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Message : Re: [typo] étymo [était : chif. rom.]

(Jean-François Roberts) - Mardi 06 Avril 2004
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Subject:    Re: [typo] étymo [était : chif. rom.]
Date:    Tue, 06 Apr 2004 16:32:28 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Je répondrai donc à la provocation ;)

D'abord, petit arrêt sur l'allemand : si "édition" se dit bien "Verlag",
"éditeur" se dit "Verleger" (avec un "e") - ah ! les joies de l'alternance
vocalique (phénomène intervenant particulièrement dans les langues slaves et
germaniques). Il s'agit là de l'éditeur *commercial* (ensemble de termes
dérivés du verbe "verlagern", qui signifie, quant à lui, "transférer", de
même que "verlegen", verbe connexe, qui a également le sens de "déposer" [un
tapis, par exemple] ; d'où, par référence à l'apport d'argent pour frais de
fabrication, le sens de "publier"). L'éditeur scientifique, quant à lui, se
dit "Herausgeber" (abréviation : "Hg.").

Pour la question posée : pour aller plus vite, je me réfère au _Shorter
Oxford English Dictionary_ (5e édition, 2002), qui a l'avantage de garder
(en deux volumes) la présentation historique de son grand frère en 20
volumes.

Pour "stationer" : jusqu'à la fin du XIXe siècle (et depuis les XIIe-XIIIe
siècles), ce terme signifiait "libraire", ou plus généralement toute
personne impliquée dans le commerce du livre ou toute activité connexe
(production). Depuis le XVIIe siècle, le sens spécifique de "personne
faisant commerce d'instruments et matériels pour l'écriture" est apparu, et
reste le seul courant actuellement (= "papetier", pour simplifier). On sait
(peut-être) que le Stationers' Hall, à Londres, était le siège de la
Stationers' Company (guilde des libraires) : c'est là qu'on procédait au
dépôt d'ouvrages pour en revendiquer le copyright.

L'origine du terme est intéressante : latin médiéval "stationarius",
désignant un commerçant, artisan ou négociant tenant échoppe fixe, et donc
non itinérant, et plus particulièrement un libraire - par opposition au
colporteur, donc, encore que ce dernier aurait eu un rôle assez différent au
XIVe siècle de ce qu'il devint aux XVIIe et XVIIe siècles (initialement,
"stationarius" servait pour ce qui avait trait à une station, ou poste,
militaire). L'adjectif "stationary", outre son sens premier de
"stationnaire", au sens d'"immobile", "résidant", a eu de même le sens de ce
qui se rapporte à une "station" : poste militaire ou établissement
ecclésiastique. Une dernière acception étant celle d'"immuable" (fonction
stationnaire). 

En tant que substantif, "stationary" désignait, jusqu'à la fin du XVe
siècle, celui qui évaluait des livres ou autres objets de valeur (car les
livres, on le sait, étaient des objets coûtant fort cher à l'époque !). Par
ellipse, ce terme désignait aussi l'indulgence obtenue en se rendant dans
une "station" ou établissement ecclésiastique, ou une planète stationnaire,
ou encore un membre d'une force militaire stationnée en un lieu. Au XVIIe
siècle, la forme variante "stationery" (avec un "e") est apparue, désignant
ce dont le "stationer" (au sens actuel) fait commerce (= "papeterie"). On
sait que le HMSO (Her Majesty's Stationery Office) publie toujours les
textes officiels (textes de lois, rapports, statistiques...) pour le compte
des autorités nationales, aux Royaume-Uni (ça serait un peu l'homologue de
l'Imprimerie nationale... mutatis mutandis).

Quant à "publisher", ce terme dérive directement du verbe "publish",
lui-même issu du français ("public", "publier") par adjonction du suffixe
"-ish", représentant une terminaison française déformée (le plus souvent en
"-iss-" pour des verbes en "-ir" : ainsi "abolish", etc.). On a donc
l'évolution classique : rendre connu, disséminer (XIIe-XIVe siècles) ;
annoncer ou proclamer officiellement, prononcer (une sentence) (XIVe-XVe
siècles) ; publier (des bans) (fin du XVe) ; proclamer qqn (hors la loi, par
exemple, ou que qqn est un traître), dénoncer qqn publiquement ; porter à la
connaissance générale (du public) (XVIe siècle jusqu'au début du XVIIIe).
Enfin, depuis le début du XVIe siècle, apparaît l'acception qui nous
intéresse: préparer et faire paraître pour la vente au public (livre,
périodique, rapport, partition, etc.). Enfin (milieu XVIIe siècle) : rendre
disponible au public, placer ou porter devant le public (en particulier, des
informations, nouvelles, résultats, découvertes, etc.).

Pareillement, "publisher" signifie initialement "celui qui rend public, qui
porte à la connaissance générale, qui proclame ou annonce au public"
(XIVe-XVe siècles) ; acception désormais rare. Puis (XVIe-XVIIe siècles)
l'auteur ou éditeur (scientifique) d'un ouvrage publié. Enfin (milieu du
XVIIIe), l'acception actuelle : individu ou société commerciale préparant et
faisant paraître, pour la vente au public, des livres, périodiques,
partitions, etc. (Et, aux USA : le propriétaire d'un organe de presse.)

