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Message : Re : [typo] accent

(Jean-François Roberts) - Mardi 24 Mai 2005
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Subject:    Re : [typo] accent
Date:    Tue, 24 May 2005 04:27:16 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

> De : Thierry Bouche <thierry.bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>
> Société : Institut Fourier
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Mon, 23 May 2005 12:55:05 +0200
> À : typographie@xxxxxxxxxxxxxx
> Objet : Re: Re : [typo] accent
> 
> 
> Le vendredi 20 mai 2005 vers 18:46:48, Jean-François Roberts écrivait :
> 
> JF> Encore une fois : la marche typo qui a été la plus répandue est bien
> JF> d'accentuer le tout-cap.,
> 
> oui, la marche la plus répandue dans le temps est de ne
> pas accentuer les *majuscules* (cap initiales). D'où le ridicule
> éléphant, Eléphant, ÉLÉPHANT.

Rien de ridicule ; sauf pour quelqu'un qui se refuse à admettre l'évidence
de ses yeux. Les cap. ne sont jamis lues comme des b.d.c., a fortiori quand
elles sont utilisées comme majuscules dans un texte courant.

Ajoutons donc à votre liste (fort incomplète !) :

    Eléphant, ELEPHANT

Ça reste parfaitement lisible, et non ridicule. Encore une fois, votre idée
de la "cohérence" veut en fait tout ramener sous une unique catégorie, sans
comprendre que le signe alphabétique recouvre plusieurs catégories, qu'il
convient de traiter de façon différenciée - a fortiori si on considère le
type de document : un formulaire des douanes, un dictionnaire usuel ou un
recueil de poèmes n'ont absolument pas à se plier à un carcan unique, pour
ce qui est de la marche typo (la liste des types de documents est en réalité
bien plus étendue, bien entendu).

> 
> Ensuite, il existe beaucoup de « marches » selon les époques et les
> technologies, qui consistent à n'accentuer que certaines voyelles dans le
> tout-cap (souvent, on ne verra que l'accent grave ou aigu sur un E, plus
> rarement des circonflexes, jamais de À, etc.).
> 

Tout cela n'a rigoureusement rien à voir avec la "technologie" (encore ce
mythe tenace et étayé par rien) : de nos jours encore, dans nombre de
rédactions et chez beaucoup d'éditeurs, on proscrit expressémement les "A"
et "I" accentués, tout en préconisant les "E" et "U" accentués. Si vous
regardez une page où apparaissent des "Ïle-de-France" et autre "Moyen Âge",
vous comprendrez pourquoi. Mais bien entendu, l'aspect visuel de la chose
vous échappe, dès lors qu'on touche à votre sacro-sainte "cohérence" (toute
logique, au sens le plus étroit du terme : vous ne comprenez pas,
malheureusement, ce qu'est une cohérence sémantique, ou graphique).

Non : il vous faut prétendre que le parti que vous condamnez serait dû à des
"contraintes technologiques" (lesquelles ?) : ce postulat posé, vous pouvez
conclure paresseusement que, maintenant que l'ordinateur existe, ces marches
n'ont plus lieu d'être. Si vous aviez passé quelques années dans les
ateliers de labeur, vous auriez une vision plus réelle de la chose. (J'y
reviens ci-dessous.)

> JF> si vous prenez les occurrences de tout-cap., une statistique rapide vous
> JF> montrera que ce problème n'apparaît, *en réalité* que dans 1 % des cas de
> JF> tout-cap.
> 
> je ne sais pas vraiment à quel problème vous vous référez. La marche du
> cahier Associations du _Journal officiel_ de la République française me
> semble parfaitement absurde et peu républicaine.
> 

J'aimerais vraiment bien savoir ce que la notion de "républicanisme" vient
faire ici ??? Enfin je rêve, ou c'est vous qui délirez ? Il y aurait des
marches typo aristocratiques ? nazies ? prolétariennes ? Et pourquoi pas des
marches catholiques ? protestantes ? juives ? musulmanes ? athées ?
capitalistes ?

Et c'est vous, qui plus est, qui en seriez juge ???

Je vous conjure de ne pas vous engager dans ce genre de considération
dangereuse. Ou alors, de l'étayer par une solide argumentation. Sinon, ma
présence ici est à revoir. J'attends de vous confirmation que vous rétractez
ce propos inconsidéré. (Ou que vous le justifiez autrement que par une
boutade.)

> En prenant la dernière livraison, après avoir lu
> 
> L'AIDE POUR LA RECHERCHE D'EMPLOI AUPRÈS DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS
> (L'APRETH).
> 
> comment puis-je croire qu'il n'y a pas de faute dans :
> 
> CLUB DES GONFLES DE LA PETITE REINE.
> 

Je ne connais aucun substantif "gonfle", pluriel "gonfles". Vous non plus,
d'ailleurs. Dès lors, il n'y a aucune ambiguïté dans l'intitulé que vous
citez. On cherche en vain la "faute" dont vous insinuez l'existence.
L'apparition d'accents dans le premier intitulé que vous citez, en revanche,
est bien une faute, au regard de la marche des Associations. Ça arrive. J'y
reviens ci-dessous.

