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Message : Re: [typo] Des points à la place des balles ?

(Jean-François Roberts) - Mercredi 11 Juin 2003
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Subject:    Re: [typo] Des points à la place des balles ?
Date:    Wed, 11 Jun 2003 06:30:27 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Pour résumer : je ne parle pas de ponctuation ; là, l'arbitraire du signe
est total : ce qui veut dire qu'un usage national est parfaitement absolu -
pour une période historique donnée du moins - et peut en première
approximation être considéré comme intangible. Qu'il y ait une fine devant
le point-virgule relève d'un système aussi arbitraire, donc, que le fait que
le phonème du "gn" français (dans "digne", par exemple) diffère de celui du
"ng" anglais (dans "bing", par exemple). Même remarque, donc, pour le point
décimal. Cela dit, je ne me vois guère mener un Kulturkampf contre un client
qui exigerait sciemment un point décimal pour ses textes français - quitte à
lui faire remarquer courtoisement sa déviance.

Pour le vocabulaire, on se trouve devant ce que les linguistes nomment la
"double articulation" (entre phonologie, ou graphie, et morphologie, d'une
part ; et entre morphologie et syntaxe, de l'autre. La sémantique traverse
tous ces niveaux). Là, on ne saurait procéder aussi mécaniquement et à
l'emporte-pièce : c'est bien tout le problème du prescriptivisme (qu'on
confond trop rapidement avec la normativité...). Ce qui vous insupporte sera
l'usage préféré de tel autre groupe, ou d'une génération différente. Et les
anglicismes (et autres -ismes du même acabit) se faufilent là où on les
attend le moins.

Je le répète : le seul critère est celui de l'"effet de cuistrerie" - et il
n'apparaît pas de façon univoque là où on le supposerait. Imaginons que,
pour revenir à la rencontre tennistique fondatrice du présent fil, vous vous
avisiez de récuser l'anglicisme "match", au profit du bon français
"rencontre" : soit. Mais si vous décidez maintenant (une fois, diraient nos
amis Belges du stéréotype) d'évoquer de ce fait la "balle de rencontre"
(pour "balle de match") décisive - devinez qui sera convaincu de cuistrerie,
pour le coup ?

Si vous voulez à tout prix affubler un latinisme de l'étiquette "anglicisme"
(ce serait donc un méta-anglicisme ? ou un infra-latinisme ?), vous
n'échapperez pas à ce critère - le seul valable, encore une fois. Et non, je
ne parle pas du "paquebot" (packet-boat) France pour ce que ce serait "plus
facile" ou parce qu'il y aurait là Dieu sait quelle idéologie ou
"fascination" - mais bien parce que c'est la seule façon, en français, de le
faire.

Sinon, vous serez condamné à refuser de demander un bifteck ou un rosbif à
votre boucher (anglais, tout ça), ou d'aller au bistro (russe). De toute
manière, vous n'avez plus droit à l'alcool (arabe), ni à la choucroute
(allemand) ; et je ne vous conseille pas de faire de l'algèbre (arabe
toujours, de même que l'algorithme...). Mais ce scénario ne vous concerne
pas, bien sûr ("scénario" est italien).

Quant au germanisme "quantum" (théorie des quanta, etc.), j'espère que vous
l'avez définitivement banni de votre vocabulaire, de même que la notation en
"bra" et "ket" (anglicisme, de "bracket" = "crochet"). Evidemment, tout ça
rend votre communication (sans parler de votre vie quotidienne et
professionnelle) fort difficile. Mais après tout, la pureté de la langue
française, "mère des sciences, des arts et des lois" est à ce prix. N'est-ce
pas ?

En conclusion : on s'est entiché de langues différentes, en France, au fil
des siècles... pour le plus grand enrichissement de la langue française, et
de la pensée française. Essayez d'y voir non une "contamination" u une
"colonisation", mais une appropriation... et décrispez-vous à ce propos une
fois pour toutes : la vie se mange à pleines dents - et à pleine langue.


P.S. : Si je ne m'abuse, la langue comme la culture anglaise "provient
d'Europe". Je ne vois pas l'utilité de cultiver une vision paranoïaque du
phénomène langagier - je crois vous l'avoir déjà dit. Point de complot
occulte, point d'"ignorance entretenue avec soin", point de "mépris pour
toute culture nationale" (au reste, jusqu'à nouvel ordre, l'Angleterre, et
de même les Etats-Unis, est bien "une nation"). Enfin il y a une différence
entre puiser dans le fonds commun de la culture latine (les "humanités
classiques" qui, naguère encore, furent le bien commun de l'Europe cultivée,
de l'Atlantique à l'Oural) et évoquer les accointances ancestrales
indo-européennes (nécessairement hypothétiques) de toutes nos langues. Vous
avez du mal, je crois, à comprendre qu'un latinisme est justement
*supranational*, et fait écho, si l'on veut y voir une idéologie, à
l'universalisme de l'Eglise catholique romaine ("katholikos", en grec
classique, signifie très exactement "universel")...


> De : Fabrice Bacchella <fabrice.bacchella@xxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Tue, 10 Jun 2003 18:02:50 +0200
> À : typographie@xxxxxxxx
> Objet : Re: [typo] Des points X la place des balles ?
> 
> Jean-François Roberts wrote:
>> En fait, je n'en dit... rien. Même si le français connaît déjà la (très peu
>> usitée) abréviation "p.e." pour "par exemple", je n'interdirai jamais le
>> recours à un latinisme de bon aloi pour une abréviation, ou un terme
>> technique. Que ledit latinisme ait transité par l'anglais (GB ou US), le
>> tchèque ou le patagon ne lui confère aucune odeur de non-sainteté
> 
> Mais si justement. Le problème n'est pas la souche plus ou moins pur et
> lointaine du mot. De toutes façons, l'anglais, le latin et le français
> sont des langues indo-européennes et donc se rejoignent toutes.
> 
> La gène que Thierry & d'autres (dont moi) ressentent provient de
> l'ignorance entretenue avec soin, le mépris pour toute culture nationale
> (surtout si elle provient d'Europe) et la fascination pour un modèle
> anglo-saxon parangon de toutes les vertus et porteur de modernité
> forcement positive. De même, il n'est pas nécessaire de voir le monde
> anglo-saxon comme la source du cancer néo-libéral avide de pétrole et de
> dollar pour simplement souhaiter la connaissance et le respect des
> usages nationaux.
> 
> Dans cette optique, il est gênant que certaines habitudes proviennent de
> l'anglais, non parce qu'elles sont d'usage plus aisé (ce qui est déjà un
> argument sujet à caution), ou qu'elles correspondent mieux à un besoin,
> mais parce que le rédacteur ignore ou méprise l'équivalent local, ancien
> et accepté. Et dans ce cas, « e.g.» n'est pas un latinisme mais bien un
> anglicisme, c'est à dire une tournure utilisée en France par un
> mimétisme plus pédant qu¹autre chose de l'usage anglo-saxon. Un autre
> exemple est la diffusion en constante augmentation du signe «.» comme
> séparateur en lieu est place de notre virgule gauloise. Il est difficile
> d¹attribuer une nationalité aux signes «.» ou «,». Néanmoins 3.14 est un
> anglicisme, 3,14 ne l¹est pas. Refuseriez-vous cette assertion au
> prétexte que «.» est apatride ?
> 
> 
> 
> Fabrice Bacchella
>