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Message : Re: Deux fonctions pour un document

(Philippe Jallon) - Mardi 12 Octobre 1999
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Subject:    Re: Deux fonctions pour un document
Date:    Tue, 12 Oct 1999 20:27:05 +0200
From:    Philippe Jallon <panafmed@xxxxxxxxxxx>

[Attention au champ « Reply-To: », mal positionné...]

Le 12/10/99, Nicolas ESPOSITO écrivit :

>J'aimerais revenir sur un point qui me dérange. J'ai lu sur la liste que le
>maquettiste d'un journal devait être capable de modifier le contenu d'un
>texte pour des raisons de technique typographique. Sans même parler du
>respect de l'auteur, je vois là une confusion entre deux fonctions bien
>distinctes : la fonction autoriale et la fonction éditoriale. Toutes les
>deux contribuent à la création d'un document : la première écrit le texte,
>la seconde se charge de le présenter.

En l'occurrence, le travail du maquettiste ressortit à la fonction
éditoriale. C'est un principe admis par tous en presse écrite... quel que
soit le (manque de) talent du maquettiste. Dans le monde du livre, ça peut
se discuter.

>Comment un maquettiste pourrait avoir conscience de l'impact de ses
>modifications sur le sens du texte s'il ne contacte pas l'auteur ? «
>Enseignent-chercheur » est un bon exemple. Si un maquettiste remplace ce
>titre par « universitaire », une bonne partie de l'information est perdue.
>En effet, « enseignent-chercheur » désigne un poste particulier au sein
>d'une université. Cela ne désigne ni un professeur ni un doctorant.

Un « bon » maquettiste -- du moins en presse écrite, mais je suppose que
cela vaut aussi pour d'autres domaines -- est censé cumuler deux critères :
1 - ne pas être un demeuré ;
2 - être capable, lui-même, dans certaines conditions, d'être un « bon »
auteur (ou journaliste).

D'accord, les « bons » maquettistes ne courent pas les rues. Et quand ils
courent, ils ont rarement cinq pattes... :-D

Concernant le point 1, seul un abruti remplacerait « enseignant-chercheur »
par « universitaire ». En revanche, le maquettiste (dans bien des cas, il
peut aussi s'agir du secrétaire de rédaction qui doit lui-même se coltiner
la maquette, ou encore du secrétaire de rédaction qui corrige la copie
directement à l'écran) serait fondé à reformuler, pour les besoins de la
maquette, certaines phrases ou parties de phrases. Exemple : « ... il est
généralement admis que les enseignant-chercheurs sont au nombre de 3 258
dans cette académie ... » pourrait tout aussi bien se lire « ... on estime
généralement que cette académie compte 3 258 enseignants-chercheurs ... ».
Rien de bien méchant là-dedans... mais quand ça permet d'éviter une césure
désastreuse ou une catastrophique élasticité de la ligne, ça sauve la vie !
Dans mon défunt canard (avec des justifs courtes), j'ai maintes fois
trituré des phrases -- pourtant fort correctes -- afin d'éviter le pire...

>D'où ma question : une bonne maquette ne serait-elle pas celle qui sait
>présenter le mieux possible un texte tel qu'il est fourni ?

Hormis de rares exceptions, les maquettes sont soumises à des contraintes
préexistantes : format de page, marges, nombre de colonnes, justification,
choix des polices et de leurs attributs, budget, etc.

Supposons qu'un auteur (un enseignant-chercheur, par exemple;-))) m'apporte
son oeuvre et me donne budget illimité et carte blanche sur tous les
paramètres. Certes, je pourrai alors effectuer certains choix de manière à
mieux répondre aux exigences prévisibles de son texte (format de page,
polices, interlignage, justification, nombre de colonnes, etc.). Cela dit,
il arrivera toujours un endroit ou un autre où les choix retenus se
heurteront, ne serait-ce que sur une seule ligne, au grain de sable qui
enraye la machine. Et là, il faudra forcément biaiser par rapport au texte,
ou alors rompre l'harmonie graphique prédéfinie.

