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Message : Re: [typo] Typo des livres de poche

(Pierre Roesch) - Jeudi 20 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] Typo des livres de poche
Date:    Thu, 20 May 2004 02:48:24 +0200
From:    Pierre Roesch <pierreroesch@xxxxxxxxxx>

Le 19 mai 04, à 16:34, Olivier Randier a écrit :

J'ai essayé une fois Minion, pour un gros bouquin d'économie (certes, ce n'était pas un format poche). J'ai été très déçu par le résultat final. Minion a trop peu de contraste (oeil trop gros). Quand on le compose avec un interlignage confortable, cela donne à la page un aspect bizarre, comme si le texte jouait à la contrainte du prisonnier.

1) Minion
Les Penguin Books, dont la grille typo avait été créée par Tschichold vers 1949 sont passés récemment au Minion, qui sert aussi (ou a servi) dans Libé. Il ne faut pas oublier que le Minion est une famille Multiple Master avec des variations de graisse, de chasse (modérées) et de corps optique, ressource rare et trop peu employée. Elle ne le sera plus avec OpenType, qui propose parfois, par contre, des variantes (Opticals) optimisées pour les légendes, le texte courant, les sous-titre, les titres [caption (6-8 point), regular (9-13 point), subhead (14-24 point) and display (25-72 point)]. Pendant encore un certain temps, on peut générer des versions idéales du Minion avec l'outil FontCreator ou ditectement dans Illustrator.

Le « Bringhurst » est en Minion, et je crois savoir que l'auteur a créé diverses versions pour jouer très légèrement sur les chasses (comme le “glyph scaling” [mise à l'échelle glyphe, selon la traduction française] d'InDesign) pour optimiser, ligne par ligne, le gris typo.

2) Times
Ses relations avec le Plantin ne sont pas claires. Il semble de plus en plus probable qu'il a été inspiré par un caractère dessiné par l'architecte naval américain Starling-Burgess (voir sous ce nom dans Google). On doit signaler l'existence (chez Adobe et autres) d'un Times Ten, correspondant à une version idéale pour le corps 10 et en-dessous. Son œil est très nettement plus gros, au point où il surprend en c. 10, mais passe très bien en c. 9 et c. 8. On pourrait même se risquer à créer avec un logiciel du type Fontographer un intermédiaire (interpolation) entre le Times normal et le Times Ten.

3) À l'époque de la photocomposition, on trouvait chez Linotype (et peut-être chez Monotype), des variantes de « corps de dessin » des best-sellers du catalogue. Pour le Times normal 4 dessins étaient disponibles (8, 10, 12 et 18) ; il s'agit sans doute de points Didot.

4) Berthold
Les dessins étaient usuellement basé sur un compromis (c. 12) et chez Berthold des tests étaient faits dans les tout petits corps (c. 6 ou 7) pour que le dessin soit encore bien net. C'est avec les didones que le problème est le plus évident ; l'empattement devrait rester filiforme dans tous les corps; C'est peut-être ce dessin « moyen », choisi avec soin pour passer du c. 6 au c. 36, et au-delà, qui rend les polices Berthold si lisibles. Paul Rand, pour la charte graphique IBM avait retenu spécifiquement le Bodoni Berthold, et la firme s'en était vantée.

Peut-être est-ce aussi une qualité du Baskerville Berthold. Ce caractère de transition peut parfois être rendu avec des contrastes exagérés, dans l'esprit du temps et de son auteur, qui poursuivait un idéal de raffinement, ce que confirme son emploi de papiers très lisses (les premiers vélins). Sur ce point, je cite “Revival of the Fittest” de Phiipp B. Meggs et Roy McKelvey (RC Publications, 2000) : “Berthold tends to be heavier than the other versions with less contrast between thick and thin strokes”. Les autres versions étudiées par eux sont celles de Monotype (la plus fidèle), le New Baskerville ITC et Mrs Eaves de Zuzana Licko (Émigré). Ceci pourrait justifier le penchant pour la version Berthold que j'ai remarqué dans un message récent.

5) Plantin (suite)
Les empattements du Plantin sont biseautés et non pointus ; plusieurs éléments sont plus vigoureux qu'ordinairement : attaque du a très caractéristique, attaques des b, d , h, k, m, n, queue du Q… Sur ce sujet, et des thèmes approchants, voir les intéressants commentaires de Paul Luna (conseiller typo d'Oxford University Press) dans “Undestanding type for desktop publishing” (Blueprint, 1992) — hélas jamais republié. Pour les situations difficiles (petit corps, basse résolution, mauvais papier), il faut mentionner le Charter de l'incontournable Matthew Carter (non, ce n'est pas mon idole ; ce serait plutôt Frutiger !). On peut ajouter le Swift (G. Unger) et le Mendoza ITC (cocorico !).

6) Typo pour texte
Une proposition de 20 caractères sur
http://www.textism.com/textfaces/
avec l'avis d'un connaisseur.

7) Garamond
Il y au moins 2 catégories de Garamond, les vrais (Adobe, Stempel) et les faux (en tête ITC).
Ça mérite un long développement.
Les éditions Actes Sud utilisent le dernier cité. Avec leur format allongé, ça produit un effet de fausse élégance et me laisse une impression très mitigée. J'ai même renoncé à acheter une de leurs récentes parutions pour cette absence de confort de lecture.