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Message : et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)) (Jacques Melot) - Mercredi 17 Mars 1999 |
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Subject: | et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)) |
Date: | Wed, 17 Mar 1999 00:15:17 GMT |
From: | Jacques Melot <melot@xxxxxx> |
Le 16/03/99, à 13:49 -0000, nous recevions de drillon : >At 13:08 16.03.99 +0100, you wrote: [...] >> >>Je pense qu'on va vraiment s'amuser si on approfondit la question de >>la barre oblique. J'ai jeté un oeil hier soir au Drillon, qui lui >>trouve un je-ne-sais-quoi d'affecté, de précieux, voire de >>gracieux. Il a visiblement la nostalgie des années 70, quand il >>fallait avaler 150 sa/sé par page. Il finit quasiment par un envoi à la >>gloire du... et/ou ! >> >>Or, cette liste héberge le contempteur absolu du et/ou, son ennemi >>juré, qui lui a déjà consacré plusieurs centaines de pages virtuelles >>& rageuses, j'ai nommé J. Melot. >> >>Quels seront vos témoins ? >> >>Th. B. >>-- >>Messieurs les typographes, >>Placez donc ici, je vous prie, le trait final. >> F. P., le pré. [Jacques Drillon :] >Et/ou est moche, mais irremplaçable. C'est moche et, par bonheur, c'est remplaçable. Mille ans de littérature universelle, tant savante que romanesque, sont là pour vous le prouver. Comme je l'ai déjà écrit : « [...] je me contenterai de remarquer que ni Goethe, ni Shakespeare, ni Victor Hugo, ni Hemingway, ni Dostoïevski, n'ont jamais eu recours à « et/ou » et l'on n'a nulle part l'impression que l'usage de ce symbole eût amélioré en quoi que ce fut leurs écrits, lesquels ne comportent aucune ambiguïté attribuable à l'usage du « ou » de tout le monde. La même remarque s'étend à toutes les publications savantes, techniques et juridiques avant 1950. » Rien que cela donne déjà à réfléchir, mais ce n'est pas tout. En fait, la conjonction « ou » marque l'alternative sans plus, sans idée d'inclusion ou d'exclusion a priori. Lorsque « ou » a un sens exclusif et qu'il est nécessaire de le préciser, ce qui arrive, on emploie une tournure appropriée (en français, [...] ou bien [...], soit [...] soit [...], en anglais either [...] or [...], en allemand entweder [...] oder [...], etc.). De même, lorsque « ou » a un sens inclusif et qu'il semble nécessaire de le préciser, ce qui n'arrive pas très souvent si l'on maîtrise ne serait-ce que moyennement bien sa langue maternelle, on tourne sa phrase en faisant en sorte d'être plus explicite. Cela peut donner, par exemple, « A ou B, éventuellement les deux » (si du fait du contexte, un doute pouvait persister). Lorsque le restaurateur écrit « fromage ou dessert » sur le menu, il s'agit d'un usage abusif, ne serait-ce que parce que ce « ou », à y regarder de plus près, n'est pas non plus exclusif, contrairement à ce que l'on prétend souvent un peu rapidement : vous avez en effet aussi la possibilité de ne choisir ni le fromage ni le dessert (posez la question au restaurateur, vous verrez !). Le fait que l'on précise les cas où la conjonction « ou » a un sens exclusif par l'usage d'une (ou de plusieurs) tournure fixée (either [...] or [...], etc.) a en pratique pour conséquence que le « ou » se voit communiquer la valeur de « ou » inclusif par défaut. Vous me direz alors, mais dans les cas où, comme vous le reconnaissez, on ressent la nécessité de préciser le caractère inclusif d'un « ou » (du fait d'un contexte insuffisant), pourquoi ne pas adopter « et/ou » ? Vous avez fourni un des éléments de réponse à ma place « c'est moche », pendant que moi j'ai fourni l'autre et continue à le faire, ci-dessous. C'est non seulement inutile et moche, mais encore dangereux. En effet, l'usage massif de cette pseudo-conjonction dans les pays anglo-saxons a eu un effet profondément perturbateur sur ce qui, en définitive, est une projection dans le langage humain d'un des mécanismes fondamentaux de la pensée logique