Archive Liste Typographie
Message : Re: retour de vacances (fut Re: Lectures de vacances... ;->

(caroline LEDUC) - Lundi 03 Août 1998
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: retour de vacances (fut Re: Lectures de vacances... ;->
Date:    Mon, 3 Aug 1998 02:27:49 +0200
From:    "caroline LEDUC" <carolineleduc@xxxxxx>

-----Message d'origine-----
De : Thierry Bouche <Thierry.Bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>
À : typographie@xxxxxxxx <typographie@xxxxxxxx>
Date : vendredi 31 juillet 1998 19:41
Objet : Re: retour de vacances (fut Re: Lectures de vacances... ;->


>» > [...] d'autres ont évoqué ce dogme (que je prends avec des
>» >pincettes) selon lequel l'idéal est de composer un texte avec un
>» >caractère de son époque (un peu la philosophie des baroqueux transposée
>» >en typo). etc....

Une petite note retardataire sur ces problèmes "adaptatifs" intéressants;
l'opération dite de translation (qui est au temps ce que la traduction est à
la géographie) est un impératif de publication, et ceci est vrai pour la
typographie. J'ai souvent été choqué, par exemple, de l'emploi d'hébraïsmes
et d'hellénismes simultanés dans la traduction de la Bible par Chouraqui; sa
traduction extrêmement littérale, si elle accouche d'un monument de poésie,
donne en revanche un effroyable pudding trans-historique inutilisable pour
la prière, le recours quotidien du croyant, ou un théologien. Mais ce n'est
pas ça, somme toute, qui est choquant: c'est l'absence totale de
translation, qui nous donne un livre dont la langue nous est extra-terrestre
(comme ces translations de Rabelais "à-moitié" modernes). Rendre un service
à la lecture contemporaine de la Bible serait de nous la donner avec au
moins aussi peu de bizarrerie que l'arraméen pouvait en présenter pour un
habitant de la Palestine au premier siècle de notre ère.
(L'exemple choisi par Thierry Bouche me semble assez mauvais, s'il
s'agissait de nous montrer un paradoxe: en effet Arvo Pärt est -pardonnez
moi l'expression- un compositeur post-moderne et sa façon de composer est
déjà imprégnée de ce recours aux formes anciennes; l'adjonction
d'instruments anciens pour l'interprétation n'est, somme toute, qu'une
coquetterie supplémentaire. faites subir le même traitement aux quators à
corde de Taïra et ce sera une autre paire de manches. Je pense).
De toute façon, il faudrait diviser les priorités en suivant
approximativement les catégories littéraires:
la poésie est -depuis toujours- soumise à un traitement formaliste par ses
impératifs structurels/rythmiques, elle est une véritable invitation à
l'habillage typographique le plus "visible", à l'invention débridée (ce qui
vaut à mon sens autant pour une ballade de Villon que pour les poésies Zaoum
de Khlebnikov); ses enjeux -le fond de sa pratique- ont en effets bien moins
changé que ses formes, et il s'agit toujours, plus ou moins, de ce qu'on
pourrait définir comme une directe émanation de l'âme (au sens tantôt
romantique, tantôt métaphisique): ce serait avouer que serrée autour de
l'identité d'un seul elle est inactuelle (que serait "l'actualité" de l'âme
de Pouchkine?) et que le plus grand respect qu'on puisse montrer à son égard
est d'inventer avec elle. Les poètes ont depuis longtemps d'ailleurs fait
main basse sur ces problèmes avec, nous l'avons déjà évoqué dans cette
liste, plus ou moins de bon sens.
On peut imaginer en revanche jusqu'où on peut -ne pas- aller avec la mise en
forme d'un essai. Mais il reste, dans cette catégorie même, des problèmes
typographiques souvent mal posés par les éditeurs (titres et inter-titres,
choix de positionnement et de corps des notes, filets ou pas, et bien
d'autres choses encore) et d'autres jamais posés (le fameux "sens" des
typographies associé à la pensée qu'elles habillent). Peut-on, si on dirige
une collection philosophique par exemple, mettre indifféremment en forme de
la même manière Nietsche et Wittgenstein? Je ne crois pas.
A la frontière de ces deux catégories, le roman semble hériter des deux
problèmes à la fois, formel et intellectuel. Dans "Compact", Maurice Roche
tentait d'apporter une réponse cohérente par un dispositif qui systématisait
l'emploi des italiques ou des graisses selon le temps et le panorama de
l'action: ainsi, il pouvait dispenser son roman d'un nombre incroyable de
liens panoramiques et tailler dans le récit à l'emporte-pièce sans jamais
perdre le lecteur (il existe aussi une version de ce roman où les couleurs
tiennent -assez malheureusement à mon sens- le rôle de ces variations). Ce
n'était, à mon avis, qu'un début; et je crois que si Roche s'était adjoint
les services d'un typographe, le résultat n'en aurait été que meilleur, et
probablement moins naïf.
Il est clair que si toutes ces interrogations persistent et n'ont que si peu
de réponses, c'est tout bonnement parce que typographes et écrivains ne se
rencontrent pas. Les principaux responsables en sont, à mon avis, les
éditeurs pour qui tout ça n'est que caprice d'auteur ininsérable dans le
sens d'une collection, d'une ligne éditoriale, que sais-je encore: présentez
ce genre d'exigence ou simplement de curiosité à l'égard de la forme
définitive de votre ouvrage à un éditeur, il vous raccompagnera à la porte
du bon sens en vous suggérant de vous occuper de votre métier d'écrivain, et
seulement de celui-ci.