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Message : Re: et/ou

(Jacques Melot) - Vendredi 09 Janvier 1998
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Subject:    Re: et/ou
Date:    Tue, 11 Nov 1997 12:22:24 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 11/11/97, à 4:12 AM +0000, nous recevions de Jean Fontaine :

>>>C'est pourquoi, personnellement,  je pratique et/ou condamne l'emploi du
>>>«et/ou»...
>>>
>>>Jean Fontaine
>>
>>Permettez-moi de me livrer à un exercice pratique. En supposant
>>qu'elle ait un sens, ce qui est discutable, votre dernière phrase -- une
>>boutade de bon aloi qui fournit un bel exemple de ce qu'il ne faut pas
>>faire  [...]  En fait il y aurait beaucoup plus à dire sur cet exemple !
>>
>> Jacques Melot
>
>
>Il ne faut pas chercher à «résoudre» ma dernière phrase. C'était
>effectivement un exemple caricatural (et paradoxal?) de ce que j'entendais
>pas «faire hésiter le lecteur»...


   C'est comme cela que nous l'avons prise... et c'était un bon exemple !
On trouve fréquemment des textes au style « branché », qui ne manquent pas
d'utiliser « et/ou », et qui, une fois retraduits en français (quand c'est
possible !) ne signifient rien, ou signifient autre chose que ce que
l'auteur a voulu dire !  Souvent aussi, le texte traduit est plus court que
le texte initial, alors que les auteurs de tels textes justifient leur
style au nom de la brièveté, si ce n'est même de la simplicité. Jean-Pierre
Lacroux a tout dit hier dans son intervention qui a l'immense mérite d'être
à la fois brève, percutante et exhaustive  :

«Il permet surtout d'éviter la mise au clair de la pensée... ce qui est
«le comble du « pratique »...
«[...]
«
«Je crois que le souci stylistique existe chez les maniaques du
«« et/ou », mais il ne vise pas à éliminer les périphrases. Oh ! non...
«La preuve : leurs textes en sont farcis !  Leur quête est ailleurs : ils
«tentent de se conformer à un modèle surévalué.


>Et je suis tout à fait d'accord avec votre long exposé sur «et/ou».
>J'ignorais cette univesalité de la priorité du «ou inclusif» sur le «ou
>exclusif» dans les langues naturelles. Dans un monde idéal, ces langues
>devraient quand même utiliser deux mots différents pour exprimer ces deux
>notions.


   Mais c'est bien le cas. Le « ou » exclusif est exprimé par « entweder
[...] oder », « ou bien », etc., l'autre « ou » étant ipso facto
caractérisé. Ce qui est remarquable, et je pense que ce ne peut être
attribué qu'au caractère unique et universel de la pensée humaine, le
« ou » exclusif précède le « ou » exclusif, lequel apparaît comme non
typique, spécialisé. C'est d'ailleurs assez facile à comprendre :  la
pensée vague précède la pensée précise. Par ailleurs, une pensée
« imprécise » en ce sens que certains mots demandent a être complétés par
le contexte, a pour elle des atouts non négligeables :  elle permet, par la
flexibilité qui accompagne son imprécision, de décrire avec plus de liberté
et sans doute plus d'efficacité la réalité dans toute sa complexité et son
infinie « précision » intrinsèque. (Pour comprendre une réalité il faut
sortir de celle-ci et utiliser un métalangage de nature différente. En
mathématiques, le continu se décrit fréquemment à l'aide du discontinu et
réciproquement. De même, on ne peut comprendre la mentalité des autres en
n'ayant que l'expérience de la sienne propre. Etc.) Le « ou » des langages
naturels, qui marque sans plus l'alternative, est infiniment précieux et
permet des raccourcis qui collent exactement à la pensée.

   La pseudo-conjonction « et/ou » est strictement identique au « ou » non
exclusif, lequel est le sens de base du « ou » du langage courant.

   Rappelons d'abord la table de vérité de « ou bien ».

   Soient A et B deux propositions (au sens de la logique mathématique).

   A ou bien B n'est vraie que si A est vraie et B fausse ou, inversement,
si A est fausse et B vraie. A ou bien B est fausse si A et B sont
simultanément vraies ou simultanément fausses. On a donc l'équivalence :

   A ou bien B <=> (A et non B) ou ((non A) et B).

   La table de vérité de « ou » étant elle :

   A ou B est vraie si A est vraie et B fausse, est vraie si A est fausse
et B vraie, est vraie si A est vraie et B vraie. Elle n'est fausse si A et
B sont fausses simultanément.

   Passons à « et/ou ». On a, par définition même :

   A et/ou B <=> (A et B) ou (A ou B)

   Si A est vraie et B fausse, A et/ou B est vraie car si A est vraie, A et
B est fausse mais A ou B est vraie et donc l'alternative (A et B) ou (A ou
B) est vraie. De même si B est vraie et A fausse, par symétrie. Si A et B
sont vraies, (A et B) ou (A ou B) est évidemment vraie et, de même, A et/ou
B est vraie. Enfin, si A et B sont fausses, alors A et B est fausse, A ou B
est fausse, et donc (A et B) ou (A ou B) est fausse, donc A et/ou B est
fausse.
   En d'autres termes, la proposition A et/ou B possède la même table de
vérité que A ou B, elle est donc logiquement équivalente.

   Bien sûr, il s'agit là de logique mathématique, avec toute la réduction
que cela implique. Dans la réalité, des considérations d'une autre nature,
psycholinguistiques ou autres, peuvent intervenir. Mais il ne faut pas
oublier que les sectateurs du « et/ou » utilisent, explicitement ou
implicitement, cette pseudo-conjonctions au nom de la rigueur scientifique
et que, ci-dessus, je n'ai fait que me placer sur le terrain même qu'ils
ont choisi.


>Je crois par exemple que dans certains langages informatiques on
>emploie OR et XOR respectivement. Mais il semble que les langues naturelles
>arrivent très bien à s'en passer... ou arrivaient, jusqu'à ce que les
>informaticiens, avec leur and/or, s'en mêlent et nous emmêlent!


   C'est même assez grave :  un petit sondage m'a montré que bien souvent
les gens ne savent plus au juste ce que signifie « ou », surtout lorsque
l'on pose la question en leur rappelant l'existence d'un « et/ou » (que
dans la plupart des cas ils ne comprennent pas, d'ailleurs).

   À ce propos, je ne peux m'empêcher de reproduire la succulente remarque
faite hier par Thierry Bouche :

>pour la petite histoire, les abus de et/ou  peuvent conduire à de bien
>étranges situations. un post structuraliste ayant tellement mannié
>cette « super-conjonction » en a mis dans des réglements d'examens de
>licence. On a été obligé de recevoir certains étudiants à cause de
>l'incertitude  totale dans laquelle nous nous sommes trouvés : son
>cas relève-t-il du et, du ou, ou de la barre oblique ?

>
>Jean et/ou Fontaine

   Salutations amicales,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx