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Message : Re: Ponctuation, lit. comp. (était : 2 petites questions)

(Jef Tombeur) - Dimanche 15 Octobre 2000
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Subject:    Re: Ponctuation, lit. comp. (était : 2 petites questions)
Date:    Sun, 15 Oct 2000 16:37:12 +0200
From:    "Jef Tombeur" <jtombeur@xxxxxxxxxxxxx>

----- Original Message -----
From: "Alain Hurtig" <alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx>
Subject: Re: 2 petites questions

| En Unicode, ça donne #150 pour le cadratiné et #151 pour le
demi-cadratiné.
|

Soit - et - ? Tout le monde aura rectifié de lui-même... Et inversé.
J'utilise le 150 pour les incises (avec virgule postérieure s'il y a
occurrence de virgule(s) avant le premier, sans s'il n'y en a pas,
suivant en cela les conseils reçus naguère sur cette liste) et
j'aurais tendance à utiliser le 151 en lieu et place des points de
suite (., soit 133), à l'anglo-américaine, pour marquer une rupture du
dialogue (un interlocuteur en interrompt un autre).
L'utilisation du 151 à l'anglo-américaine pour les incises (pas
d'espace avant ou après) me chagrine, et systématiquement en lieu et
place des points de suite, plus encore. En tant que signe de rupture
d'un dialogue (entre guillemets), c'est assez séduisant ; moins à mon
goût en l'absence de guilles...
Comparer (dans A Friend of the Earth, Tom Coraghessan Boyle, Viking,
2000) :

"Los edificios, they, they-"
"What edificios?" I'm up now, pulling on my jeans, ETC.
(...)
"Los, los condos, and Rancho Seco-them too-they are what I think is
falling down, ETC."

et

    Fred (short and bald, ETC.): But, Your Honor, (...) of my clients'
rights to free speech and assembly-
    Judge Duermer (reading from a sheet in front of him, (...):
Assault on a peace officer, resisting arrest, ETC.

J'aurais tendance à traduire :

"Los edificios, ils, ils-"
"Edificios... Lesquels ?" Debout, rajustant ETC.
(...)
"(...), et ceux de Rancho Seco - eux aussi - je crois que c'est ceux
qui, ETC."
(encore que, présupposant que T.C. Boyle laisse entrevoir des formes
originales calquées sur l'espagnol du Mexique, je tenterais peut-être
aussi : ceux de Rancho Seco, pareil, je crois que, ETC., ou encore, de
Rancho Seco, même, je crois ; selon que l'on "entend" un tambien, un
estos tambien, ou un de mismo, ou ce qu'il vous plait d'imaginer).
En revanche, si "(...), ils, ils-" me semble approprié, je ne sais pas
"interpréter" and assembly- qui pourrait devenir soit et de réunion-
(rupture) ou et de réunion. (points de suite, les mots suggérés par ce
(...) que j'utilise me permettant d'imaginer que l'avocat les ait
"employés" ; par un ton, un regard, tout ce qu'un lecteur, un
traducteur, peut imaginer en recréant mentalement la scène : il est
ici difficile d'imaginer si l'emploi du 151 ressort d'une convention
typographique de traitement des dialogues, d'une réelle rupture, le
juge interrompant l'avocat, ou non, l'avocat marquant une pose
incitant le juge à pondérer son argument).

L'incise courte entre - et - me semble plus "insistante", "éloquente",
voire "dramatique" que l'incise entre , et , qui peut être plus
appropriée du point de vue du rendu du rythme. En revanche, j'utilise
systématiquement les 150 pour l'incise longue de précision, de rupture
d'un discours explicatif (de démonstration d'un point de vue, d'une
opinion), soit quand le premier 150 vaut élision d'un mot tel que
"quoique", ou "cependant" (ou expression "pour autant", "par
ailleurs", etc.), marquant une digression.

Le 151 valant point-virgule, à l'anglo-américaine (soit une phrase
scindée, la seconde partie valant incise rejetée, et le dernier 151
suivi d'un point, soit "-. Début de phrase suivante", me plait
(visuellement et quant à ce qu'il véhicule de "sens", plutôt assez. Ce
qui veut dire que je lui attribue une valeur supérieure, d'emphase,
par rapport au ; (point-virgule).

Encore qu'il n'est pas sûr que j'utiliserais un système de ponctuation
(donc cohérent) identique pour traduire One Flew over the Coockoo Nest
(pas sûr de l'ortho. du coucou sur le moment) et A Friend of the
Earth. Soit dit en passant, la version Penguin de One Flew (petit
corps, petit format) est visuellement dérangeante par rapport à
l'original Viking (c'est très subjectif, et ma perception est bien
évidemment "continentale européenne").

Par mél, via le panneau d'affichage (MB) de son site, Tom C. Boyle
m'assure qu'il veille très scrupuleusement à sa ponctuation, omettant
cependant de me dire s'il préférerait disposer d'un système plus
complexe, à la française. En privé, Mary, autre lectrice assidue du
même auteur, m'exprime son attrait pour la ponctuation à la française
(voir ci-dessous ; je laisse la quasi-intégralité du message, qui me
semble intéressante en raison justement du nombre de caractères de
ponctuation).

"I am sure I use punctuation incorrectly quite often; however, I do
like to see it used correctly.  Most of the people on this MB are
highly educated, and their messages make sense. But if you visit
another, more "general public" type message board, you will have a
hard time.  As a pharmacist, I was interested in something Meredith
Viera was saying one day on "The View" (ABC daytime talk show with
Barbara Walters et al.).  When I visited that MB, I was appalled to
read some of the entries there.  The best part was some of the
"handles" these people had chosen for their message board monikers.
However, the messages themselves were hard to decipher- not only was
punctuation thrown to the wind, but also grammar, and even
subject-verb agreement.
I like all that extra space around the French punctuation.  It seems
to parallel a certain "space" given to one another in European culture
(not so in-your-face as here).  My only other comment about
punctuation is that I like commas.  I like the old use of commas, to
set off descriptive phrases or to designate a naturally-occuring pause
for breath if/when the passage is read aloud.  Most writers nowadays
drop commas where I would like to see them.  The stream-of-
consiousness style that has been adopted not only by fiction writers,
but even journalists, makes me feel tired.  The comma seems to give me
a little mental break and the reassuring feeling that it is not a
run-on sentence.  Well, I guess as a health care person, my opinion on
punctuation is sort of suspect."

On le voit, Mary considère que l'espacement instaure une sorte de
"distance", de respect de l'espace vital de l'autre (là, du lecteur,
du destinataire). Et regrette une moindre utilisation des virgules
dans la prose contemporaine. On relèvera aussi que la locutrice
considère que sa formation (profession de santé) la sensibiliserait
davantage à l'utilisation de la ponctuation (qui lui évoque une
"respiration" plus harmonieuse, plus "saine" ). Elle remarque aussi un
"effet de mode".

Mon attrait pour l'utilisation du 151 correspondrait-il à un autre
effet de mode ? À une contamination ? Peut-être. Et alors ?
La qualité expressive de la ponctuation ne doit pas être négligée...
Je relève, dans un projet de Jean Méron pour un manifeste de
l'assocation La Convention typographique, intitulé "Pour une
harmonisation de l'écriture du français", cette conclusion : "la
langue est faite pour l'homme et non l'homme pour la langue." Elle
suit immédiatement une remarque de Désiré Greffier (dans Les règles de
la comp. typo, Arnold Muller, 1903) : typographes et correcteurs ne
devraient pas créer "des distinctions et des exceptions dont
l'intention - géniale sans doute - échappe presque toujours au
lecteur."
Dont acte pour ces deux appréciations. Elles sont un peu
contradictoires. Je crois que sur la longueur, la durée de lecture
d'un ouvrage, le lecteur perçoit un usage cohérent de la ponctuation.
La ponctuation confère une singularité au discours et "la langue est
faite pour l'homme". Je pense aussi qu'une harmonisation de la
transcription courante des discours est une bonne chose et que
certaines "distinctions et exceptions" sont superflues. En fait, pour
une harmonisation, il faut pouvoir distinguer ce qui introduirait un
contre-emploi, générateur de contresens, d'équivoque, de dénaturation
du discours de l'auteur (si tant était que son système de ponctuation
soit raisonné, maîtrisé), et un rabotage de l'expressivité, de ce qui
est réellement superfétatoire. Et bien sûr, plutôt que d'être trop
normatif, expliciter, donner à comprendre, favoriser une maîtrise de
l'emploi.



| Question aux colistiers : est-ce qu'on peut désormais considérer que
| l'écrasante majorité des logiciels, systèmes d'exploitation, etc.
| savant relire et afficher de l'Unicode ?

Je remarque qu'au moins deux des grands moteurs de recherche, soit
Fast (www.alltheweb.com) et Altavista, permettent l'emploi de
l'Unicode dans la saisie des requêtes depuis deux ou trois mois. En
annexe des bouquins sur le HTML, on trouve désormais le code ISO (cf.
Grand livre HTML 4, XML-XHTML, Micro Application, mai 2000), avec
donc, &#150, et #151, et le &#156. De même que les "noms et codes de
couleurs ISO reconnus par les navigateurs récents". Pour en revenir à
la spécificité de la ponctuation selon que l'on se trouve de part et
d'autre de l'Atlantique, je trouve significative la comparaison avec
les noms de couleurs. Un "floral white" est traduit par "coquille
d'oeuf" (sans compter ces notions un peu particulières de dodgerblue -
bleu clair -  ou cadetbleu (foncé) de blé, wheat, qui est du corn
(cornsilk qui devrait être maizesilk en britannique, l'Indian étant
depuis belle lurette oublié de tous), de cornflowerblue, bleuet, le
darkslateblue qui devient mauve-foncé ; on notera aussi ces "azure",
"bisque", blanchealmond", auxquels je ne m'attendais guère). Chacun
son système ; certaines contaminations me semblent malvenues, d'autres
me seraient plus souriantes. Et puisque le laminoir des seize couleurs
d'une époque a été estimé trop contraignant, j'estime que le laminoir
d'une ponctuation simplifiée à l'extrême serait préjudiciable, et
pourquoi pas, ressenti comme tel plus communément. L'adoption abusive
d'une ponctuation anglo-américaine trop "simplificatrice" (en fait,
compliquant parfois la lecture, faute de distinction permettant une
interprétation instinctive plus aisée) ne me semble pas inéluctable et
il ne me parait pas tout à fait illusoire d'imaginer que l'inverse
pourrait se produire - soit que, pour une typographie soignée, la
réintroduction d'une ponctuation plus précise, plus aérée, puisse
obtenir les faveurs du monde anglo-américain ; et que certains usages
anglo-américains soient intelligemment et parcimonieusement adoptés
ici.