Dans le cas d'un texte à vocation littéraire, il est évidemment préférable
d'en référer à l'auteur. Mais pour tout autre texte, même très technique,
la langue française offre suffisamment de ressources pour qu'on puisse s'en
sortir honorablement sans avoir fait Polytechnique.

Cela présuppose que le maquettiste ait une certaine maîtrise de la langue.
Euh... c'est pas garanti, ça ! :-D

>En attendant vos réponses personnelles, je ne peux m'empêcher de vous
>donner la mienne : oui. Le travail du maquettiste permet au lecteur
>d'accéder - le plus agréablement possible - à la production de l'auteur. Et
>si certaines situations nécessitent de faire un choix entre la beauté
>typographique et le contenu, je n'hésite pas un seule seconde et je donne
>la priorité au texte.

J'ai bien peur que le « lecteur moyen » ne préfère plutôt la première
solution... ;-)

>Mais ne vous méprenez pas, je ne suis pas non plus pour le sacrifice de la
>qualité typographique au profit du contenu. Je considère simplement que
>quand on parle de la recherche de la perfection en typographie, on ne
>devrait jamais oublier de prendre en considération le respect du texte
>orginal.

L'un n'est pas incompatible avec l'autre... sous réserve de mutuelles -- et
mineures -- concessions.

>Pour finir ce long monologue, voici une petite annecdote. J'ai publié en
>septembre un article dans une revue informatique « grand-public ». Mon
>texte respectait les principales règles du « lexique ». À la publication,
>mon texte avait été intégralement repris, sans aucune modification. Par
>contre, j'ai été choqué de voir que toute la typographie avait été corrigée
>à l'envers ! Les guillemets français étaient devenues des guillements
>droits ; les petites majuscules, des minuscules ; les énumérations
>affichaient maintenant des majuscules et des points, etc.

A priori, rien de choquant là-dedans : le maquettiste n'a fait
qu'harmoniser un texte à la marche maison.

Supposons qu'un pigiste ait proposé à mon canard un texte sublime, sans la
moindre faute d'orthographe, illuminé par une maîtrise typographique sans
faille. Un texte de Jean-Denis Rondinet ou de Jean-Pierre Lacroux, par
exemple... :-D
Eh bien, ce texte, aussi parfait qu'il eût été, je l'eusse cadencé à la
marche de mon journal. Lacroux écrit « UNESCO » et « C.G.T. » ? Qu'à cela
ne tienne, ma feuille de chou carbure au mode « Unesco » et « CGT ».
Rondinet utilise des guillemets anglais, des tirets cadratins et des URL
qui commencent par « www » ? De même, j'aurais fait franchir la Manche aux
guillemets, raccourci les tirets et ajouté « http:// » en tête des URL...
Et cela, quel qu'en eût été l'auteur, journaliste ou enseignant-chercheur,
même meilleur (mais c'est impossible) que nos JiPé et JiDé internationaux !

>Pourtant, le
>maquettiste n'avait qu'à faire un « copier-coller » vers son logiciel de
>mise en page. Et bien non, cela ne lui a pas suffi, il a fallu qu'il
>détruise méthodiquement la typographie. Comme s'il était persuadé - tout en
>n'ayant jamais fait d'études sur la question - qu'il détenait un quelconque
>savoir en la matière...

Le maquettiste en question n'a pas détruit, il a construit. Ou, plus
exactement, reconstruit. En faisant entrer un texte extérieur dans le moule
interne à sa maison.

Et en général (dans la presse informatique comme ailleurs), c'est rarement
le maquettiste qui procède à certains choix typographiques fondamentaux.
Bien souvent, c'est le fait d'un hiérarque qui n'a aucune compétence en la
matière : un patron de presse, un rédacteur en chef ou quelque chef de
service à l'ego envahissant... ;-)

--
Philippe Jallon
AfricaMediaNews
http://www.panos.sn/f/bulletins/actus/index.html