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Message : Re: Ponctuation et espaces

(Jacques Melot) - Mardi 03 Octobre 2000
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Subject:    Re: Ponctuation et espaces
Date:    Tue, 3 Oct 2000 18:21:19 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 3/10/00, à 18:45 +0200, nous recevions de Oudin-Shannon :

Les lois et règlements sont nécessaires, sans eux il n¹y aurait pas
possibilité de transgression.
Libération a supprimé les espaces liés à la ponctuation. Je ne suis
actuellement pas d¹accord avec leur usage, mais j¹y vois quand même quelques
raisons autres qu¹une simple ignorance des règles.
Il n¹y a pas si longtemps on écrivait E. D. F. avec des points et des
espaces. Aujourd¹hui plus grand monde compose de cette façon, il n¹y a plus
de points ni d¹espaces.


Ceci comme bien d'autres choses est en bonne partie le résultat visible du manque de professionnalisme : des personnes détenant un pouvoir de décision considèrent que le logiciel de mise en page est l'élément essentiel et se croit donc autorisées à mettre n'importe qui derrière le clavier. Sous l'influence de leurs lectures, de la messagerie électronique, d'Internet, etc. nombre de Français sont persuadés faire les choses correctement en supprimant les espaces avant les deux points, le point virgule, etc. - j'ai été de ceux-là ! - et le phénomène s'autoamplifie, car c'est certains d'entre eux qui, à leur tour, sont mis derrière le clavier.

Quant à Libération, rien qu'à voir le contenu du journal, on comprend que faire anglo-saxon n'est pas ce qui les arrête, bien au contraire (anglicismes à tour de bras, dérision à l'endroit des personnes inquiètes de l'avenir du français, etc.). Je pense cependant que leur préoccupation est avant tout pratique (notamment économique) dans le cas de la typo. Je ne sais pas quel logiciel de mise en page vous utilisez, mais je n'en connais aucun qui soit vraiment conçu pour une langue autre que l'anglais, et cela vaut tout autant pour les logiciels de traitement de texte. Page Maker, par exemple, permet d'utiliser les guillemets pour différentes langues, mais, pour le français, les insère sans les espace fines insécables qui les accompagnent nécessairement dans un usage normal. Même chose avec les autres signes de ponctuation qui requièrent une espace. Etc. D'où un gros travail supplémentaire à la main, donc un coût supplémentaire et ce qui est regardé comme une perte de temps.


Un hérétique a bien composé un jour EDF alors que
cette pratique n¹existait pas. Maintenant si quelqu¹un veut composer
aujourd¹hui É. D. F. libre à lui !
Les usages typographiques sont multiples et changeants, cela prouve que la
typogaphie est vivante.
Cela ne veut pas dire que chacun peut faire n¹importe quoi, mais je trouve
un peut cour de rejeter automatiquement toute nouvelle pratique. Hurtig
m¹explique que si la suppression des espaces liés à la ponctuation permet
d¹éviter des lézardes pourquoi ne pas les supprimer tous ? Merci, j¹y
songerait, mais en attendant pourquoi cette « évolution » faite par les
anglais serait inconcevable en france ?


Parlons, de manière plus neutre, de changement plutôt que d'évolution, au cas il s'agirait en fait de dégénérescence. Je serais tenté de dire que la pratique anglaise ou anglo-saxonne pour la production destinée au grand public est le « ce qui reste après qu'on ait tout oublié » de la typo. (J'exagère, mais je parle de manière un peu symbolique, en envoyant le balancier trop loin. Les fanatiques de la modération, sauront s'y retrouver sans difficulté...) À vrai dire, il n'est pas possible d'exclure qu'il n'en va pas de même en France, au moins en partie. L'exemple anglais peut n'être que le précédent - puissant, comme on s'en doute ! - sur lequel s'appuie une tendance naturelle de simplification qui serait apparue, même en l'absence de cet exemple. Cela dit, l'innocuité de cette tendance est une autre affaire et reste à démontrer.

En ce qui concerne la question de l'aération du texte, un certain nombre de choses sont à prendre en considération, à commencer par la langue elle-même. Il est connu qu'un texte en latin, vu à une certaine distance, ne produit pas la même impression visuelle qu'une texte en français, laquelle impression sera encore différente avec un texte en suédois, en allemand, etc. On peut donc penser que le polissage des siècles a conduit, peu à peu, à un usage des espaces bien adapté au français.

Si nous disposions de logiciels permettant d'écrire sans difficulté notre langue en respectant les règles de la typographie du français (insertions automatique des espaces devant la ponctuation qui en réclame, etc.), nous ne serions guère en train de discuter de ces questions. En tout cas pas de la même façon.

   Jacques Melot

P.-S. Pour en revenir au pragmatisme des Anglais, voire à leur utilitarisme, avez-vous remarqué que l'Oxford University Press (Oxford at the Clarendon Press), utilise deux canons différents suivant le type publication ? À côté de beaux ouvrages à la typographie soignée (un peu différente de la nôtre), cette néanmoins respectable institution publie des ouvrages pour le grand public (cours de lycée ou d'université, etc.) à la typo barbarisante (c'est tout juste si ce n'est pas composé en Helvetica !).


jérôme Oudin

PS : J¹ai lu un jour sur cette liste un avis qui présentait les typographies
de Porchez comme destinées aux oubliettes. J¹aimerai lire l¹argumentation.