> et pourquoi
> COMITE DE FLEURISSEMENT D'ARS-SUR-FORMANS.
> CÂLIN'NURSE.
> UNION RÉGIONAL DES AVF DE PICARDIE
> 
> on a le sentiment d'un arbitraire absolu. Encore une fois, s'il n'y a
> aucun accent sur aucune cap, je rentre en mode décryptage, je m'attends
> à devoir rétablir mentalement les accents manquants (et, contrairement à
> ce que vous dîtes, c'est un effort qui ralentit ma lecture plutôt que de
> la faciliter). S'il y a des accents sur certaines caps, je rentre en
> mode lecture accentuée ; l'absence d'un accent « inutile » car ne causant
> pas d'ambiguïté me saute à la figure comme une faute.
> 

J'ajouterai :

    COMITE DES FETES DE LA FERTE-SAINT-AUBIN

Aucun problème, donc. Que vous trouviez des occurrences de titres en
tout-cap. accentué là où l'accent est inutile prouve simplement que la
marche ne s'applique pas sans qu'aucune faute ne soit commise. Mais enfin,
si dans un texte ou les cap. étaient accentuées comme vous le souhaitez,
vous tombiez sur des cap. non accentuées, vous crieriez à la coquille et à
l'inattention, pas à "l'arbitraire absolu". De même pour les éventuelles
fautes d'orthographe subsistant (cherchez, vous en trouverez).

Ici encore, votre argutie est de pure mauvaise foi. Ou, plus probablement,
elle procède d'une ignorance complète de ce qu'est le travail dans des
conditions industrielles - qui plus est dans des conditions qui, au JO, vont
en se dégradant rapidement. Ce sont là en effet des conditions techniques :
mais vous en êtes superbement inconscient.

A cet égard, vous me faites penser aux universitaires qui excipent de telle
ou telle édition imprimée de l'ouvrage d'un grand auteur, pour en tirer des
conclusions (éventuellement par comparaison avec une version manuscrite) sur
le travail opéré par ce dernier au niveau de la graphie, de la ponctuation,
ou de la syntaxe - sans jamais être effleurés par l'idée que, entre le
manuscrit et l'imprimé, il y a eu (pendant des siècles) bien des
intervenants obscurs et des procédures discrètes pour déterminer la forme
finale du texte imprimé. Pendant quelques décennies, il était de notoriéte
publique, chez les correcteurs et typos, que les romans de Georges Simenon,
en particulier, étaient (très) largement mis en forme en préparation de
copie et sur épreuves... par les correcteurs (et non par je ne sais quel
secrétaire d'édition, encore moins un directeur de collection), dont le nom,
bien entendu, n'apparaîtra jamais (disons que les correcteurs, en
l'occurrence, ont été les nègres de Simenon - aux antipodes d'un Balzac,
donc, ce dernier reprenant toujours lui-même ses épreuves, au grand
désespoir de son éditeur, d'ailleurs).

Cette épaisseur de la procédure typographique n'est que trop souvent
méconnue par les spécialistes de la production littéraire. Les conditions de
travail et les rapports de production dans l'industrie du livre sont donc
une dimension essentielle, liée à la technologie, en effet - mais pas du
tout au sens où vous l'entendez (il ne s'agit de la mystérieuse, et
mystifiante, difficulté intrinsèque à laquelle on se serait heurté, pendant
des siècles, pour ce qui est de la production et de l'utilisation de
caractères de cap. accentuées !).

Résumons : des centaines d'entrées de ce genre sont lues chaque semaines
(créations, modifications, suppressions d'associations). Ceci, à partir de
bordereaux manuscrits (rarement tapuscrits) par des responsables
d'associations qui peuvent être des citoyens très actifs, et d'un bon niveau
d'instruction (mais pas forcément...), mais pour lesquels, en tout état de
cause, la correction typographique et/ou grammaticale est le cadet de leurs
soucis. 

Ajoutons que nombre de ces bordereaux sont renseignés par des personnes dont
le français n'est pas la langue maternelle, ou qui, tout en étant d'origine
impeccablement franco-française, ne maîtrisent ni la langue, ni l'écriture
(lettres mal formées, voire illisibles).

Je vous garantis, dans ces conditions, que les erreurs foisonnent. Ajoutons
que le JO est une des dernières entreprises en France à travailler "à
l'ancienne" (saisie par des opérateurs de photocompo sur système non
WYSIWYG, lecture par des correcteurs sur sortie papier, puis retour à
l'atelier pour corrigeage, etc.). Que les typos oublient parfois que les
Associations usent du tout-cap. non accentué (sauf dans le 1 % de cas ou
l'accentuation est nécessaire) et tendent à accentuer automatiquement le
tout-cap., conformément à la marche en vigueur pour l'ensemble des
publications du JO, Associations exceptées. Le renouvellement des effectifs,
ces dernières années, chez les typos, ne s'est d'ailleurs pas traduit par
une amélioration de qualité (hélas !).

