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Message : Suppression du point d'abreviation [fut : Re: Gras]

(Jacques Melot) - Samedi 20 Septembre 1997
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Subject:    Suppression du point d'abreviation [fut : Re: Gras]
Date:    Sat, 20 Sep 1997 11:10:05 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

Le 19/09/97, à 13:34 +0000, nous recevons de Christophe Labouisse :

>On Thu, 18 Sep 1997, Jacques Melot wrote:

>> Par contre, toujours à mon avis
>> et c'est un point que je développerai dans un message séparé si nécessaire,
>> la suppression du point d'abréviation, une pratique qui nous vient, sauf
>> erreur, du Royaume-Uni, est à proscrire.
>
>Pourriez-vous effectivement développer. Peut être ne parlons nous pas de
>la même chose mais j'ai l'impression que dans le cas des sigles les
>points d'abréviation allourdissent l'ensemble. En particulier lorsqu'il
>s'agit d'acronymes ou de sigles connnus.
>
>Christophe Labouisse		Eurocontrol Experimental Centre
>e-mail: lab@xxxxxxxxxxxxxx	BP 15
>Phone:  +33 - 01 69 88 73 55	91222 Bretigny-Sur-Orge
>Fax:    +33 - 01 69 88 73 33	FRANCE



   Oui, en effet, je n'avais pas en vue les acronymes ni les sigles, déjà
traités ad nauseum dans les forums TYPOGRAPHIE et FRANCE-LANGUE.

   La pratique contre laquelle je m'élève est celle ? heureusement encore
peu répandue en France ? consistant à supprimer le point indiquant
l'abréviation lorsque celle-ci n'est pas interne au mot, par exemple à
écrire :

Donatien A F de Sade

J B A P M Haller

au lieu de

Donatien A. F. de Sade

J. B. A. P. M. Haller.

   J'ai, à vrai dire, du mal à trouver des exemples en français car,
heureusement, comme je le disais plus haut, ceux-ci ne sont pas encore très
fréquents. Peut-être, « cad » ou « c a d » (pour « c'est-à-dire ») ? (Pour
le moment, on note plutôt la tendance inverse consistant à mettre des
points en trop : « Dr » devient très fréquemment « Dr. ».)

   Aussi vais-je faire porter ma critique sur le suédois, car c'est dans
cette langue que j'ai trouvé les exemples les plus nombreux et les plus
divers. J'espère que cela donnera une bonne idée du « danger » qui nous
menace.

   Dans les textes suédois on rencontre de plus en plus fréquemment les
pseudo-mots « tom », « osv », « dvs », « mao », « from », j'en passe et des
meilleurs, qui ne figurent, et pour cause, pas dans les dictionnaires. De
quoi s'agit-il ? Ce sont, tout simplement, des abréviations de locutions
dans lesquelles on a supprimé les points indiquant qu'il s'agit
effectivement d'abréviations et où, de plus, l'espace entre les mots a été
supprimée. Le processus a été le suivant :

   « Och så vidare » (et ainsi de suite) a d'abord été abrégé en « o. s.
v. ». C'est l'abréviation traditionnelle à valeur de norme. C'est celle qui
doit être employée suivant l'usage typographique suédois.
   De même en ce qui concerne « till och med » (et même), « med andra ord »
(en d'autres termes), « det vill säga » (c'est-à-dire) et « från och med »
(à partir de) qui doivent être abrégés en  « t. o. m. », « m. a. o. », « d.
v. s. » et « fr. o. m. » respectivement, ce qui se fit uniformément jusqu'à
une date récente.

   Plus récemment, on a commencé à remplacer « t. o. m. » par « t.o.m. »
pour finir par adopter « tom », « m. a. o. » par « m.a.o », puis « mao »,
et de même pour les autres.