humaine. Désormais, vous trouverez des personnes, notamment aux États-Unis, qui vous soutiendrons mordicus et en toute bonne foi que « ou », en soi, par définition, à le sens de base d'un alternative exclusive - ce qui est objectivement faux (le caractère sinon non exclusif du moins indéterminé a priori du « ou » est même d'un des invariants culturels les plus stables d'une culture à l'autre) et qu'en l'absence de « ou » inclusif - ce qui est bien entendu une constatation fausse issue d'une prémisse fausse -, il est nécessaire d'introduire une nouvelle conjonction, à savoir « et/ou ». Non seulement ceci est grave en soi, mais encore lourd de conséquence, car cela ne peut qu'aboutir à un état de confusion, notamment à rendre opaque les écrits passés, spécialement les écrits savants ou didactiques (et, peut-être, surréalistes des fictions romanesques). Voici un exemple réel (botanique). Dans une monographie en plusieurs volumes, toujours en cours de parution (4 vol. parus pour le moment), que je publie en collaboration avec un norvégien et trois suédois, la Cortinarius, flora photographica, nous avons une clé dichotomique de détermination (dans le vol. I), comme cela est fréquent en histoire naturelle. Vers le début de la clé, vous trouverez : a) Chapeau et stipe typiquement visqueux ; lorsque le stipe ne l'est que peu, la cuticule piléique OU la chair sont amères....... subg. Myxacium (p. 39) a) [...] Il est parfaitement clair que si l'on attribue à « ou » un sens exclusif, on risque d'aboutir à une détermination fantaisiste. En effet, il existe des Myxacia à stipe peu visqueux chez qui la cuticule piléique est tout autant amère que la chair. L'altération du sens de « ou » sous l'action de « et/ou », a donc des conséquences préoccupantes. De même dans l'édition originale (en suédois) : a) Hatt och fot slemmiga. Ibland är foten bara svagt slemmig, men då är hatthuden ELLER kötet beskt........ subg. Myxacium dans l'édition allemande : a) Hut und Stiel schleimig. Stiel gelegentlich nur schwach schleimig, dann aber Huthaut ODER Fleish bitter....... subg. Myxacium et même dans l'édition anglaise (l'ouvrage est publié simultanément en quatre langues) : a) Cap and stem glutinous. Sometimes the stem may be only faintly viscid, but then the cap cuticle OR the flesh tastes bitter...... subg. Myxacium. Nulle part, pas même en anglais on ne voit apparaître « et/ou » (« och/eller », « und/oder », « and/or », respectivement). On peut encore insister sur son caractère en quelque sorte contre nature. Isolément, la pseudo-conjonction « et/ou » se présente, certes, sous forme d'une opération logique aisément compréhensible. Toutefois, aussi étrange que cela puisse paraître, cela ne correspond pas à une opération spontanée élémentaire de la pensée humaine. Pour s'en apercevoir, il suffit de lire un texte où cette pseudo-conjonction est utilisée plusieurs fois à intervalles rapprochés. Il faut alors relire à plusieurs reprises le texte pour arriver, au prix d'un effort volontaire qui brise la spontanéité de la lecture - rien que cela doit suffire à un typographe ! -, à comprendre ce que l'auteur a voulu dire, si toutefois il ne s'est pas lui-même trompé, ce qui arrive effectivement assez fréquemment, du fait même de cet usage anti-naturel. Il existe, par exemple, un article du Code international de nomenclature botanique dans lequel « et/ou » est utilisé à trois reprises sur un intervalle de moins d'une ligne (il s'agit d'un ouvrage petit in-4°, composé en Times 12 points). Quand on a fini de démêlé cela, c'est pour s'apercevoir de l'inanité du texte... ou presque. En tout cas, de sa complexité ridiculement inutile. Il y a aussi des aspects psycho-sociologiques. Comme l'a dit si bien Jean-Pierre Lacroux, le 10 novembre 1997 : >Il permet surtout d'éviter la mise au clair de la pensée... ce qui est le >comble du « pratique »... >(Le reste de votre message montre que nous sommes d'accord sur ce point). > >Je crois que le souci