De ce fait, le correcteur, qui passe déjà le plus clair de son temps à
décoquiller des épreuves parfois abracadabrantes, au bout de quelques heures
laissera sûrement passer quelques accents dans un tout-cap. qui n'en a pas
besoin. Y voir un quelconque "arbitraire", plutôt que le reflet des
conditions de travail, est simplement ubuesque - ou trahit votre ignorance.


> Si dans la liste je vois
> ASSOCIATION JEAN ROUCHE
> 
> je n'ai aucun moyen de savoir s'il s'agit d'une référence à Jean Rouché,
> s'il existe une Jean Rouche dont je n'ai jamais entendu parler. Seule
> l'accentuation systématique permet de donner leur sens aux lettres non
> accentuées.
> 
> 
Vous connaissez la marche : s'il n'y a pas d'accent dans l'intitulé, c'est
qu'il n'y en avait pas dans la copie. Si JEAN ROUCHE s'appelle Jean Rouche
(forme plus probable, au demeurant, que "Rouché"), aucune accentuation ne
fera apparaître l'absence d'accentuation. La non-accentuation d'un nom
propre, dans la marche Associations - s'il n'est pas connu de toute manière
: ainsi un nom de commune accentué n'appelle aucune accentuation en général
dans l'intitulé (on sait qu'il y a un accent dans ORLEANS : le faire
apparaître est donc superfétatoire) -, cette non-accentuation, donc,
s'agissant d'un nom a priori inconnaissable, indique que ce nom propre est
en effet non accentué : on ne saurait avoir marche plus transparente (et
cohérente !).

Précisons que cette absence d'accentuation garantit seulement que le nom
propre est non accentué *dans la copie*, bien entendu : sauf pour les noms
de personnes connues, ou de lieux géographiques ou d'entités
administratives, il n'y a aucun moyen de vérifier la graphie des noms
propres, qui restent de l'entière responsabilité de la personne qui signe le
bordereau d'enregistrement.

Ajoutons un dernier point que vous ne soupçonnez certainement pas : certains
intitulés sont incorrects... parce que l'intitulé de la copie (bordereau
d'enregistrement signé par le responsable de l'association) est tel. Il est
arrivé nombre de fois qu'un correcteur, n'écoutant que son métier, rectifie
une forme incorrecte... pour se faire taper sur les doigts par la suite,
après arrivée au JO d'une demande de rectificatif pour rétablir la forme
incorrecte, voulue telle (par ignorance, ou sciemment) par le responsable en
question... De ce fait, on n'intervient sur les intitulés qu'avec
circonspection (le client est roi, même en République...). Rarement, on
décide de retirer une annonce, en demandant un complément de renseignement.
Ça n'est pas forcément bien accueilli par la rédaction...

C'est qu'il faut connaître la complexité (et la pesanteur) de la sociologie
du travail, en production industrielle : au-dessus du correcteur, il y a la
réglette, qui négocie avec le pageux (chef du service de photocompo) et avec
la rédaction (la direction des Journaux officiels, ou DJO, qui fait partie
des services du Premier ministre), qui a de toute façon le dernier mot (et
qui assure l'interface avec les clients, pour les bulletins d'annonces tels
que les cahiers Associations).

Vous concevrez qu'une telle rigidité laisse très peu de place pour
l'arbitraire, ou la fantaisie. En revanche, elle favorise un certain
laxisme, par moment - par lassitude, disons.

> JF> La langue naturelle est truffée d'exceptions.
> 
> oui. Je n'aurais pas dû parler d'exceptions. Dans un système qui couvre tous
> les cas, il faut s'attendre à accepter quelques exceptions. Ce que je
> voulais dire, c'est plutôt qu'on ne peut pas construire un système
> solide en ignorant les cas marginaux. Un système qui ignore les cas
> rares est un anti-système. Un bon système traite tous les cas, quitte à
> accepter des exceptions documentées. Toute la difficulté d'une grammaire
> est de trouver l'équilibre entre une simplification abusive qui se paye
> pas une quantité astronomique d'exceptions, et une complexité
> astrologique.
> 
> 

Aucune "complexité" (enfin pas plus que dans toute marche) : soit
l'accentuation est nécessaire, et on accentue ; soit elle n'est pas
nécessaire pour lire les mots figurant dans l'intitulé, pris dans son
ensemble (l'ensemble de l'énoncé pouvant parfaitement désambiguïser un mot
qui, isolément, serait ambigu sans l'accent), et on n'accentue pas (99 % des
cas, je le répète).

Encore une fois, telle n'est pas la marche que je préconise : la marche
usuelle, en bonne typo traditionnelle (tout-cap. accentué ; cap. non
accentuées dans le texte courant) répond bien aux besoins habituels (et les
marches usant de cap. accentuées sont parfaitement admissibles). Mais elle a
l'immense avantage de démontrer, au jour le jour, que l'accentuation des
cap. N'EST PAS NECESSAIRE.

> -- 
> Cordialement,
> Thierry          
> 
>