   Cette manière d'écrire est gênante, non seulement pour les étrangers
mais aussi pour tout lecteur naturel du suédois, par son caractère
distrayant lors de la lecture, car elle oblige en quelque sorte à
« décompresser » mentalement le signe perçu : quand vous rencontrez par
exemple « tom », cela se prononcerait normalement comme le français
« tome », mais votre cerveau doit réagir, détecter qu'il ne s'agit pas d'un
mot mais d'un signe d'une autre nature, puis remplacer ce signal par un
autre, « till och med ». Il suffit de lire le texte à haute voix pour
s'apercevoir que l'obstacle est bien réel. C'est là que réside la grosse
différence avec les sigles qui, eux, se prononcent comme ils s'écrivent
(comme ONU, UNESCO). J'ajoute de plus que cette abréviation (« tom »), ce
qui n'est pas pour simplifier les choses, coïncide avec un mot existant !
   En fait, cette manière d'abréger n'est vraiment pratique que pour celui
qui écrit, car il est évidemment beaucoup plus commode et rapide d'écrire
« osv » que « o. s. v. ». En français ce serait d'ailleurs encore plus
évident puisque le point n'est accessible qu'en majuscule sur le clavier
AZERTY classique (sauf chez les Canadiens, dont le clavier est pensé
intelligemment) et l'on sait combien il est désagréable d'écrire, par
exemple, « c.-à-d. » pour abréger « c'est-à-dire ». Fort heureusement, nous
disposons maintenant de macros qui nous dispensent d'avoir recours à une
telle gymnastique. Je pense donc que ce type d'abréviation est tolérable
dans des brouillons (où tout est tolérable de toute façon !) ou des travaux
en cours de rédaction qui seront rectifiés par des macros à la publication.

   J'ai l'impression que cette pratique est apparue en Angleterre (à moins
qu'elle ne vienne de Suède ?) et je ne vois rien qui puisse la justifier :
elle semble due essentiellement à la paresse.

   Dans des textes en latin, une abréviation telle que « e. s. p. », parmi
bien d'autres, peut être un obstacle à la compréhension. Il suffit de
s'abonner à un forum dont le thème est le latin pour s'en rendre compte :
de nombreux messages y sont des demandes d'aide concernant des abréviations
non comprises. Si les abréviations, par une hypothétique décision future
des éditeurs de lettres classiques, venaient à prendre l'apparence de mots
par suppression des points et des espaces, ce ne serait sûrement pas pour
améliorer la situation ! Même en anglais, sur l'Internet on voit des
abréviations du type IMHO, et bien d'autres, que l'on ne trouve pas dans
les dictionnaires. Seuls les gens introduits comprennent d'emblée.
   J'éprouve régulièrement cette difficulté dans différentes langues, comme
tout le monde je crois. La semaine dernière, par exemple, j'ai aidé un
Canadien qui tentait, pour des raisons professionnelles, de comprendre un
texte en suédois. Cette personne avait déjà obtenu une traduction de
quelqu'un ayant une certaine connaissance de la langue (« sa spécialité
était plutôt les langues vivantes »), mais cette traduction n'était guère
compréhensible ou était douteuse car le traducteur, justement, n'avait pu
reconstituer une abréviation que renfermait le texte en question (« anf.
st. »). Encore une fois, que serait-ce si, en plus, il fallait masquer les
signes qui indiquent que l'on a affaire à des abréviations ! Ce serait
d'autant plus malheureux que le suédois, contrairement au français, dispose
même d'un signe d'abréviation interne (:). Exemple : « socken » (paroisse)
est abrégé en « s:n » (appliqué à « Mme », en français, cela donnerait
« M:me »). Et bien sûr, je réponds avant que vous ne posiez la question :
on s'est attaqué aussi à ce signe et vous trouvez maintenant « sn » au lieu
de « s:n ». (Je suis bien placé pour le savoir puisqu'on me l'a imposé à
une époque où je n'avais pas conscience de ces questions, dans l'édition
originale suédoise d'un ouvrage dont je suis l'un des coauteurs. Ah les
vaches... me faire sombrer, moi, dans la barbarie !  Il faut rester
vigilant, même quand on dort...)

   La suppression des signes d'abréviation, notamment des points
d'abréviation, puis, étape logique ultime, la suppression des espaces entre
les abréviations composites, en augmentant la difficulté intrinsèque de
lecture due aux abréviations, accroît les difficultés de compréhension, en
particulier lorsque le texte est susceptible d'être utilisé par des
étrangers, donc dans un contexte international. En d'autres termes, cette
pratique est pénalisante et donc peu recommandable car elle exige de la
part du lecteur une complicité linguistique accrue afin de parvenir à un
même degré de compréhension.

   Meilleures salutations,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx


N. B.   Voyez aussi la contribution de Philippe Jallon qui précise la
différence entre les acronymes et sigles. (À noter que la situation n'est
pas la même en anglais : UCLA (on n'écrit pas U. C. L. A., sauf erreur de
ma part ; en tout cas on rencontre « UCLA ») se prononce « U, C, L, A » et
non « ucla ».) Les acronymes et sigles sont des racourcis pour des
groupements de mots à valeur de substantifs, ce qui n'est pas le cas des
exemples cités en suédois.