de casse successifs. Quel maquettiste ou exécutant P.A.O. n'a pas été confronté un jour au problème de devoir passer en bas-de-casse une longue liste de noms propres ou d'adresses, pour des raisons d'encombrement ? Comment, alors, rétablir l'accentuation, si elle est absente ? Il faut donc combattre cette tendance et inciter à l'accentuation systématique dès l'étape de saisie. Voici un petit exercice qui, j'espère, convaincra le lecteur de la nécessité d'accentuer systématiquement. Prenons le joli pangramme panaccentué français suivant (© GEF) :
	Dès Noël, où un zéphyr haï me vêt
	de glaçons würmiens, je dîne
	d'exquis rôtis de boeuf au kir,
	à l'aÿ d'âge mûr, & cætera.
Si l'on capitalise la sentence avec un logiciel mal réglé ou mal foutu, ou si on la saisit tout en capitales sans accentuer, on obtient ceci :
	DES NOEL, OU UN ZEPHYR HAI
	ME VET DE GLACONS WURMIENS, JE DINE
	D'EXQUIS ROTIS DE BOEUF AU KIR,
	A L'AY D'AGE MUR, & CÆTERA.



Je note que je peux lire de manière pour ainsi dire fluide le texte une fois capitalisé (sans accents), à l'exception de AY... que de toute façon je ne comprends non plus en bas de casse. Je dirais même mieux, ce que l'on perd en fluidité du fait de la non-accentuation, je pense qu'on le perdrais aussi - si ce n'est plus - si tout était accentué, à cause du caractère inhabituel de tous ces accents sur un texte capitalisé aussi long (et aussi tordu, il faut bien le dire). La seule manière naturelle de présenter une telle euh... chose est de l'écrire en bas de casse où son horreur apparaît dans toute sa plénitude. La capitaliser sans accent a finalement l'heur inattendu de l'adoucir et de la rendre plus humaine (mais bien sûr du point de vue de la précision technique, c'est zéro...)



Certes, si l'on considère que les capitales ne doivent pas être accentuées, la phrase n'est pas fautive. Mais si on la repasse en bas de casse, on obtient ceci, qui l'est assurément :
	Des noel, ou un zephyr hai me vet
	de glacons wurmiens, je dine
	d'exquis rotis de boeuf au kir,
	a l'ay d'age mur, & cætera.
L'exception initiale
Même parmi les typographes et correcteurs chevronnés, il subsiste une réticence à l'accentuation des capitales initiales dans les textes en bas-de-casse. L'argumentation porte sur le fait que « ce n'est pas esthétique » ou que « ça fait maniéré ». Si l'absence d'accent sur les capitales initiales pose effectivement rarement des problèmes de compréhension, il semble plus pratique de faire admettre par les profanes une règle simple, sans exception. Il n'y a aucune raison logique, et surtout pas l'orthographe, à prôner cette exception. Si le lecteur persiste à trouver inutile l'accentuation sur les capitales initiales, qu'il considère alors l'exemple suivant, où le compositeur, après avoir traité cette phrase comme un poème, change d'avis...
	Dès Noël, où un zéphyr haï
	Me vêt de glaçons würmiens,
	Je dîne d'exquis rôtis de boeuf au kir,
	A l'aÿ d'âge mûr, & cætera.
... Et se laisse tromper par les automatismes de changement de casse :
Dès Noël, où un zéphyr haï me vêt de glaçons würmiens, je dîne d'exquis rôtis de boeuf au kir, a l'aÿ d'âge mûr, & cætera. Avec une accentuation complète, il aurait évité la faute de français sur « à »...


Cher Olivier, avec tout le respect que je te dois, tout cela est bien beau, mais n'est guère convaincant. Il s'agit d'un exemple construit auquel tu fais subir une succession d'opérations informatiques, certes possibles et utilisées, mais qui ne font que renforcer encore un peu plus son caractère complètement artificiel. Pourquoi s'embarquer dans une telle galère, sachant, encore une fois, qu'on n'a pas à prouver qu'on peut accentuer les capitales : cela va de soi. La seule difficulté est causée par l'existence d'un usage massif pour ne pas le faire systématiquement et le problème est de concilier ces deux aspects. Il suffit d'expliquer les choses calmement, en détail et objectivement pour que chacun ensuite puisse faire son choix de manière circonstanciée et sans persécuter ceux qui pensent différemment ou même qui ne pensent rien du tout.

   Jacques Melot


[...]
Olivier RANDIER -- Experluette		mailto:orandier@xxxxxxxxxxx
	http://technopole.le-village.com/Experluette/index.html
Experluette : typographie et technologie de composition. L'Hypercasse (projet de base de données typographique), l'Outil (ouvroir de typographie illustrative).