Archive Liste Typographie
Message : Re: [typo] Capitale universitaire..

(Jean-François Roberts) - Vendredi 24 Octobre 2003
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: [typo] Capitale universitaire..
Date:    Fri, 24 Oct 2003 06:46:58 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Très intéressant... On reconnait l'intelligence, le brio et l'ingéniosité de
J.-P. Lacroux (que je n'ai pas connu, mais que j'apprécie).

Mais vouloir fonder une "règle" (qui n'est plus orthographique, cette
fois-ci) sur des hapax comme celui d'Eluard, ou d'Eden, me paraît encore
plus vain que de le faire à partir des problèmes du tout-cap. - alors même
que l'on proclame bien haut, par ailleurs, la distinction essentielle entre
cap. et majuscule, justement.

Comme l'exemple (cité dans une autre discussion par E. Angelini) du couple
édam/Edam, la mauvaise foi rhétorique de J.-P. Lacroux - mauvaise foi sur
laquelle repose entièrement l'argument pro-accentuation des majuscules -
consiste à faire supposer qu'un lecteur existe qui serait robotisé au point
d'être parfaitement déculturé et décontextualisé. Au point de ne pas pouvoir
distinguer une ville d'un fromage, ou un homme politique du paradis
terrestre.

Un tel lecteur n'existe, bien entendu, en aucun pays ni en aucun temps.
L'argument, quoique brillant, est donc nul et non avenu.

Le propblème des accents sur les noms propres est de toute manière pérenne,
et en aucune manière limité à la majuscule initiale : Pérec ? ou Perec ?
Allez savoir... Ce n'est pas en accentuant (au hasard ?) les majuscules des
noms propres qu'on s'en sortira. Quiconque a travaillé à la fabrication d'un
ouvrage de référence (ou au _Journal officiel_...;) se coltine
quotidiennement ce problème. (Même chose pour les dates et lieu de
naissance, de mariage ou de mort, soit dit en passant.) On a des
répertoires, et *c'est le répertoire qui fait foi*. Hors de là, point de
salut.

Quant à l'argument (en 3 ci-dessous) du "comment fait-on pour savoir que...
en l'absence de règles ?" - la réponse lapidaire est *bien entendu et bien
évidemment* que dictionnaires et encyclopédies sont là pour ça. Dans la vie
courante, on se passe parfaitement de savoir qu'il y a un accent sur
l'initiale d'Erato, pas sur celle d'Erebus. Que si vous voulez le marquer
(en tout-cap. ou parce que votre marche accentue les majuscules en texte
b.d.c.), il y a fort à parier que, de toute façon, vous n'en saurez
fichtrement rien : votre premier réflexe sera donc bien d'aller voir votre
dico ou encyclopédie.

Et c'est bien pour ça que les marches de *lexicographie* optent pour la
"panaccentuation" : pour permettre aux utilisateurs de ces ouvrages de
référence de retrouver l'orthographe d'un mot et, le cas échéant (si le
besoin s'en fait sentir) les accents, y compris sur les majuscules.

Si vous n'éditez pas d'ouvrage de référence, vous n'"aiderez" personne en
mettant les accents sur les majuscules - sur Eluard, et pas sur Erebus,
donc. Mais faites-le, bien entendu, si vous aimez les cap. accentuées. Ça
sera alors un plaisir pour vous, mais en aucun cas une obligation.

(Quant au lecteur, dites-vous bien que, s'il n'est pas fana de typo, il ne
prendra de toute manière pas garde à ce que vous avez choisi en la matière.
Le meilleur critère est donc votre esthétique, et les contraintes *réelles*
auxquelles doit répondre l'ouvrage par ailleurs.)

P.S. sur Eluard : Pouvez-vous me dire *en quoi* il si crucial pour l'avenir
de la culture et de la typographie occidentales que chaque lecteur sache
s'il y a, ou non, un accent sur l'initiale d'Eluard ? son appréciation du
poète en dépend-elle aucunement ? Et faut-il imposer un carcan à la typo
pour réduire cette angoisse existentielle d'un typographe ? Encore une fois,
il y a des dicos pour ça. Ne réduisez pas le monde à un univers de
dictionnaires. Je crois qu'Eluard a eu des mots contre ça...

(A part ça, que vous choisissiez d'écrire - en tout-cap. - ELUARD ou ÉLUARD,
je vous conseille vivement d'écrire "éluardien", en effet. De même que
l'adjectif français dérivé de Hegel est bien "hégélien". Bizarrement, en
effet, le français considère qu'un adjectif n'est pas un nom propre.
Surprenant, non ?)