(Pour être complet, il faudrait aborder le substantif "publication", et les
substantifs "publicity" et "publicist", avec le verbe "publicize". Mais le
premier n'apporte pas grand chose par rapport à lm'évolutioon de "publish".
Et les autres dérivent en fait directement des termes français
correspondants.)

Quant à editor, il se rattache à "edition" : termes issus du latin et du
français ; le verbe "edit", quant à lui ne dérive que partiellement du
français "éditer" - c'est en fait largement une redérivation de l'anglais
"edition". Le substantif "edition", aux XIVe-XVe siècles, désignait déjà la
version d'un texte (initiale, revue, etc.) ; aux XVIe et XVIIe siècles, le
terme désigne le fait de publier, faire paraître ; à la même époque, il peut
également signifier le fait de créer ou donner naissance à (un ordre de
chevalerie, par exemple), d'où l'extraction sociale, l'origine ; enfin
(début du XVIIe siècle) apparaît l'acception élargie de "version (première
ou ultérieure) d'une personne ou d'un objet", ou d'ensemble de la production
d'un objet donné (une médaille, par exemple).

Le substantif "editor" (du latin "editor", signifiant "producteur" ou
"exposant" [qui expose sa production]) signifie initialement (milieu du
XVIIe siècle) l'éditeur (commercial) d'un livre, qui le fait paraître, donc.
Puis, dès le début du XVIIIe siècle, l'éditeur scientifique ou technique,
c'est-à-dire celui qui prépare pour publication un texte ou des matériaux
littéraires ou d'information ; ou une personne qui choisit et passe commande
de textes destinés à la publication. Puis, à la fin du XVIIIe siècle, le
responsable d'un périodique, d'un organe de presse, ou d'une de ses
rubriques (= "rédacteur", "secrétaire de rédaction") ; ou le responsable
d'édition d'un ouvrage de référence (= "secrétaire d'édition"). Enfin, au
début du XXe siècle, "editor" désigne le responsable d'un département dans
une maison d'édition (= "chef de collection", peu ou prou).

Pour en venir à "editorial" : ce terme apparaît comme adjectif (milieu du
XVIIIe siècle), désignant ce qui relève de l'éditeur (scientifique) ou de
l'édition (scientifiquue) d'un texte ; ou qui se rapporte à un passage
rédigé par l'"editor" ("rédacteur") en son nom propre, dans un périodique,
par opposition aux informations et aux annonces, publicités, etc. Comme
substantif, "editorial" désigne un article de presse publié sous l'autorité
directe de l'"editor", que ce soit sous sa propre signature ou non (depuis
le XIXe siècle).

(Pour mémoire : on sait qu'en anglais "libraire" se dit de nos jours
"bookseller", et "librairie" se dit "bookshop" ; "library" désigne une
"bibliothèque"...)


> De : "Jef Tombeur" <jtombeur@xxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Tue, 6 Apr 2004 10:33:24 +0200
> À : <typographie@xxxxxxxx>
> Objet : Re: [typo] étymo [était : chif. rom.]
> 
> 
> From: "Jacques André" <jacques.andre@xxxxxxxx>
> To: <typographie@xxxxxxxx>
>> 
>> Mais effectivement (DESS d'histoire de la typo ?) , il fut un temps où
>> il était d'usage de mettre un point après les nombres en romain.
> 
> Ah ben, s'il en existe un, que fais-je en études anglophones ?
> Où ça, ou ça, un tel DESS ?
> Je verrais bien un DÉA (il y en a un d'histoire du Livre, pas très
> typo-typo exclusif, pour le moins), mais un DESS d'histoire de la typo ?
> En sc. de l'info ?
> 
>>> le manuel de Fertel (La science pratique de l'imprimerie... 1723)
> 
> Honte sur ma fainéantise et ma très courte mémoire...
> Je me disais bien aussi que je subodorais kekchoz...
> Que j'avais vu des ch. rom. suivis de points.
> 
> TOUT autre chose...
> 
> F. Barbier me signale qu'il aimerait en savoir plus que la simple étymo
> des termes ang. _stationer_, _editor_, _publisher_, soit la date
> d'apparition de leur emploi actuel (voire le pourquoi).
> Il cite par ex. l'emploi all. de _Verlager_, assez récent dans l'acception
> courante, le fait que l'éditeur est d'abord, en Fr., pour les bénédictins,
> un éditeur scientifique avant que l'_Encyclo_ élargisse (bon, je ne le
> cite pas, j'évoque de mémoire ses propos).
> 
> Jacques André, en particulier, aurait des idées là-dessus ?
> J.-F. Roberts muni de tout un rayon de dicos d'étymo ang. ?
> 
> Pour expliquer ce que recouvrait véritablement _stationer_, c'est coton
> (et même chiffon de coton). Mais pour la dif. entre _editor_ et
> _publisher_, c'est peut-être plus limpide.
> 
> Bref, etymonline.com note par ex.
> Edit is 1791, probably as a back-formation of editor (1649), which, from
> its original meaning "publisher" had evolved by 1712 a sense of "person
> who prepares written matter for publication;" specific sense in newspapers
> is from 1803. Editorial "newspaper article by an editor" is Amer.Eng.
> 1830. Hence, editorialize (1856), "introduce opinions into factual
> accounts."
> 
> Mais si quelqu'un(e) a des vues plus précises...
> 
>