stylistique existe chez les maniaques du « et/ou », >mais il ne vise pas à éliminer les périphrases. Oh ! non... La preuve : >leurs textes en sont farcis ! Leur quête est ailleurs : ils tentent de se >conformer à un modèle surévalué. > >Cordialement, >Jean-Pierre Lacroux et moi, de mon côté : Enfin, et ce n'est sûrement pas la moindre raison, le « et/ou » fait « scientifique », « sérieux » ou « introduit », et appartient, au même titre que le fait d'émailler son discours de mots anglais ou d'anglicismes, à la panoplie des armes linguistiques que des minorités « éduquées » -- à vrai dire surtout complexées -- emploient pour se distinguer d'autres groupes regardés comme peu ou moins prestigieux. Je me contenterais de ces quelques mots, vous renvoyant, pour plus de détails, à mes interventions laissées ici et là sur l'internet, notamment dans FRANCE-LANGUE et dans TYPO-L (le forum de typographie basé en Irlande), dans TAXACOM (le forum biologique de l'université de Berkeley, Calif.) et même dans le présent forum TYPOGRAPHIE (avec de courtes, mais oh ! combien percutantes remarques de Jean-Pierre Lacroux, une conversation avec Jef Tombeur, etc.). Les pays francophones sont relativement peu contaminés par cette mode. Pour une fois que nous conservons un avantage sur le monde anglo-germanique, n'allons pas le gâcher ! Voici des liens vers quelques messages archivés : http://listes.cru.fr/arc/france_langue@xxxxxxxxxx/1997-11/msg00302.html http://listes.cru.fr/arc/france_langue@xxxxxxxxxx/1997-11/msg00290.html Quand à ce qui suit, c'est une autre affaire. Très intéressant. Une simple remarque préliminaire : si l'usage de la barre nous mène à une situation pareille, avec recours à un expert pour décider de son sens lors d'une procédure, c'est bien la preuve éclatante qu'il ne faut pas s'en servir pour autre chose que pour les fractions. >Qu'y faire? Quant à la barre oblique, >et à son sens d'attelage ("et", "avec", "en même temps que"), je me >rappelle avoir été appelé comme expert (!) dans un procès: un escroc avait >encaissé un chèque en rajoutant son nom à celui du bénéficiaire. Ainsi: >bénéficiaire officiel/nom de l'escroc. La somme, virée par la banque sur le >compte de l'escroc, avait été dépensée depuis longtemps. Il fallait donc >établir la responsabilité de la banque, de manière qu'elle rembourse le >bénéficiaire lésé. On me demandait de préciser le sens de la barre oblique: >était-ce "ou" ou "et"? J'ai dit "et". Il aurait donc fallu, selon moi, que >le chèque soit endossé par les deux bénéficiaires - ce qu'il n'était pas, >évidemment. La banque a été déclarée coupable d'avoir encaissé le chèque >signé à moitié. Elle a remboursé. (Et j'attends toujours mon pot-de-vin!) >(Ceci pour ajouter à la jurisprudence...) >Drillon. >jacquesdrillon@xxxxxxxxxx Et dans « c/o » que veut dire / : et ? non, ou ? non, sur ?, non, avec ? non, par ? non. Quoi alors : RIEN ! Salutations amicales, Jacques Melot Propriété intellectuelle : Jacques Melot, 1999.
- Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ..., (continued)
- Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ..., drillon (16/03/1999)
- Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ..., Jacques Melot (16/03/1999)
- Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ..., Jacques Melot (16/03/1999)
- et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Jacques Melot <=
- Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Lacroux (17/03/1999)
- Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Pommereau Franck (17/03/1999)
- Re: Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Thierry Bouche (17/03/1999)
- Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Pommereau Franck (17/03/1999)
- Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Lacroux (17/03/1999)
- Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)), Bernard Lombart (17/03/1999)
- Re: et/ou : Re (fut Re: Boxe (fut Re: Re: Édition & qualité ...)):, Lacroux (17/03/1999)