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Message : Interrogamation [fut : Re: Traité du mycographe pervers...]

(Jacques Melot) - Mardi 27 Novembre 2001
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Subject:    Interrogamation [fut : Re: Traité du mycographe pervers...]
Date:    Tue, 27 Nov 2001 15:57:12 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 12/11/01, à 12:16 +0100, nous recevions de Thierry Bouche :

Concernant « Re: Traité du mycographe pervers... », Eric Angelini écrit : «
»
» [TB]
» > ¿Tu as mangé tous les biscuits!
» >
» > Comment rendre la continuité d'intonation
» > interroexclamative permise par
» > la ponctuation espagnole ?
»
» ... mais pourquoi la rendre ?

Il s'agit d'une discussion débutée lors du typothon, non sans dédain,
par l'un de nos hugolâtre procélinien. Mon angle d'attaque est certes
un peu flou : mise en compétition des génies respectifs de chaque
tradition écrite (y compris le système de ponctuation) _et_ traduction
des effets attendus par l'auteur sur le lecteur.

» Je ne comprends pas.

personne n'est parfait...

» On lit de gauche à droite et l'esprit stocke, en lisant,
» un peu du début de la phrase. Il ré-interprète éventuel-
» lement ce début à la lumière de la fin. Parfois, même, il
» revient en arrière et relit, c'est tout.

Moui, et si c'était le mode de fonctionnement imposé par le français ?
Il est en effet fréquent qu'on trouve un point d'exclamation ou un
point d'interrogation sur son chemin sans comprendre tout de suite
pourquoi il s'y trouve (à l'inverse, certaines phrases interrogatives
trop longues ont tendance à perdre le point du fait qu'on ne saurait
plus où le mettre [du genre questions à tiroirs avec listes de
réponses possibles, etc.]).

En allemand, il y a le très médiatique « après-coup », le sens entier
d'une phrase pouvant n'être révélé qu'au dernier mot.  À se demander
si le lecteur allemand lit de droite à gauche...

L'espagnol est très différent, il me semble que la référence est
toujours la langue parlée, l'écriture est purement phonétique, et les
signes de ponctuation relèvent plus de la notation musicale. C'est
comme si l'écrit était une partition que le lecteur joue dans sa tête,



   Non, mais vous l'entendez ! Et mon oeil, c'est du jacques-à-l'eau ?!



la _compréhension_ se faisant une fois le texte commué en sons.  Un ¿
signifie : ici le ton commence à monter.



C'est une interprétation, et je ne pense pas qu'elle soit bonne. Et si elle est bonne, alors je ne pense pas qu'elle est souhaitable pour s'attaquer à ce qui suit et y comprendre quelque chose.



De plus, il n'y a pas de
tournures interrogatives en soi. On peut écrire :



   « On » ! Voire...



estoy vivo.
¿estoy vivo?
¡estoy vivo!
¿estoy vivo!

(et on n'a pas d'autre façon de le faire) là où en français on
pourrait écrire pour le dernier exemple :

suis-je vivant !

» Il y a un ph(f)an-
» tasme de communication totale qui a la vie dure

Mmh, dont je me sens plutôt indemne. Je me contente de traquer les
nuances. J'écris ceci pour titiller des plus savants que moi, surtout
de l'espagnol. Je suis très étonné des différences typographiques
essentielles entre ces deux langues latines que j'imaginais beaucoup
plus proches.



À mon avis, tu fais fausse route. En espagnol, à l'écrit, ce qui tient lieu de point d'interrogation est constitué de deux éléments inséparables (¿ ... ?) comme l'est la négation ordinaire en français (ne ... pas) ou l'alternative sous la forme « soit ... soit ». La même remarque vaut, mutatis mutandis, pour l'exclamation (¡ ... !). L'explication de ce double marquage est syntaxique : il permet de savoir sur quelle portion du discours porte l'interrogation ou l'exclamation dans l'écrit, mais comme il s'agit nécessairement d'une phrase (ou ce qui en reste après ellipse), ce balisage n'a finalement pas grande utilité et se réduit à une convention. Des constructions de la forme ¿ ... ! sont des curiosités qui ne sont en fait que de simples artefacts typographiques suggérés par la forme même que prennent par écrit l'interrogation et l'exclamation par écrit. C'est un peu comme si, en français, nous remplacions une parenthèse fermante qui suit nécessairement une parenthèse ouverte par un guillemet fermant ou plutôt par un tiret cadratin (il y a une gradation dans l'isolement produit par l'encadrement par deux virgules, par deux tirets cadratins et par des parenthèses). J'en conclus donc, du moins jusqu'à ce qu'on m'apporte un démonstration convaincante du contraire, que, comme je l'écrivais plus haut, l'« interrogamation » (comme l'« exclarogation ») sont des curiosités uniquement issues d'un jeu logique auquel se prête bien la syntaxe particulière des signes composés utilisés pour l'interrogation et l'exclamation en espagnol.

   Jacques Melot



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Thierry Bouche
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« Elle revint au bout de neuf jours, munie des mêmes jambes. »
         Eduardo Mendoza, _la Aventura del tocador de señoras_.