> De : Jean Fontaine <jfontaine@xxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Thu, 23 Oct 2003 12:36:16 -0400
> À : <typographie@xxxxxxxx>
> Objet : Re: [typo] Capitale universitaire..
> 
>> comment sait-on qu'il y a un accent sur "Egypte",
> 
> Cette semaine quelqu'un m'a posé la question inverse : comment sait-on qu¹il
> n¹y a pas d'accent sur ELUARD ou Eluard ?
> 
> -- Le dictionnaire ? Se fier à un seul dico peut être dangereux dans ce cas
> précis, car il y a des divergences d'un dico à l'autre et même d'un article
> à l'autre du même dico. La majorité semble pour ELUARD.
> -- La prononciation ? Elle pencherait plutôt pour ÉLUARD, non ?
> -- La dérivation ? Est-on eluardien ou éluardien ?
> -- L'étymologie ? Très délicat à déduire dans le cas d'un nom de personne.
> -- L'acte de naissance de l'écrivain ? Oui, sauf qu'« Eluard », n'était pas
> son nom, mais un pseudonyme, qui était paraît-il le nom de sa grand-mère
> maternelle.
> -- L'acte de naissance de sa grand-mère, alors ? Oui, sauf que l'écrivain,
> par coquetterie, a peut-être adopté une accentuation différente pour son
> pseudonyme...
> -- Les manuscrits de l'écrivain, alors ? Oui, sauf qu'en écriture
> manuscrite, on accentue rarement les majuscules, donc difficile d'en déduire
> quoi que ce soit pour la typographe du nom.
> -- La typographie de ses bouquins, alors ? Oui, sauf que les typographes ont
> des marches variables, au point de littéralement s'entretuer sur ces
> questions. Ci-joint une page couverture de Gallimard qui donne à voir
> ÉLUARD, mais peut-on se fier à Gallimard* ?
> -- J'ai dû finalement me rabattre sur l'argument d'« autorité » : on écrit
> ELUARD et Eluard sans accent parce c'était l'avis de Jipé Lacroux, par
> ailleurs ardent panaccentuiste, et on ne discute pas l'avis de Lacroux !
> Voici trois extraits de sa plume :
> 
> -----------------------------
> 
> 1. Autre chose, que l'on oublie parfois... La non-accentuation des
> majuscules est également dangereuse pour les majuscules non accentuées !
> Elle est à l'origine de nombreuses graphies fautives ! À force de voir des
> « Etienne » ou des « Etats » pour « Étienne » ou « États », le lecteur,
> pas contrariant, se dit que « Eluard » ou « Eliade » sont là pour
> « Éluard » ou « Éliade »...  Je ne le blâme pas : certains font tout pour
> qu'il se plante, et c'est eux que je blâme...
> [Source : http://users.skynet.be/typographie/faq/Capac.html]
> 
> -----------------------------
> 
> 2. Si vous écrivez « Anthony Eden » et « le jardin d'Eden », certains
> lecteurs se diront que ces deux noms sont strictement homographes. Les
> uns, qui savent que le ministre britannique portait parfois un chapeau
> mais jamais un accent (graphique), concluront que le jardin en est
> également dépourvu. D'autres, qui savent que le jardin s'écrit « Éden »
> mais qu'il est conseillé (tu parles...) de ne pas accentuer les
> initiales (et on les confortera dans cette croyance imbécile en
> composant « Ecole »), se diront, en tombant sur l'impeccable « Eluard »
> qu'il s'agit évidemment d'« Éluard »... Origine de bien des fautes.
> [Source : http://minilien.com/?iy6nmYj37K]
> 
> -----------------------------
> 
> 3. Si une prétendue « règle » refusait l'éventuelle
> accentuation de la première lettre des noms propres, comment diable
> auriez-vous pu apprendre que « Érato » et « Épidaure » exigent un
> accent, alors que « Erebus » ou « Eluard » s'en passent à merveille ?
> Poser la question... c'est ici quasiment y répondre.
> [Source : http://minilien.com/?nsBZ0h4tDQ]
> 
> -----------------------------
> 
> Voilà pour Lacroux. Si quelqu'un a une preuve béton pour confirmer ou
> infirmer ce qu'il dit d' « Eluard », je suis preneur...
> 
> Jean Fontaine 
> 
> ---
> * La vénérable maison Gallimard n'est pas à l'abri des bourdes et bourdons.
> Scoop : on vient ces jours-ci de découvrir une lettre « e » apparue
> mystérieusement à la page 119 du la réédition 2003 du roman « la
> Disparition » de Georges Perec, ce qui est particulièrement gênant quand on
> sait que cette oeuvre doit sa célébrité à l'absence totale de lettre « e »
> dans le texte. Gallimard s'apprêterait à rappeler et pilonner les
> exemplaires défectueux. Dépêchez-vous de vous en procurer un, il pourrait
> bientôt valoir cher...
> 
> 
> 
> 
>